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13/02/2008

Le coq aux hormones.

Hier visite du secteur convalescence avec le médecin généraliste. Moment toujours agréable et fructueux.

Nous discutons avec la jeune et jolie infirmière (24 ans), et la non moins jeune et jolie aide-soignante (je la connais moins).

Je sors en 10 minutes 2 remarques un peu grivoises, et mon confrère me rappelle que j’en ai sortie une en faisant un döppler, peu avant dans la matinée.

Ce n’est pas du tout mon habitude.

Remarque immédiate de l’IDE pince sans rire: « Uhmm, ta femme est partie faire du ski avec les enfants ».

C’est fou comme certaines femmes nous simplifient à l’extrême. Elles ne croient discerner en nous que la surface sombre et agitée, parfois simple clapotis, parfois gigantesques creux, d’une mer dont les profondeurs seraient tiraillées par de vastes courants hormonaux perpétuels.

Ce n’est même pas réducteur, c’est insultant.

Nous ne sommes pas des coqs aux hormones !

 

Et puis d’abord sa remarque ironique est erronée, ce que je mets sur le compte de sa jeunesse : mon épouse n’est pas encore au ski, elle est partie passer d’abord une semaine à la campagne avec les petits.

 

 

 

 

 

(D'un autre côté, c'est vrai que depuis son départ, je trouve que beaucoup de jeunes femmes sont mignones, voire même le sont devenues...).

11/02/2008

Les étrennes posthumes.

Mes grands parents paternels habitaient une bourgade tuberculeuse au beau milieu de nulle part, dans l’Ain (double pléonasme).

Pour être exact, si mon grand-père était bien le mien, son épouse, que j’ai pris pour ma grand-mère biologique jusqu’à l’âge de 15 ans était sa seconde épouse.

Premier mariage : mon père, second mariage, mon demi-oncle.

Après le divorce de mes parents, mes grands-parents maternels et moi « grimpions » les voir une fois par an.

Je ne serais pas hypocrite, mais la grosse enveloppe avec laquelle je revenais chaque fois aidait grandement à supporter un voyage en voiture peu agréable et surtout l’insupportable odeur de fromage aigre qui habitait leurs vêtements et leur maison surchauffée aux fenêtres toujours fermées. C’est vrai qu’ils étaient fromagers, chacun le quintal largement dépassé, et qu’ils habitaient au dessus de leur florissant commerce. Ils n’ont jamais pris de vacances, ne dépensaient jamais un sou de trop et travaillaient tous les deux comme des brutes.

Je trouvais ces journées un peu pénibles à cause de l’odeur de fromage, donc, à cause du caractère un peu difficile de mon grand-père paternel (dont j’ai un peu hérité, soyons honnête), et de l’ombre toujours présente d’un père divorcé qui leur faisait un peu honte. Ils ont bu jusqu’à la lie la gêne que mon père leur a procuré en nous abandonnant, moi et ma mère, pour son anesthésiste. Mais cela est une autre histoire.

On peut rajouter à cette ambiance étouffante mon demi-oncle, schizophrène à l’équilibre assez instable, habillé constamment en rocker à la Dick Rivers époque Schott, été comme hiver. Ce demi oncle au regard vaguement inquiétant était imprévisible, et se laissait souvent entraîner dans des aventures coûteuses (parfois 3-4 accidents de voiture par an) ou qui remplissaient ses géniteurs de honte. Je crois même que mon grand-père le soupçonnait d’avoir fait une chose encore bien plus inavouable.

Chaque voyage était donc pour moi un peu pénible, mais rémunérateur.

Ce n’est que bien plus tard, après la mort de mon grand-père, et lorsque sa seconde femme était entrée dans l’évolution terminale de sa maladie, et que trop grand, je n’avais plus droit aux étrennes, que je me suis rendu compte qu’ils étaient peut-être frustres mais loin d’être dénués de finesse et qu’ils m’aimaient, alors que moi je n’attendais que mon enveloppe.

La cruauté aveugle des adultes n’est parfois rien par rapport à celle des enfants et des adolescents.   A l’enterrement de celle que j’ai considéré (et que je considère toujours) comme ma grand-mère, j’ai retrouvé il y a 4-5 ans mes demi-sœurs et mon demi-frère, avec lesquels je n’avais, et je n’ai à l’heure actuelle aucun contact.

Nous discutions de notre père, un peu à l’écart, parfois dérangés par les condoléances d’un inconnu, quand un membre de la famille, tout aussi inconnu, s’imposa entre nous et nous interpella.

En gros, il accusait notre défunt père d’avoir détourné les économies d’une vieille tante et nous demandait si nous en avions bien profité. Bien évidemment, nous étions tous les quatre étonnés et avons nié avoir reçu quoi que ce soit. De toute façon le seul héritier est mon demi-oncle, et encore qu’en partie, car il est sous curatelle.

Bref, à l’issue de cet incident pénible, j’ai découvert que le village prêtait à ma famille paternelle une fortune de « plusieurs millions ». C'était d'autant plus marquant que dans ces régions où le gain est aussi âpre que les âmes qui y habitent, l'activité principale des gens qui ont des biens, après s'être tué 14 heures au travail chaque jour, bien sûr, est de faire croire aux autres qu'ils n'en ont pas plus qu'eux.

Je parle de cette histoire à ma mère qui les savait aisés, mais pas à ce point.

Des mois se passent. Il y a deux mois, ma mère, qui était sûre, en vraie dauphinoise, que ma « grand-mère » m’avait quand même laissé quelque chose via une assurance-vie a contacté l’AGIRA.

J’étais assez dubitatif, mais comme l’épisode du gratin vous l’a peut-être laissé entrevoir, ma mère a un caractère aussi un peu difficile (et j’en ai aussi hérité), j’ai donc prudemment laissé faire.

Il y a deux jours, la réponse arrive par la poste. Je n’ai même pas pensé que ça pouvait être cela. Quand j’ai compris, j'avais déjà ouvert l'enveloppe et lu la brève missive. J’ai lu et relu plusieurs fois le nombre de décimales indiqué, la main droite tremblante.

J’ai appelé ma mère pour qu’elle le lise avec moi.

C’étaient bien 405 euros et 12 centimes.

10/02/2008

Le gratin dauphinois.

C’est l’apothéose de toute table dauphinoise qui se respecte.

Menu typique mais heureusement peu fréquent: sabodet en entrée, viande rouge, gratin dauphinois, fromages bien bleuis d’une ferme environnante  et (jamais "ou") dessert (parfois une foyesse que les incultes appellent « tarte au sucre »), enfin expresso. Quand mon grand-père vivait encore, il commençait en plus par des grattons.

J’ai précisé « heureusement peu fréquent », car bien que délicieux, on passe en général les 24 heures suivantes à ruminer ces mets.

Après, pas étonnant que nous soyons tous hypercholestérolémiques dans la famille!

 

Le gratin dauphinois, accompagné d’une pièce de bœuf au four a donc rythmé toute mon enfance. Je ne vous ferais pas le coup de la madeleine de Proust, je vous laisse imaginer.

Ma grand-mère le prépare divinement, et ma mémoire n’enjolive pas les saveurs du passé car il lui arrive encore de le concocter.

Mais sa santé décline, elle est percluse de rhumatismes et ma mère, excellente cuisinière, la remplace de plus en plus souvent aux fourneaux.

Le gratin, bien qu’arrivant en milieu de repas est une sorte d’acmé, j’ose même esquisser le mot « orgasme ».

Vous imaginez donc bien à quel point il doit être parfait, et à quel point la pression familiale est considérable.

Mon épouse (qui a le tort de ne pas être dauphinoise) a bien  tenté un jour d’en faire un en le modifiant à sa sauce : moitié de lait (à la place de la crème) et moitié de beurre pour le rendre plus léger, noix de muscade pour relever la saveur de la pomme de terre.

Echec cuisant, presque sanglant.

Elle ne recommencera plus.

Dans le Dauphiné, on ne crie pas, on ne brasse pas d’air, on méprise. Et c’est ce qui est arrivé à son gratin.

 

Aujourd’hui, ma mère a relevé le défi.

A ma gauche ma grand-mère, à ma droite Thomas (3.5 ans) et Guillaume (6 ans), en face ma mère. Mon épouse, malade, n’assistera pas au combat.

Le plat à gratin trône au milieu du plateau du pétrin (nous mangeons sur le pétrin des bisaïeux boulangers). La tension est palpable car ma mère a déjà annoncé que la crème était peut-être un peu trop épaisse.

Je me sers une bonne ration, confiant, et c’est vrai que la crème me fait plus penser à un tiramisu qu’à un gratin. Je suis inquiet. On goûte tous, silence gêné, les pommes de terre sont craquantes, quasi crues, silence très très gêné.

Je plonge la tête dans le plat, ma grand-mère bougonne pendant que ma mère reprend rapidement nos portions pour les remettre dans le four.

Les petits font bouger le plateau du pétrin  et se font tancer plus sèchement que d’habitude.

Ma mère invoque le temps de cuisson (c’est un truisme), la qualité de la crème, de la pomme de terre…

Elle meuble comme elle peut.

Le gratin est ressorti du four.

Prudemment, je m’en ressers une bien plus petite portion.

On re-goûte tous, silence, aucune amélioration, je replonge dans mon assiette en attendant l’orage. Même les oiseaux sont silencieux dehors (d'un autre côté, c'est normal, on est en plein hiver).

Ma grand-mère chipote le gratin et grommelle. Ma mère explose « Mais dis quelque chose, arrête de faire le mime Marceau ! ». « C’est les pommes de terre » articule prudemment ma grand-mère.

Je rajoute un docte « Ou la crème » en mangeant diplomatiquement chaque lamelle de pomme de terre une à une. Ma mère mise en échec peut en effet être aussi redoutable qu'une bête sauvage blessée, surtout quand l'enjeu est aussi important.

C’est alors que Thomas, qui essaye de couper une lamelle de pomme de terre avec sa fourchette lance un inattendu mais regrettable « nonoss ?? ».

Mais non, c’est une pomme de terre, mange et tais toi !

Heureusement que ma mère n’a rien entendu, je me mords la lèvre pour ne pas rire.

Le repas se termine dans le silence stupéfiant qui succède aux grandes humiliations publiques, entrecoupé par de nouvelles considérations techniques sur les pommes de terre, la crème fraîche, les saisons détraquées.

Prudemment, ma grand-mère et moi minimisons cet échec cuisant en invoquant un évènement étranger inexplicable et inattendu, peut-être un bruissement d’ailes de papillon dans la baie de Tokyo.

Nous buvons notre café, et peu après la sortie de ma mère, ma grand-mère me lance, perfide et ironique comme les vieilles dauphinoises : « heureusement qu’il y avait le café derrière ! ».