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28/02/2008

On nous aurait trompés (2).

Pfizer jette finalement  l’éponge en retirant la campagne publicitaire qui met en scène le très sportif Dr Jarvik ventant les mérites de sa statine, molécule phare du groupe (13.6 milliards de dollars de vente en 2006).

Ce type de publicité, qui s’adresse directement au consommateur est pour l'instant rigoureusement interdite en Europe et en France.

Mais aux Etats-Unis (et en Nouvelle Zélande), c’est permis.

L’industrie jure le cœur sur la main que ces campagnes font progresser l’état de santé de la population en diffusant des messages de prévention "éclairés".

Bon, admettons et analysons objectivement cette publicité.

 

D’abord, il faut pouvoir la voir : c’est ici (merci le NYT).

 

Qu’y voit-on ?

 

Un leader médical mondial, la soixantaine, en pleine forme physique, qui fait de l’aviron dans le cadre magnifique d’un lac de montagne. Il force un peu sur les plans intermédiaires, mais il va vite.

Quel homme.

Nous suivons avec admiration la descente miraculeuse du LDL cholestérol grâce à cette statine sur un magnifique plan ou se surimpressionnent la gracieuse trajectoire de son bateau et un graphique éloquent.

Il va même un peu trop loin, puisqu’il sort de l’écran. Ce n’est plus le 1 g/L que l’on vise, mais le 0 g/L, voire un chiffre négatif.

Ne riez pas, encore quelques études bien conduites selon les critères de l'EBM et le but du traitement sera d’avoir un LDL cholestérol à -0.5 g/L.

Il donne des conseils, précise les quelques rares effets secondaires, que la statine est un des traitements possibles (quand même) et qu’il faut en parler à son docteur.

 

Franchement, je suis cardiologue, et quand j’ai vu cette publicité, je m’en suis immédiatement parlé et je me suis prescrit sans plus tarder ce produit miracle.

Si Jarvik le dit et vu qu’il rame à 62 ans comme un gamin de 22, ce produit est vraiment merveilleux.

 

Malheureusement, certains esprits chagrins et envieux, qui oeuvrent secrètement pour la progression de maladie cardio-vasculaire sont allé fourrer leur sale nez dans cette si merveilleuse histoire (la Nature, un homme robuste et sa statine).

 

Une commission sénatoriale américaine a donc enquêté.

 

Primo, Jarvik a encaissé 1.35 millions de dollars pour cette campagne.

Ah bon, je croyais qu’il l’avait fait pour le bien de l’humanité et en mémoire de son père terrassé par une maladie cardiaque ?

C’est pourtant ce qu’il dit : "My work in the field of artificial hearts spans 36 years, including inventions contributing to the first permanent total artificial heart used in a patient. . . . I accepted the role of spokesman for Lipitor because I am dedicated to the battle against heart disease, which killed my father at age 62 and motivated me to become a medical doctor," it says. "I believe the process of educating the public is beneficial to many patients, and I am pleased to be part of an effort to reach them."

 

Secundo, il ne serait pas médecin.

Alors là, je suis scié.

Mais ce n’est pas certain.

Le sénateur JD Dingell, président de la comission dit : "In the ads, Dr Jarvik appears to be giving medical advice, but apparently, he has never obtained a license to practice or prescribe medicine."

Alors que Jarvik répète que "I am in fact a medical doctor; I am a world expert in mechanical heart technology…".

Qui a raison ?

Et puis, c'est quoi un « unlicensed physician » ?

Est-ce donc si difficile aux EU pour savoir si un individu est médecin ou non ?

 

Il a fait cette publicité pour de l’argent, et il ne serait peut-être pas médecin, mais c’est quand même un champion d’aviron !

 

Mais non, même pas.

Celui qui fait de l’aviron se nomme en fait  Dennis Williams, un fervent local de ce noble sport.

Jarvik n’a pas ramé, non pas à cause de ses capacités physiques qui sont intactes (« I am an athletically fit man who takes care of his own health through diet and exercise, including frequent five-mile runs »), mais pour des histoires d’assurances. Il ne faudrait quand même pas que la vedette tombe dans une eau glacée. Ca ne ferait pas beau de parler de la statine avec la goutte au nez et entre deux éternuements….

 

Quand même, il a fait cette publicité pour de l’argent, et il ne serait peut-être pas médecin, et c’est pas lui qui a ramé, mais c’est un sportif, tout de même ?

 

Voyons ce qu’en dit un proche collaborateur, le Dr. OH Frazier : «…about as much an outdoorsman as Woody Allen. He can't row ».

 

Sportif comme Woody Allen !

 

Uhmm, finalement, je crois que j’ai un peu trop cru au Père Noël Pfizer/Jarvik…

 

Tout cela est bien drôle.

Mais nous devons rester vigilant et prendre garde que la publicité directe ne soit pas un jour autorisée en Europe et donc en France.

Pendant que nous rions à ces tartufferies ridicules, des groupes de pression y travaillent et les firmes essayent de contourner l’obstacle de façon plus ou moins insidieuse.

 

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J’ai déjà parlé de cette histoire ici, et ici.

 

Une petite sélection d’articles du NYT sur le sujet.

 

« Prescrire », encore et toujours.

 

Le FORMINDEP

 

 

La note que consacre « Pharma Marketing Blog » au sujet (et ici, concernant sa qualité de médecin).

 

Un article écrit par Dennis Williams, la doublure de Jarvik dans le LWRC (la gazette universellement connue du Lake Washington Rowing Club). J'adore la photo!

 

La déclaration de Robert Jarvik, sur jarvikheart.com.

 

Ce qu'en dit Pfizer sur son site (Pfizer.com, EU).

 

Shelley Wood. Pfizer pulls Lipitor ads featuring Dr Robert Jarvik. theheart.org. [HeartWire > MediaPulse]; February 26, 2008. Accessed at http://www.theheart.org/article/845359.do on Feb 28, 2008.

 

 

Sue Hughes. Congress investigates Jarvik's Lipitor ads . theheart.org. [HeartWire > MediaPulse]; January 08, 2008. Accessed at http://www.theheart.org/article/836205.do on Feb 28, 2008.

Shelley Wood. Jarvik gets paddled as Lipitor ads raise concerns in Congress. theheart.org. [HeartWire > MediaPulse]; February 07, 2008. Accessed at http://www.theheart.org/article/842351.do on Feb 28, 2008.

26/02/2008

La méta-analyse est à l’analyse…

…ce que la métaphysique est à la physique. C’est une des grandes phrases d’un de mes Maîtres. Il faut donc en effet se méfier du résultat des méta-analyses qui peut être faussé par une seule étude mal conduite, ou une analyse statistique défaillante.

Toutefois, quand une méta-analyse va dans le même sens qu’une autre publiée sur le même sujet un mois avant par une équipe différente, on peut commencer à croire ce qu’elle conclut.

 

 Que dit le papier de PloS Medicine, publié ce jour, et dont les conclusions ont été reprises par « Le Monde » ?

Il conclut rien de moins qu’en l’inefficacité des anti-dépresseurs de type « inhibiteurs de recapture de la sérotonine » (les « IRS »).

La première méta-analyse, publiée dans le NEJM et dont j’avais parlé ici concluait que la publication sélective des essais cliniques permettait d’ « améliorer » faussement l’efficacité de douze anti-dépresseurs (IRS et autres) de 32% (entre 11 et 69%).

Le papier de PloS Medicine se centre plus particulièrement sur les IRS, toujours à partir des registres de la FDA, et compare leur efficacité contre placebo en fonction de la gravité initiale de la dépression.


Les auteurs ne retrouvent une différence significative que pour des dépressions sévères. Par ailleurs, ils imputent cette différence plus à une baisse de l’effet placebo qu’à une meilleur efficacité des IRS.

J’avoue que cette histoire d’antidépresseurs ne me touche pas particulièrement. Je ne saurais même pas analyser et critiquer cette étude, étant donné mon manque de connaissance sur le sujet (n’hésitez pas à dire ce que vous en pensez, Yann, Melie et Shayalone…).

Mais j’en ai parlé, tout comme celle du NEJM en janvier, car je trouve la démarche intéressante.

Des chercheurs vont à l’encontre d’un dogmatisme commercial, et à l’aide de données rendues publiques (tout comme Nissen avec la rosiglitazone), vont se faire leur propre idée.

Jusqu’à présent, en effet, l’EBM (Evidence Based Medicine) dictait sa loi, et nos prescriptions dans une ferveur quasi-religieuse. On nous faisait même apprendre les tables de la loi : « Les études non randomisées, non en double-aveugle, non multicentriques, tu ne regarderas point…. ». Nous étions même contents de trouver telle ou telle faille dans le dogme. Failles qui ne faisaient finalement que le renforcer (« Tu as vu, une étude de non infériorité ! », « Tu as remarqué, le biais de sélection ! »).

Mais comme toujours, l’enfer est pavé de bonnes intentions, et la dictature de l’EBM est allée trop loin. Des scandales ont éclaté, les critères intermédiaires ont supplanté le véritable but de toute thérapeutique, qui est de faire reculer la morbi-mortalité.

Finalement, on s’est rendu compte que le mensonge pouvait résider bien en amont des chiffres, des données.

 

De plus, cette étude est publiée dans PloS, revue qui veut s’affranchir de la publicité et donc de potentiels conflits d’intérêts. J’avoue quand même que je suis un peu moins certain de ce que je lis dans PloS que dans Circulation, le JACC ou le NEJM…

Mais ça viendra.

Pour pouvoir réussir, PloS se doit d’être absolument irréprochable. Les éditeurs le savent parfaitement, et ça me rassure.

Les temps changent, comme toujours : la tendance actuelle est l’analyse des données non publiées, et leur édition en toute indépendance. Nous nous croyons toujours plus vigilants que nos prédécesseurs. C’est probablement vrai. Mais c’est aussi certain que d’autres failles vont apparaître, être colmatées, réapparaître ailleurs…

Je ne demande pas la perfection, simplement pouvoir prescrire de façon éclairée, sans être influencé par d’autres considérations que le bien-être du patient.

Mais c’est déjà tellement difficile.

  

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© Le Monde.fr

  

Kirsch I, Deacon BJ, Huedo-Medina TB, Scoboria A, Moore TJ, et al. (2008) Initial Severity and Antidepressant Benefits: A Meta-Analysis of Data Submitted to the Food and Drug Administration. PLoS Med 5(2): e45 doi:10.1371/journal.pmed.0050045

20/02/2008

La vérité intermédiaire

Les échecs successifs du torcetrapib, de ENHANCE et de ACCORD font poser une question qui me parait fondamentale: est-il pertinent d'utiliser des paramètres intermédiaires comme critères principaux d’une étude ?

Le débat fait rage, comme d’habitude entre les partisans des critères « durs » (morbi-mortalité), et ceux des critères intermédiaires, dits « mous » (par exemple un paramètre biologique).

Et comme d’habitude, la médecine est un immense pendule qui oscille entre deux positions opposées.

Le « tout morbi mortalité » a laissé place au « tout critères intermédiaires ».

Maintenant, le pendule va revenir en arrière avant une nouvelle oscillation.

Je pense que c’est tant mieux.

Ces deux références vous permettront de vous faire une idée de cette discussion qui n’est pas qu’un simple bavardage oiseux entre scientifiques, car les enjeux en sont considérables, notamment ce qui est à yeux le plus important : la validité de nos prescriptions basées sur ces mêmes études.

  

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Sue Hughes. Surrogate end points in the media firing line . theheart.org. [HeartWire > MediaPulse]; February 19, 2008. Accessed at http://www.theheart.org/article/844567.do on Feb 20, 2008.

Stein R. Medication under a microscope. Studies raise questions about drugs' efficacy against disease. Washington Post, February 19, 2008; A02.