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28/03/2005

Compromission.

medium_me0000059107_3.jpgJ’ai déjà évoqué à plusieurs reprises les relations sulfureuses qu’entretiennent les médecins, et l’industrie pharmaceutique.
En gros, nous sommes bombardés de petits (et gros cadeaux) pour nous persuader de prescrire telle ou telle molécule.

Cela va plus loin, l’industrie a aussi la main mise sur une partie des moyens d’information des praticiens.

De quelle façon ?
- Elle rémunère les auteurs des études, et finance ces dernières (heureusement, car sinon personne ne le ferait). D’ailleurs, les résultats lui appartiennent.
- Elle permet aux journaux scientifiques de vivre grâce à des pages entières de publicité
- Elle finance entièrement des hebdomadaires pseudo scientifiques que nous recevons tous, et qui digèrent les dernières informations publiées (vous imaginez dans quel sens…). Les auteurs, souvent des « leaders » d’opinion médicale sont grassement rémunérés.
- Elle finance l’accès des médecins à ces congrès.
- Elle finance des sites Internet, eux aussi pseudo scientifiques.
- Elle finance des associations de malades, excellents leviers de pression face aux pouvoirs publics.
- …

La liste n’est pas exhaustive.

Je vais vous donner un exemple magnifique de plan de communication réussi.

Il y a environ 3 mois, j’ai été convié à une soirée rémunérée (environ 150€), afin de répondre à des questions sur un nouveau produit, non encore commercialisé.
Tester une publicité ou un argument de vente d’un produit devant un petit panel de médecins est chose assez courante.
Je me suis retrouvé autour d’une table, avec une dizaine d’amis praticiens (CCA, internes, cardiologues libéraux).
Une jeune femme, appartenant à une boite de communication, nous a présenté les caractéristiques du produit, appelons le « R ».
Il fait maigrir (il diminue la quantité de graisse abdominale, la pire, en terme de risque cardio-vasculaire), améliore les métabolismes lipidiques et glucidiques, et aide au sevrage tabagique.
En un mot, la panacée.
En fait, les arguments que l’on nous a présentés nous ont tous fait hérisser les cheveux.
Le produit agit sur tellement de paramètres, que cela ne parait pas « sérieux ».
L’expérience montre en effet que l’efficacité d’un produit est très souvent inversement proportionnelle au nombre d’effets bénéfiques escomptés.
Enfin, et surtout, ce produit n’améliore, pour l’instant, ni la morbidité (accident cardio-vasculaire, hospitalisation…), ni la mortalité, car les études idoines n’ont pas été publiées.
En gros, un effet pour l’instant purement cosmétique (encore une fois, rien d’autre n’a été prouvé), mais potentiellement très attractif sur le grand public.

On nous demande de choisir les arguments de vente les moins mauvais, sinon on passe la soirée à flinguer le produit.

Le temps passe.

Des études, toujours les mêmes, sortent régulièrement, montrant l’intérêt de R dans la réduction de la masse abdominale.
Puis viennent les articles, signés d’experts, qui nous rappellent chaque semaine la gravité d’avoir de la graisse abdominale pour le système cardio-vasculaire.
On le sait depuis longtemps (la fameuse obésité androïde), mais actuellement, on le clame sur tous les toits.
Au début, ces articles ne mentionnaient pas R, puis depuis la publication des résultats des études initiales, on le mentionne.
Stade supérieure, R fait la une du « Monde.fr », et peut-être du « Monde » tout court : « la molécule qui fait maigrir ».
Bien évidemment, le laboratoire fait la vierge effarouchée, comment peut-on dire cela ? Nous refusons de communiquer sur la perte de poids, notre produit et novateur dans la lutte contre les facteurs de risque cardio-vasculaires…
Bref, deux langages, un pour les professionnels de santé, et un autre pour le grand public : le plus en plus fréquent « Parlez-en à votre médecin ».
La communication directe, au dessus de la tête du médecin (comme aux EU) a l’immense intérêt de faire prescrire des pilules à des patients, donc dans l’immense majorité des cas, totalement ignorants d’un domaine très complexe (indication/contre-indication, balance risque-bénéfice, études statistiques, biais…).
Ce marketing se développe de façon exponentielle (Cf. « Pilule sur ordonnance : l'industrie s'essaye au marketing grand public » dans « Le Monde » du 20 Mars 2005), et est à mon avis extrêmement dangereux.
Bientôt, le patient, « sensibilisé » par tel ou tel labo va demander tel ou tel produit à son médecin. Deux solutions : le praticien cède, et le labo a gagné (mais le patient ?), ou le praticien résiste, et adieu l’effet placebo « positif » dont parlait DW Winnicott (« Le médecin se prescrit en prescrivant un traitement »), le patient n’adhérera jamais à un traitement qu’il n’aura pas initialement choisi.
L’information impartiale, c’est bien, mais la « sensibilisation » avec le numéro vert du labo, cela me semble dangereux.
Les gens n’ont pas fini de jouer aux apprentis sorciers.

Comment va se poursuivre la carrière de R ?
Probablement bien, il va obtenir son AMM, sûrement avec des réserves (genre ASMR III ou IV), mais qu’importe, personne ne les lit.
Les médecins, gavés de publicité, et poussés par leurs patients vont le prescrire « larga manu ».
Donc énormes gains, sauf si on découvre un effet secondaire « fâcheux » à moyen et long terme (comme l’Isoméride® le Staltor®, les coxibs plus récemment).
Alors, on sera bien en peine de retrouver les « leaders » d‘opinion qui nous ont si bien « sensibilisé ».