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30/05/2008

De l'art (5)

Mais l’on va m’objecter que beaucoup de malades ont été guéris sans avoir recours au médecin : je ne nie pas cela, je crois même qu’il est très possible de se rencontrer avec la médecine sans se servir de médecin ; non pas qu’on puisse discerner dans cet art ce qui est convenable de ce qui ne l’est pas, mais il peut arriver qu’on emploie les mêmes remèdes qui auraient été prescrits si on avait fait venir un médecin. Ceci est déjà une grande preuve de la réalité de l’art ; si réel et si grand que ceux mêmes qui ne croient pas à son existence lui sont redevables de leur salut. De toute nécessité, les personnes malades et guéries sans avoir eu recours au médecin, savent qu’elles ont été guéries en faisant ou en évitant telle ou telle chose, car c’est l’abstinence ou l’abondance des boissons et de la nourriture, l’usage ou le non usage des bains, la fatigue ou le repos, le sommeil ou la veille, ou le concours de toutes ces choses qui les a guéries. De plus, quand ils étaient soulagés, il leur a fallu de toute nécessité pouvoir discerner ce qui les soulageait, comme aussi ce qui leur nuisait quand ils étaient incommodés. Il n’est pas à la vérité donné à tout le monde de déterminer parfaitement ce qui nuit ou ce qui soulage ; mais le malade qui sera capable de louer ou de blâmer [avec discernement], quelque chose du régime qui l’a guéri, trouvera que tout cela est de la médecine. Les fautes mêmes n’attestent pas moins que, les succès toute la réalité de l’art : telle chose a soulagé, c’est qu’elle a été administrée à propos ; telle autre a nui, c’est qu’elle n’a pas été administrée à propos. Quand le bien et le mal ont chacun leurs limites tracées, comment cela ne constitue-t-il pas un art ? Je dis qu’il n’y a pas d’art là où il n’y a rien de bien ni rien de mal ; mais quand ces deux choses se rencontrent à la fois, il n’est pas possible que ce soit le produit de l’absence de l’art.

 

De l’Art

Hippocrate

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29/05/2008

Communication (2).

J’avais déjà remarqué dans cette note l’effort de communication du Conseil Fédéral helvétique et ses photos officielles très dynamiques et originales.

Le cliché officiel 2008 me semble lui aussi très réussi :

 

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« Primus inter pares »

De l'art (4)

Or, mon raisonnement s’appuie sur un principe que tout le monde m’accordera ; on ne disconviendra pas, en effet, que des malades ont été radicalement guéris après avoir été traités par la médecine ; mais par cela même que tous ne l’ont pas été, on accuse l’art, et ceux qui en disent le plus de mal prétendent, en se fondant sur ceux qui out succombé à la maladie, que la guérison des malades est l’ouvrage de la fortune et non celui de l’art ; quant à moi, je ne refuse pas à la fortune toute espèce d’influence, et je suis persuadé que ceux qui sont mal soignés dans leurs maladies sont le plus souvent sous le coup de l’infortune, et que ceux qui sont bien soignés jouissent de la bonne fortune ; mais d’un autre côté, comment se peut-il que ceux qui ont été guéris attribuent leur guérison à toute autre chose qu’à l’art, si c’est en ayant recours à lui qu’ils ont échappé à la mort ? Une preuve qu’ils ne voulaient pas avoir en perspective la forme nue de la fortune, c’est qu’ils se sont confiés à la médecine ; de telle sorte qu’ils sont quittes de reconnaissance envers la fortune, mais qu’ils ne le sont pas envers l’art ; car, du moment qu’ils ont tourné les yeux avec confiance vers la médecine, c’est qu’ils en ont vu la réalité et qu’ils en ont reconnu la puissance par l’heureux résultat de son intervention.

 

De l’Art

Hippocrate

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28/05/2008

Entre 2.

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Chenonceau 

La semaine en Touraine s’est écoulée bien trop vite.

Je garde une impression un peu mitigée des châteaux de la Loire qui sont certes fabuleux, mais qui, comme une bonne mousse au chocolat, écoeurent un peu à la longue. Il faudrait avoir la possibilité et la volonté de n’en voir qu’un seul par séjour.

Il n’empêche que la rencontre avec l’Histoire de France reste impressionnante : le cabinet de travail de Catherine de Médicis, la chambre où s’est effondré le Duc de Guise, le château de Langeais où Anne de Bretagne a épousé Charles VIII, liant ainsi le Duché de Bretagne au Royaume de France, Clos Lucé où a résidé Léonard de Vinci…

 

 

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  Blois. La chambre de Henri III, où s'est effondré le Duc de Guise, Henri le balafré. Ne vous extasiez pas sur le décor, tout est XIXème!

 

J’en retire toujours l’impression vertigineuse que la destinée de nations entières s’est jouée sur la volonté implacable, ou au contraire sur les lubies passagères d’une poignée d’individus.

Je sais bien que c’est un truisme, mais le toucher du doigt sur les lieux mêmes où l’Histoire s’est déroulée est encore une fois très impressionnant.

 

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  Cheverny.

 

 

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Une digitale dans les jardins de Cheverny...

 

 

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  mais on y trouve aussi du pavot (fin de la séquence médicale).

 


Il faut donc savoir agrémenter son séjour par d’autres petits plaisirs.

 

Deux coups de cœur :

L’association Millière Raboton qui fait découvrir la Loire en toute intimité sur des toues (bateaux de 12 places). La balade de 1h30, toujours improvisée est délicieuse et les petits ont adoré la chasse aux traces de castors sur les îlots. Notre seul regret est de ne pas avoir pu faire cette balade à l’aube ou en soirée, moments ou la faune est particulièrement active.

 

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  L'embarquement à Chaumont sur Loire

 

La Vallée Troglodytique des Goupillières à Azay-le-Rideau qui permet de se faire une idée de la vie quotidienne des paysans Touraine. Vie très différente de celle, idéalisée, dépeinte par les tapisseries de Bruxelles et d’Aubusson qui décorent souvent les pièces des châteaux environnants.

Le propriétaire des lieux fait une visite guidée passionnée et passionnante.

 

 

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  Une des 9 fermes que compte la vallée

 

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  La chambre troglodyte dans laquelle Henri III et le Duc de Guise ne sont jamais allés.

 

Sinon nous avons fait comme d’habitude en ne prévoyant aucun hébergement à l’avance. La Touraine est heureusement riche en chambres d’hôtes, et la période entre les viaducs de mai et début juillet est plutôt calme.

Nous avons rencontré des gens adorables, disponibles et avons enfourné des petits-déjeuners pantagruéliques avec confitures, jus de pomme, gâteaux et parfois pain maison.

Parmi toutes, je retiens cette adresse qui est non loin de Langeais, et où après 48 heures, nous avons eu l’impression de quitter des proches. D’ailleurs, la maîtresse de maison est la sœur du propriétaire des Goupillières, détails que nous ignorions à notre arrivée à la chambre d’hôtes. Alors que j’écris cette note, je déguste son fabuleux jus de pomme maison à sa santé.

 

Demain en route pour Malte…

 

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Un encadrement de fenêtre du Château de Blois très rabelaisien!

Double hélice

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 Le puits de lumière de l’escalier à double hélice du Château de Chambord.

 

De l'art (3)

Si l’on n’a pas suffisamment compris ce qui précède, on le trouvera plus clairement exposé dans d’autres traités. Quant à la médecine (car c’est d’elle qu’il s’agit ici), j’en donnerai la démonstration, et je vais d’abord définir ce que j’entends par la médecine : c’est délivrer complètement les malades de leurs souffrances, mitiger les maladies très intenses, et ne rien entreprendre pour ceux que l’excès du mal a vaincus ; sachant bien que la médecine ne peut pas tout. Établir donc qu’elle arrive à ces résultats, et qu’elle peut y arriver dans toutes les circonstances, c’est ce que je vais faire dans le reste de mon discours. En même temps que je démontrerai l’existence de cet art, je ruinerai les arguments de ceux qui s’imaginent l’avilir, et je les prendrai en défaut sur les points où ils se croient le plus forts.

 

De l’Art

Hippocrate

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27/05/2008

De l'art (2)

En principe général, il me semble qu’il n’y a aucun art qui ne réponde à une réalité ; car il est déraisonnable de considérer comme n’étant pas, quelqu’une des choses qui sont. Et en effet, pour les choses qui ne sont pas, quelle réalité substantielle pourrait-on y observer pour affirmer qu’elles sont ? Car s’il est possible de voir les choses qui sont, de même qu’il est impossible de voir celles qui ne sont pas, comment pourrait-on croire que ces choses-là n’existent pas, dont on peut voir par les yeux et comprendre par l’esprit l’existence réelle ? Mais bien loin de là, il n’en est pas ainsi. Ce qui existe est toujours vu, toujours connu ; ce qui n’existe pas ne peut être ni vu ni connu. C’est pourquoi les formes des arts qui ont été démontrés comme tels sont connues, et il n’en est aucun qui ne repose sur quelque forme observable ; je pense même que les noms d’un art se tirent des formes ; il est absurde, en effet, de croire que les formes soient le produit des noms : cela est impossible ; car les noms sont réglés par la coutume, tandis que les formes ne sont pas réglées par la coutume, mais sont des productions spontanées de la nature.

De l’Art

Hippocrate

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26/05/2008

De l'art (1)

Il est des hommes qui se font un art de vilipender les arts. Qu’ils arrivent au résultat qu’ils s’imaginent : ce n’est pas ce que je dis ; mais ils font étalage de leur propre savoir. Pour moi, découvrir quelqu’une des choses qui n’ont pas été découvertes, et qui, découverte, vaut mieux que si elle ne l’était pas, comme aussi porter à son dernier terme une découverte qui n’est qu’ébauchée, me semble un but et une œuvre d’intelligence. Au contraire, s’attacher par un honteux artifice de paroles à flétrir les découvertes d’autrui, non pour y corriger quelque chose, mais bien pour dénigrer les travaux des savants auprès des ignorants, cela ne me paraît être ni un but, ni une œuvre d’intelligence ; mais bien plutôt une preuve de mauvaise nature, ou d’impéritie, car c’est aux ignorants seuls que convient une semblable occupation ; ce sont eux qui s’efforcent (mais leur puissance ne répond pas à leur méchanceté) de calomnier les ouvrages des autres s’ils sont bons, et de s’en moquer s’ils sont mauvais. Que ceux qui en ont le pouvoir, que ce soin peut toucher et qui y ont quelque intérêt, repoussent les individus qui attaquent de cette manière les autres arts ; mon discours est dirigé seulement contre ceux qui attaquent la médecine ; il sera violent à cause de ceux qui veulent ainsi censurer, étendu à cause de l’art qu’il défend, puissant à cause de la sagesse qui a présidé à la formation de cet art.

 

De l’Art

Hippocrate

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23/05/2008

Rikki-tikki-tavi (5)

Teddy, sa mère et son père étaient là, devant leur déjeuner du matin. Mais Rikki-tikki vit qu'ils ne mangeaient rien. Ils se tenaient dans une immobilité de pierre, et leurs visages étaient blancs. Nagaina enroulée sur la natte, près de la chaise de Teddy, à distance commode pour atteindre la jambe nue du jeune garçon, se balançait de-ci, de-là, en chantant un chant de triomphe.

— Fils de l'homme qui a tué Nag, sifflait-elle, reste tranquille… Je ne suis pas encore prête… Attends un peu… Restez bien immobiles tous trois ! Si vous bougez je frappe… et si vous ne bougez pas, je frappe encore… Oh ! insensés, qui avez tué mon Nag !

Les yeux de Teddy restaient fixés sur son père, et tout ce que son père pouvait faire était de murmurer :

— Reste tranquille, Teddy… Il ne faut pas bouger… Teddy, reste tranquille.

C'est alors que Rikki-tikki arriva et cria :

— Retournez-vous, Nagaina ; retournez-vous, et en garde !

— Chaque chose en son temps, dit-elle, sans remuer les yeux. Je réglerai tout à l'heure mon compte avec vous. Regardez vos amis, Rikki-tikki. Ils sont immobiles et blancs… Ils sont épouvantés… Ils n'osent bouger… Et, si vous approchez d'un pas, je frappe.

— Allez regarder vos œufs, dit Rikki, dans la melonnière près du mur. Allez voir, Nagaina !

Le grand serpent se retourna à demi, et vit l'œuf sur le sol de la véranda.

— Ah… h ! Donnez-le-moi, dit-elle.

Rikki-tikki posa ses pattes de chaque côté de l'œuf, tandis que ses yeux devenaient rouge sang.

— Quel prix pour un œuf de serpent ?… Pour un jeune cobra ?… Pour un jeune roi-cobra ?… Pour le dernier… le dernier des derniers de la couvée ? Les fourmis sont en train de manger tous les autres par terre près des melons.

Nagaina pirouetta sur elle-même, oubliant tout le reste pour le salut de l'œuf unique ; et Rikki-tikki vit le père de Teddy avancer rapidement une large main, saisir Teddy par l'épaule et l'enlever par-dessus la table et les tasses à thé, à l'abri et hors de portée de Nagaina.

— Volée ! Volée ! Volée ! Rikk-tck-tchk ! gloussa Tikki-tikki triomphant. L'enfant est sauf, et c'est moi… moi… moi… qui mordis Nag au capuchon, la nuit dernière, dans la salle de bains.

Puis il se mit à sauter de tous côtés, des quatre pattes ensemble, revenant raser le sol de la tête.

— Il m'a jeté de côté et d'autre, mais il n'a pas pu me faire lâcher prise. Il était mort avant que l'homme l'ait coupé en deux… C'est moi qui ai fait cela ! Rikki-tikki-tchk-tchk !… Par ici, Nagaina. Par ici et garde à vous ! Vous ne serez pas longtemps veuve.

Nagaina vit qu'elle avait perdu toute chance de tuer Teddy, et l'œuf gisait entre les pattes de Rikki-tikki :

— Donnez-moi l'œuf, Rikki-tikki. Donnez-moi le dernier de mes œufs, et je m'en irai pour ne plus jamais revenir, dit-elle, en baissant son capuchon.

— Oui, vous vous en irez et vous ne reviendrez plus jamais ; car vous irez sur le fumier rejoindre Nag. En garde, la veuve ! L'homme est allé chercher son fusil ! En garde !

Rikki-tikki bondissait tout autour de Nagaina, en se tenant juste hors de portée des coups, ses petits yeux comme deux braises. Nagaina se replia sur elle-même et se jeta sur lui. Rikki-tikki fit un saut en l'air et retomba en arrière. Une fois, une autre, puis encore, elle voulut le frapper, mais à chaque reprise sa tête donnait avec un coup sourd contre la natte de la véranda, tandis qu'elle se rassemblait sur elle-même en spirale comme un ressort de montre. Puis Rikki-tikki dansa en cercle pour arriver derrière elle, et Nagaina tourna sur elle-même pour rester face à face avec lui… et sa queue sur la natte bruissait comme les feuilles sèches au vent.

Rikki-tikki avait oublié l'œuf. Il gisait encore sous la véranda et Nagaina s'en rapprochait peu à peu, jusqu'à ce qu'enfin, tandis que Rikki-tikki reprenait haleine, elle le saisît entre ses dents, filât vers les marches de la véranda et descendît le sentier comme une flèche, Rikki-tikki derrière elle.

Lorsque le cobra court pour sauver sa vie, il prend l'aspect d'une mèche de fouet qui cingle l'encolure d'un cheval. Rikki-tikki savait qu'il fallait la joindre, ou que tout serait à recommencer. Nagaina filait droit vers les longues herbes, près du buisson épineux et, tout en courant, Rikki-tikki entendit Darzee qui chantait toujours son absurde petit chant de triomphe. Mais la femme de Darzee, plus raisonnable, quitta son nid en voyant arriver Nagaina, et battit des ailes autour de sa tête. Avec l'aide de Darzee, ils auraient pu la faire retourner. Mais Nagaina ne fit que baisser son capuchon et continua sa route. Toutefois, cet instant de répit amena Rikki-tikki sur elle et, comme elle plongeait dans le trou de rat où elle et Nag avaient coutume de vivre, les petites dents blanches de Rikki-tikki se refermèrent sur sa queue, et il entra derrière elle. Or, très peu de mangoustes, quelles que soient leur sagesse et leur expérience, se soucieraient de suivre un cobra dans son trou. Il faisait noir, dans le trou ; et comment savoir s'il n'allait pas s'élargir et donner assez de place à Nagaina pour faire demi-tour et frapper ! Il tint bon, avec rage, les pieds écartés pour faire office de freins sur la pente sombre du terreau tiède et moite. Puis, l'herbe, autour de la bouche du trou, cessa de s'agiter, et Darzee dit :

— C'en est fini de Rikki-tikki ! Il nous faut chanter son chant de mort… Le vaillant Rikki est mort !… Car Nagaina le tuera sûrement sous terre.

C'est pourquoi il entonna une chanson des plus lugubres, improvisée sous le coup de l'émotion. Et, comme il arrivait juste à l'endroit le plus touchant, l'herbe bougea de nouveau et Rikki-tikki, couvert de terre, se traîna hors du trou, une jambe après l'autre, en se léchant les moustaches. Darzee s'arrêta avec un petit cri de surprise. Rikki-tikki secoua un peu la poussière qui tachait sa fourrure et éternua.

— C'est fini, dit-il. La veuve ne reviendra plus jamais.

Et les fourmis rouges, qui habitent parmi les tiges d'herbe, l'entendirent et descendirent en longues processions pour voir s'il disait vrai.

Rikki-tikki se pelotonna sur lui-même dans l'herbe et dormit sur place… dormit, dormit jusqu'à une heure tardive de l'après-midi, car sa journée de travail avait été dure.

— Maintenant, dit-il, quand il se réveilla, je vais rentrer à la maison. Racontez au Chaudronnier, Darzee, pour qu'il le raconte au jardin, que Nagaina est morte.

La Chaudronnier est un oiseau qui fait un bruit tout semblable au coup d'un petit marteau sur un vase de cuivre ; et s'il fait toujours ce bruit, c'est qu'il est le crieur public de tout jardin hindou, et qu'il raconte les nouvelles à ceux qui veulent bien l'entendre.

Lorsque Rikki-tikki remonta le sentier, il l'entendit préluder par les notes de son « garde-à-vous », on eût dit un de ces petits gongs sur lesquels on annonce le dîner ; puis sonna le monotone « Ding-dong-tock ! Nag est mort… dong ! Nagaina est morte ! Ding-dong-tock ! » À ce signal, tous les oiseaux se mirent à chanter dans le jardin, et les grenouilles à coasser ; car Nag et Nagaina avaient coutume de manger les grenouilles aussi bien que les oiseaux.

Lorsque Rikki regagna la maison, Teddy, la mère de Teddy (les joues très blanches encore, car elle s'était évanouie) et le père de Teddy sortirent à sa rencontre, et faillirent pleurer d'attendrissement en l'embrassant. Ce soir-là, il mangea tout ce qu'on lui donna, jusqu'à ne pouvoir manger davantage, et il alla au lit, perché sur l'épaule de Teddy, où la mère de Teddy le trouva encore en revenant plus tard, pendant le cours de la nuit.

— Il nous a sauvé la vie et celle de notre fils, dit-elle à son mari. Est-ce croyable ?… Il nous a sauvé la vie à tous !

Rikki-tikki se réveilla en sursaut, car les mangoustes ne dorment que d'un œil.

— Oh ! c'est vous ! dit-il. De quoi vous tourmentez-vous ? Tous les cobras sont morts ; et s'il en reste…, je suis là.

Rikki-tikki pouvait à bon droit être fier de sa victoire ; mais il n'abusa pas de son droit, et il garda ce jardin, dorénavant, en vraie mangouste… de la dent et du jarret, si bien que jamais cobra n'osa montrer la tête dans l'enceinte des murs.

 

(Fin)

Le livre de la Jungle 1894

Rudyard Kipling.

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22/05/2008

Rikki-tikki-tavi (4)

Le lendemain matin, il était fort raide, mais très content de ses hauts faits.

— Maintenant, j'ai Nagaina à régler, et ce sera pire que cinq Nags ; en outre, qui sait quand les œufs dont elle a parlé vont éclore… Bonté divine ! Il faut que j'aille voir Darzee, dit-il.

Sans attendre le déjeuner, Rikki-tikki courut au buisson épineux où Darzee, à pleine voix, chantait un chant de triomphe. La nouvelle de la mort de Nag avait fait le tour du jardin, car le balayeur avait jeté le corps sur le fumier.

— Oh ! sotte touffe de plumes, dit Rikki-tikki avec colère. Est-ce le moment de chanter ?

— Nag est mort… est mort… est mort ! chanta Darzee. Le vaillant Rikki-tikki l'a saisi par la tête et n'a point lâché. L'homme a apporté le bâton qui fait boum, et Nag est tombé en deux morceaux ! Il recommencera plus à manger mes bébés.

— Tout cela est assez vrai ! Mais où est Nagaina ? demanda Rikki-tikki, en regardant soigneusement autour de lui.

— Nagaina est venue au conduit de la salle de bains pour appeler Nag, continua Darzee ; et Nag est sorti sur le bout d'un bâton… le balayeur l'a ramassé au bout d'un bâton, et l'a jeté sur le fumier !… Chantons le grand Rikki-tikki à l'œil rouge !

Et Darzee enfla son gosier et chanta.

— Si je pouvais atteindre à votre nid, je jetterais vos bébés dehors ! dit Rikki-tikki. Chaque chose en son temps. Vous êtes là dans votre nid, à peu près en sûreté, mais ici, en bas, c'est pour moi la guerre. Arrêtez-vous pour une minute de chanter, Darzee.

— Pour l'amour du grand, du beau Rikki-tikki, je vais m'arrêter, répondit Darzee… Qu'y a-t-il, ô Tueur du terrible Nag ?

— Pour la troisième fois, où est Nagaina ?

— Sur le fumier, près des écuries, menant le deuil de Nag… Glorieux est Rikki-tikki, le héros aux blanches dents.

— Au diable mes dents blanches ! avez-vous jamais ouï dire où elle garde ses œufs ?

— Dans la melonnière, au bout, tout près du mur, à l'endroit où le soleil tape presque tout le jour. Il y a des semaines qu'elle les a cachés là.

— Et vous n'avez jamais pensé que cela valût la peine de me le dire ?… Au bout, tout près du mur, dites-vous ?

— Rikki-tikki… vous n'allez pas manger ses œufs ?

— Pas exactement les manger ; non… Darzee, s'il vous reste un grain de bon sens, vous allez voler aux écuries, faire semblant d'avoir une aile cassée, et laisser Nagaina vous donner la chasse jusqu'à ce buisson. Il me faut aller à la melonnière, et si j'y allais maintenant, elle me verrait.

Darzee était un petit compère dont la cervelle emplumée ne pouvait tenir plus d'une idée à la fois ; et sachant que les enfants de Nagaina naissaient dans des œufs, comme les siens, il ne lui semblait pas, à première vue, qu'il fût juste de les détruire. Mais sa femme était oiseau raisonnable, elle savait que les œufs de cobra voulaient dire de jeunes cobras un peu plus tard ; aussi s'envola-t-elle du nid, et laissa-t-elle Darzee tenir chaud aux bébés et continuer sa chanson sur la mort de Nag. Darzee, en quelques points, ressemblait beaucoup aux hommes.

Elle se mit à voleter près du fumier, sous le nez de Nagaina, et à gémir :

— Oh ! j'ai l'aile cassée !… Le petit garçon de la maison m'a jeté une pierre et l'a cassée.

Et de voleter plus désespérément que jamais.

Nagaina leva la tête et siffla :

— C'est vous qui avez averti Rikki-tikki quand je voulais le tuer. Sans mentir, vous avez mal choisi l'endroit pour boiter.

Et elle se dirigea vers la femme de Darzee en glissant sur la poussière.

— Le petit garçon l'a cassée d'un coup de pierre ! cria d'une voix perçante la femme de Darzee.

— Eh bien ! cela peut-être vous consolera, quand vous serez morte, de savoir que je vais régler aussi mes comptes avec le petit garçon. Mon mari gît sur le fumier ce matin, mais, avant la nuit, le petit garçon sera couché très tranquille dans la maison… À quoi bon courir ? Je suis sûre de vous attraper… Petite sotte, regardez-moi !

La femme de Darzee en savait trop pour faire pareille chose. Car une fois que les yeux d'un oiseau rencontrent ceux d'un serpent, il est pris d'une telle peur qu'il ne peut plus bouger. La femme de Darzee, en pépiant douloureusement, continua de voleter, sans quitter le sol, et Nagaina pressa l'allure.

Rikki-tikki les entendit remonter le sentier qui les éloignait des écuries, et galopa vers l'extrémité de la planche de melons au pied du mur. Là, dans la chaude litière, au-dessus des melons, il trouva, habilement cachés, vingt-cinq œufs de la grosseur à peu près des œufs de la poule de Bantam, mais avec des peaux blanchâtres en guise de coquilles.

— Je ne suis pas arrivé un jour trop tôt, dit-il.

Car il pouvait voir des jeunes cobras roulés dans l'intérieur de la peau, et il savait que, dès l'instant où ils éclosent, ils peuvent chacun tuer son homme non moins que sa mangouste. Il détacha d'un coup de dent les bouts des œufs, dare-dare, en prenant soin d'écraser les jeunes cobras, et en retournant de temps en temps la litière pour voir s'il n'en omettait aucun. À la fin, il ne resta plus que trois œufs et Rikki-tikki commençait à rire dans sa barbe, quand il entendit la femme de Darzee crier à tue-tête :

— Rikki-tikki, j'ai conduit Nagaina du côté de la maison…, elle est entrée sous la véranda, et… oh ! venez vite… elle veut tuer !

Rikki-tikki écrasa deux œufs, redégringola de la melonnière avec le troisième œuf dans sa gueule et se précipita vers la véranda aussi vite que ses pattes pouvaient le porter.

(A suivre…)

Le livre de la Jungle 1894

Rudyard Kipling.

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