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22/05/2008

Rikki-tikki-tavi (4)

Le lendemain matin, il était fort raide, mais très content de ses hauts faits.

— Maintenant, j'ai Nagaina à régler, et ce sera pire que cinq Nags ; en outre, qui sait quand les œufs dont elle a parlé vont éclore… Bonté divine ! Il faut que j'aille voir Darzee, dit-il.

Sans attendre le déjeuner, Rikki-tikki courut au buisson épineux où Darzee, à pleine voix, chantait un chant de triomphe. La nouvelle de la mort de Nag avait fait le tour du jardin, car le balayeur avait jeté le corps sur le fumier.

— Oh ! sotte touffe de plumes, dit Rikki-tikki avec colère. Est-ce le moment de chanter ?

— Nag est mort… est mort… est mort ! chanta Darzee. Le vaillant Rikki-tikki l'a saisi par la tête et n'a point lâché. L'homme a apporté le bâton qui fait boum, et Nag est tombé en deux morceaux ! Il recommencera plus à manger mes bébés.

— Tout cela est assez vrai ! Mais où est Nagaina ? demanda Rikki-tikki, en regardant soigneusement autour de lui.

— Nagaina est venue au conduit de la salle de bains pour appeler Nag, continua Darzee ; et Nag est sorti sur le bout d'un bâton… le balayeur l'a ramassé au bout d'un bâton, et l'a jeté sur le fumier !… Chantons le grand Rikki-tikki à l'œil rouge !

Et Darzee enfla son gosier et chanta.

— Si je pouvais atteindre à votre nid, je jetterais vos bébés dehors ! dit Rikki-tikki. Chaque chose en son temps. Vous êtes là dans votre nid, à peu près en sûreté, mais ici, en bas, c'est pour moi la guerre. Arrêtez-vous pour une minute de chanter, Darzee.

— Pour l'amour du grand, du beau Rikki-tikki, je vais m'arrêter, répondit Darzee… Qu'y a-t-il, ô Tueur du terrible Nag ?

— Pour la troisième fois, où est Nagaina ?

— Sur le fumier, près des écuries, menant le deuil de Nag… Glorieux est Rikki-tikki, le héros aux blanches dents.

— Au diable mes dents blanches ! avez-vous jamais ouï dire où elle garde ses œufs ?

— Dans la melonnière, au bout, tout près du mur, à l'endroit où le soleil tape presque tout le jour. Il y a des semaines qu'elle les a cachés là.

— Et vous n'avez jamais pensé que cela valût la peine de me le dire ?… Au bout, tout près du mur, dites-vous ?

— Rikki-tikki… vous n'allez pas manger ses œufs ?

— Pas exactement les manger ; non… Darzee, s'il vous reste un grain de bon sens, vous allez voler aux écuries, faire semblant d'avoir une aile cassée, et laisser Nagaina vous donner la chasse jusqu'à ce buisson. Il me faut aller à la melonnière, et si j'y allais maintenant, elle me verrait.

Darzee était un petit compère dont la cervelle emplumée ne pouvait tenir plus d'une idée à la fois ; et sachant que les enfants de Nagaina naissaient dans des œufs, comme les siens, il ne lui semblait pas, à première vue, qu'il fût juste de les détruire. Mais sa femme était oiseau raisonnable, elle savait que les œufs de cobra voulaient dire de jeunes cobras un peu plus tard ; aussi s'envola-t-elle du nid, et laissa-t-elle Darzee tenir chaud aux bébés et continuer sa chanson sur la mort de Nag. Darzee, en quelques points, ressemblait beaucoup aux hommes.

Elle se mit à voleter près du fumier, sous le nez de Nagaina, et à gémir :

— Oh ! j'ai l'aile cassée !… Le petit garçon de la maison m'a jeté une pierre et l'a cassée.

Et de voleter plus désespérément que jamais.

Nagaina leva la tête et siffla :

— C'est vous qui avez averti Rikki-tikki quand je voulais le tuer. Sans mentir, vous avez mal choisi l'endroit pour boiter.

Et elle se dirigea vers la femme de Darzee en glissant sur la poussière.

— Le petit garçon l'a cassée d'un coup de pierre ! cria d'une voix perçante la femme de Darzee.

— Eh bien ! cela peut-être vous consolera, quand vous serez morte, de savoir que je vais régler aussi mes comptes avec le petit garçon. Mon mari gît sur le fumier ce matin, mais, avant la nuit, le petit garçon sera couché très tranquille dans la maison… À quoi bon courir ? Je suis sûre de vous attraper… Petite sotte, regardez-moi !

La femme de Darzee en savait trop pour faire pareille chose. Car une fois que les yeux d'un oiseau rencontrent ceux d'un serpent, il est pris d'une telle peur qu'il ne peut plus bouger. La femme de Darzee, en pépiant douloureusement, continua de voleter, sans quitter le sol, et Nagaina pressa l'allure.

Rikki-tikki les entendit remonter le sentier qui les éloignait des écuries, et galopa vers l'extrémité de la planche de melons au pied du mur. Là, dans la chaude litière, au-dessus des melons, il trouva, habilement cachés, vingt-cinq œufs de la grosseur à peu près des œufs de la poule de Bantam, mais avec des peaux blanchâtres en guise de coquilles.

— Je ne suis pas arrivé un jour trop tôt, dit-il.

Car il pouvait voir des jeunes cobras roulés dans l'intérieur de la peau, et il savait que, dès l'instant où ils éclosent, ils peuvent chacun tuer son homme non moins que sa mangouste. Il détacha d'un coup de dent les bouts des œufs, dare-dare, en prenant soin d'écraser les jeunes cobras, et en retournant de temps en temps la litière pour voir s'il n'en omettait aucun. À la fin, il ne resta plus que trois œufs et Rikki-tikki commençait à rire dans sa barbe, quand il entendit la femme de Darzee crier à tue-tête :

— Rikki-tikki, j'ai conduit Nagaina du côté de la maison…, elle est entrée sous la véranda, et… oh ! venez vite… elle veut tuer !

Rikki-tikki écrasa deux œufs, redégringola de la melonnière avec le troisième œuf dans sa gueule et se précipita vers la véranda aussi vite que ses pattes pouvaient le porter.

(A suivre…)

Le livre de la Jungle 1894

Rudyard Kipling.

08:00 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)

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