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03/03/2005

Soigner

medium_lepen.3.jpgSoigner est un mélange indissociable de technique, de connaissances, et d’empathie.

Soigner doit primer sur tout, mais parfois c’est difficile.

En 1997-1998, Mon co-interne Pierre et moi avions sympathisé avec un patient de 70 ans environ. Sa pathologie cardiaque, très sévère motivait de nombreuses hospitalisations en soins intensifs.
A chaque admission, je passais un coup de fil à Pierre, et nous allions voir celui qui était devenu pour nous plus qu’un patient.
Nous passions des heures à le rassurer, lui et sa femme, de braves gens accablés par cette maladie.
Pierre et moi étions aussi inséparables que les doigts de la main. Dans cet Hôpital difficile, situé dans un quartier plus que défavorisé, et laissés à nous même par nos chefs. Nous nous soutenions mutuellement. Comme la rose et le réséda, nos sensibilités divergeaient, il était mitterrandien convaincu (l’est-il toujours ? Je lui demanderai à notre prochaine rencontre), et moi plutôt de droite. Mais cela n’avait aucune importance, nous faisions front devant les difficultés, et les opinions politiques/croyances n’ont bien sûr aucune place dans notre métier.

C’est du moins, ce que nous pensions.
Notre patient se fait finalement opérer du cœur dans un autre Hôpital.
Un soir, nous allons le voir dans sa chambre.
Nous entrons, grands sourires et mains serrées.
Il lisait un journal, qu’il reposa à notre entrée.
« Minute ».
Petit blanc.
Nous nous regardons avec Pierre.
Nous terminons la conversation par des banalités.
Nous sortons, et ne disons rien.
Nous n’avons plus jamais parlé de lui, ni avons pris de ses nouvelles.
Si nous l’avions su avant, nous l’aurions soigné avec les mêmes techniques, mais l’empathie n’y aurait plus été, j’en suis persuadé, à mon grand regret.
Depuis, j’ai acquis de l’expérience, mais ce télescopage avec des idéaux qui me repoussent est toujours difficile à gérer dans ma relation avec le malade.

Il y environ trois ans, nous avons, mon patron d’alors et moi, assisté à la lente agonie d’une jeune femme de 32 ans dans le service.
Son mari, plus âgé, venait la voir quotidiennement, laissant deux jeunes enfants à la charge de leur grand-mère.
J’ai parlé avec lui des heures, et j’ai bien failli pleurer avec lui, lorsqu’elle est décédée.

Plusieurs mois après, le lendemain du premier tour des présidentielles, je discutais avec mon patron dans son bureau, sur le score énorme qu’avait fait le FN dans notre région (23-25%).
Nous étions abasourdis. Nous nous disions qu’un patient sur quatre a voté FN.
Il m’annonce alors que le mari de cette pauvre dame faisait un procès à l’Hôpital, mais pas contre notre service, pour faute grave.

« Et, savais-tu que c’est un cadre d’un parti d’extrême droite ?
- Non !?
- Pourtant il m’a choisi pour soigner sa femme…. »
Cela laisse nous laisse rêveurs, mon patron étant juif.

De retour chez moi, une recherche rapide sur le net m’apprend qu’il a été poursuivi pour incitation à la haine raciale.


Cet homme m’avait séduit par son esprit rigoureux, sa finesse d’esprit, et m‘avait profondément ému par son malheur absolu, incommensurable.
Je n’ai aucune haine contre lui, j’aimerai le revoir pour savoir comment il s’occupe de ses petites filles (que j’avais rencontrées au chevet de leur mère), et comment ils poursuivent leurs vies après un tel drame.

Encore une fois, lui aurais-je parlé de la même façon, si je l’avais su avant ?
Je trouve très présomptueux, quoique idéal, de répondre par l’affirmative.

D’un autre côté, réfléchir à froid sur une feuille, intellectualise beaucoup le lien médecin-patient qui est très instinctif.

L’aurais-je tant soutenu, jour après jour, alors que sa femme nous quittait ?

Encore aujourd’hui, je ne sais pas.
J'espère que oui, car c'est ce qui fait la différence entre nous.

10:35 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (3)

Commentaires

je trouve ton analyse très fine et realiste...
on est decu de l'image que nous renvoient ceux qu'on cotoie caqr on s'imagine de toutes autres choses "cette personne est gentille donc elle ne peut pas etre raciste ou voter fn..." et pourtant! oui, un francais sur quatre....c'est beaucoup...

Écrit par : elyz | 03/03/2005

notre vie "du dehors" intervient forcement dans notre relation avec nos patients. Souvent en bien , puisque le fait d'avoir une vie sociale, culturelle , sportive, associative, familiale, etc... nous aide a comprendre ce que vit le patient tous les jours et a mieux aprehender a quel point sa pathologie peut interferer avec son quotidien (cette sempiternelle empathie). En mal parfois, quand le patient revendique haut et fort des convictions contraires aux notres, meme si comme tu le dis cela ne joue pas forcement sur la qualite technique des soins, la relation humaine peut en etre parasitee, et du coup l'effet "medecin medicament" diminue.
Meme si nos convictions, nos opinions et nos croyances ne sont pas sencees intervenir dans nos soins, cela transpire forcement. Mais nos patients voudraient ils vraiment d'un medecin deshumanise?
Ha la medecine et ses interrogations constantes, c'est aussi cela qui me plait!

Écrit par : seb | 03/03/2005

pas plus tard qu'hier un jeune patients schizophrène très persécuté, m'a dit que je faisais une réflexion de gauchiste, et très vite s'est excusé. J'ai éclaté de rire et lui ai dit que pour moi, ça n'est pas une insulte... il était déboussolé... mais il a finit par accepter mes conseils, et augmenter son antipsychotique...
Des patients racistes et homophobes, voire des catholiques convaincus, j'en ai quelques uns. Et quand ils me posent des questions sur mes opinions, je leur répond qu'il n'aimeraient pas savoir...
Nous hélas, n'avons pas toujours le choix de savoir. Hésiterais-je à utiliser ma close de conscience pour refuser certains patients? Je ne sais pas. J'espère que la question ne se posera pas.

Écrit par : shayalone | 03/03/2005

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