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14/05/2006

Enée, c ki ?

Une patiente m’a donc donné une version modernisée de l’Enéide.

Le livre a été imprimé en septembre 1965. D’un format un peu supérieur à un livre de poche, sa couverture est blanche, cartonnée, et revêtue d’une représentation d’Enée et probablement de sa mère, Vénus. Le dessin sent bon les années 60, à défaut du bouquin qui sent, lui le vieux tabac (la patiente, multi-pontée des jambes est une fumeuse invétérée).

Le texte, sent lui aussi les années 50-60.

G. Chandon (je n’ai trouvé son prénom nulle part, peut-être ses parents l’ont nommé tout simplement « G » ??) note dans sa brève notice que

« Il nous est apparu que la jeunesse aurait profit, avant même que d’aborder l’étude des Classiques, à s’imprégner de ces récits héroïques où les Dieux et les Hommes voisinent dans une pittoresque simplicité ; et que les esprits de notre temps, comme ceux de tous les temps passés ou à venir, ne pouvaient que gagner à se familiariser, dès leur aube, avec les héros du grand Virgile. »

Phrase bien plus antique à mes yeux que les vers de Virgile.

Tout y est : de multiples virgules, quatre verbes conjugués et un point-virgule ; témoins d’une phrase longue inconcevable au temps du SMS et des phrases concises (j’ai failli taper « pensée concise »…).

En langage SMS, avec des pouces de compétition (313 caractères, avec les espaces) et avec un forfait platine, cela pourrait donner :

« i nou est apparu ke la jeunS orè profit, avan mem q dab0rdé létud d ClaSiques, @ simprégner d c résits hér0ïqus où les dieu i lè homm vwas1ent dan 1 pitoresqu simplicité ; e k' lé esprits 2 n0tr temps, co seu 2 ts ls tan passés ou @ vni, n pouvèe k ganier @ s familiariser, dé leur 0b, ave les hér0s du grd VirJle »

Le ton paternaliste et moralisateur me parait aussi incroyablement archaïque, bien qu’écrit il y a moins de 50 ans.

Ce qui détonne aussi, c’est le principe que ce qui a été, est et sera bon. Cela parait presque incroyable à notre époque d’incertitude, ou même ce qui vient juste d’être est déjà dépassé.

Etonnant aussi, cette notion acceptée que Virgile fasse partie des « classiques ». Aujourd’hui, ce serait plutôt Pierre Perret (Dan Brown dans 20 ans ?).

Même le non-dit date cet ouvrage.

Dans le texte original, Didon et Enée couchent ensemble dans une grotte, alors qu’ils ne sont même pas mariés (quelle horreur !!!) :

Didon et le chef des Troyens aboutissent dans la même grotte.
En premier lieu, Tellus, et Junon, qui préside aux hymens,
donnent le signal; les éclairs et l'éther complice ont brillé
pour les noces, et en haut de la grotte, les Nymphes ont hurlé.
Ce jour-là fut le premier qui causa sa mort et ses malheurs;
en effet, ni souci des apparences ni réputation ne lui importent,
et Didon désormais n'envisage plus des amours furtives :
elle parle de mariage, couvrant sa faute de ce nom.
(IV 165-172).

Heureusement, pour les yeux innocents de « la jeunesse », G. Chandon a totalement expurgé ce passage, certes pas très torride, mais moralement « sensible » il y a bien bien longtemps!

La suite du texte antique est même plus actuelle que la version « ad usum delphini » du brave G. Chandon.:

Aussitôt, la Renommée parcourt les grandes villes de Libye,
la Renommée, de tous les maux le plus véloce :
la mobilité accroît sa vigueur et la marche lui donne des forces;
petite d'abord par peur, elle s'élève bientôt dans les airs,
et, tout en foulant le sol, tient la tête cachée dans les nuages.
La Terre sa mère, par colère contre les dieux, l'a mise au monde
pour donner, selon la légende, une dernière soeur à Céus et Encélade;
rapide car dotée de pieds et d'ailes agiles, monstre horrible,
gigantesque; autant porte-t-elle de plumes sur son corps,
autant possède-t-elle sous ces plumes d'yeux vigilants (étonnant à dire !),
autant de langues, autant de bouches sonnantes, autant d'oreilles dressées.
La nuit, elle vole entre le ciel et la terre, grinçant dans l'ombre,
et ne ferme point les yeux pour se livrer au doux sommeil;
Le jour, elle guette, postée au sommet d'un toit
ou sur de hautes tours, et sème la terreur dans les grandes cités,
opiniâtre messagère d'inventions, de faux et de vérité.
Elle se plaisait à répandre partout les propos les plus divers,
et diffusait tout à la fois ce qui était et ce qui n'était pas arrivé :
Énée, un homme né de sang troyen, est arrivé,
et la belle Didon ne dédaigne pas de s'unir à lui;
maintenant, ils jouissent ensemble du long hiver, dans le luxe,
oublieux de leurs royaumes, et prisonniers d'une passion honteuse.
(IV 173-194).

Remplaçons « grotte » par cave, « Renommée » par portable/SMS et « royaumes » par quartiers, et l’on se retrouve avec une poignante histoire de banlieues, bien dans l’air du temps et surtout pleine d’émotion (très important) et prête à faire 4 pages dans VSD.

L’histoire n’est qu’un éternel recommencement !

   

Traduction trouvée ici.

19:10 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (4)

Commentaires

J'avoue avoir eu un mal fou à déchiffrer la version sms. Sachant qu'à 19 ans, je suis censée faire partie de cette génération assassine de la langue française, une grande question existentielle m'assaille : c'est grave docteur ?

..::"~'Ǻñ§Ξ'~"::..

Écrit par : Ange. | 16/05/2006

Bah, chaque génération a eu ses codes: javanais, verlan ,SMS...

Par contre, je ne sais pas si c'est l'amplification par le net, mais je trouve l'orthographe particulièrement malmenée...

Écrit par : Lawrence | 16/05/2006

Et maintenant, avez-vous trouvé le prénom de G. Chandon ? J'aimerais le connaître également pour mettre à jour mon fichier personnel de mes livres. Merci.

Écrit par : Dussartre | 13/11/2006

non, toujours pas!

Écrit par : lawrence | 15/11/2006

Les commentaires sont fermés.