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20/01/2007
Les différents visages de la vérité (1/3)
J’ai écrit cette série de notes pour relater une expérience, non pas pour en faire un exemple. Ni de ce qu’il faut faire, ni de ce qu’il faut pas faire.
C’est une situation qui est arrivée ou arrivera à tous les médecins (sauf peut-être les non cliniciens et les légistes), qui est chaque fois difficile et pour laquelle nous ne sommes pas préparés. Je veux parler de l’annonce d’un pronostic « réservé » à une famille, voire au patient lui-même.
Je me suis retrouvé aujourd’hui dans le cas assez rare d’avoir annoncé à différents membres d’une même famille un pronostic fatal à court terme, et de deux façons différentes.
Nous avons récupéré en rééducation respiratoire « préopératoire » un patient de 75 ans environ. Je mets préopératoire entre guillemets car la décision de remplacement valvulaire aortique était (et elle reste à cette heure-ci) encore en attente.
Ses antécédents comportent une néoplasie prostatique équilibrée sous hormonothérapie, une bronchite chronique post tabagique. Il présente un rétrécissement aortique extrêmement serré (0.4 cm²/m² à l’échographie) et une fraction d’éjection effondrée (25-30%).
Son état général est tout à fait médiocre, avec une marche difficile avec un déambulateur, une tendance nette à l’asthénie et une bradypsychie. Du point de vue cardiaque, il présente surtout des signes droits avec notamment des oedèmes des membres inférieurs. Il crépite finalement peu, ce qui est assez habituel dans ces formes extrêmes de bas débit cardiaque. Je pense aussi que ce bas débit explique tout à fait l’état général médiocre (c’est une des formes cliniques de l’insuffisance cardiaque chez le sujet âgé).
Les médecins du centre chirurgical qui nous l’ont adressé l’ont évalué mais n’ont pas formellement rejeté l’indication d’un remplacement aortique. La mortalité post opératoire de ce patient selon le score de Parsonnet est largement supérieure à 56% (j’obtiens 56-76% en fonction des critères parfois un peu subjectifs de ce score).
Une deuxième option est de tenter une valvuloplastie aortique percutanée par ballon pour faire « craquer » le rétrécissement aortique suivi par un remplacement aortique dans des conditions rendues un peu plus favorables par la levée partielle de l’obstacle aortique. Ce type de valvuloplastie est ancien, et reste réalisé à titre « compassionnel ». C'est-à-dire dans des cas désespérés, souvent chez des patients âgés et inopérables. La mortalité de la valvuloplastie seule (sans le remplacement qui suit) est importante (Cf. l’expérience du Texas Heart Institute ici) et les résultats partiels.
La troisième option est un remplacement valvulaire aortique percutané. La méthode est récente et réalisée principalement par une seule équipe à Rouen (ici).
La quatrième option est le traitement médical « simple » avec une augmentation graduelle des diurétiques pour tenter de diminuer les symptômes d’insuffisance cardiaque. La mort à court terme est inéluctable et pénible.
Nous avons amélioré son état respiratoire avec de la kiné, une antibiothérapie plus que probabiliste et une majoration notable du traitement diurétiques. Cette dernière a eu un coût puisque sa fonction rénale s’est altérée avec une clairance à 30 ml/min. Sa natrémie a aussi chuté. Son état général s’est dégradé depuis son entrée, il y a environ une semaine.
Nous avons donc fait le point ce matin, d’autant plus que la famille est très présente et inquiète.
Bien entendu, nous avons décidé de ne rien décider. Faire le Ponce Pilate dans cette situation est à la fois une décision logique et de bon sens. Logique car ce n'est pas nous qui allons prendre la décision. De bon sens, car cette dernière est tellement lourde pour le patient, sa famille et les soignants que nous n'avons aucune envie de la prendre. Et finalement, nous évitions de répondre à la famille et à ses angoisses en nous déchargeant sur cette fameuse décision "en attente". Bien sûr, nous gardions notre avis pour nous sur le cas de ce pauvre Monsieur. Nous pensions (et pensons toujours) que son cas était très largement dépassé et qu'il allait probablement décéder à court terme, et ce quelque soit l'option choisie. A partir de là, on pouvait lui proposer le "tout pour le tout" en l'orientant vers la valvuloplastie, mais toujours avec un espoir fort mince.
J’ai appelé le centre chirurgical pour le renvoyer pour réévaluation et prise de décision.
Mais c’était compter sans la famille…
00:45 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Je sens que l'épisode suivant va être moyennement drôle...
Écrit par : Jacques | 20/01/2007
"Et finalement, nous évitions de répondre à la famille et à ses angoisses en nous déchargeant sur cette fameuse décision "en attente". Bien sûr, nous gardions notre avis pour nous sur le cas de ce pauvre Monsieur. Nous pensions (et pensons toujours) que son cas était très largement dépassé et qu'il allait probablement décéder à court terme"
pourquoi ne pas lui dire la vérité à cet homme ? Ne rien dire, c'est laisser de faux espoirs à sa famille. On n'est jamais trop vieux pour comprendre son état de santé si on nous l'explique rééllement.
Pourquoi les médecins, de ville ou en hopital, ne veulent pas aborder la mort à court terme ?
Écrit par : cornichon | 20/01/2007
Je n'arrive pas à commenter.
Je ne peux rien faire sinon attendre la suite.
Écrit par : Serillo | 20/01/2007
Petite anecdote suite au commentaire de Cornichon, j'ai eu connaissance d'une histoire où un médecin a annoncé à la femme d'un malade qu'il était condamné. Celle-ci s'est empressée de liquider les affaires de la société de son mari, de vider les comptes, or un miracle! son mari s'en est sorti: il n'est pas mort. Résultat: le malade a fait un procès à l'établissement pour non respect du secret médical. Il est toujours très difficile de faire part d'un tel pronostic à la famille car on ne peut jamais savoir comment la famille va réagir. Quant au malade, comme chacun a une vision différente de la mort, il n'est pas évident, dans le peu de temps imparti aux personnels médicaux soignants, de pouvoir faire tous les profils psychologiques de leurs patients hospitalisés, à savoir s'ils peuvent ou non "encaisser" cette issue fatale.
Écrit par : MamzelleAllo | 21/01/2007
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