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22/01/2007

Les différents visages de la vérité (3/3)

Un peu plus tard, je rencontre la femme de ce patient, accompagnée de sa deuxième fille.

La femme ne dit pas grand-chose, je pense qu’elle a fait une partie du chemin.

 

La deuxième fille, la quarantaine, me regarde durant toutes mes explications renouvelées. Et elle pose les « bonnes » questions. Ce n’est pas que le reste de la famille en posait de « mauvaises », mais j’ai eu le sentiment net qu’elle voulait savoir et se doutait que nos paroles un peu berçantes cachaient plus de craintes que d'espérances.

A plusieurs reprises au cours de la discussion, j’ai eu envie de lui faire signe, de la prendre par le coude pour lui parler en particulier. Mais c’était impossible devant sa mère.

Nous nous séparons.

 

Elle tape à la vitre, seule, un peu plus tard.

 

Après une question alibi, nous parlons cartes sur table.

 

« Il va mourir à brève échéance, il est inopérable, seule une valvuloplastie pourrait être envisagée, mais il faut l’envisager  plutôt comme une manœuvre de la dernière chance. En  cas de succès, il restera le problème de ce ventricule gauche qui est atone et qui le restera probablement (il n’a toutefois pas eu d’échographie à la dobutamine pour estimer ce paramètre) ».

 

Elle me dit qu’un des médecins du centre chirurgical lui avait déjà laissé entrevoir cela, car sa mère est un peu  perdue et sa sœur « refuse d’écouter les mauvaises nouvelles ».

Elle me demande si elle peut partir en voyage de noces.

Je lui dis que oui, qu’il faut penser à elle et que son départ ne changera rien au devenir de son père, que cela ne fera pas d'elle une mauvaise fille.

J’ai alors eu une parole que j’ai beaucoup regrettée ensuite : « allez-y la messe est dite ».

J’ai réalisé ce que je disais en même temps. Trois ans de lycée privé catholique ont fait plus de dégâts que je n’aurais imaginé.

Heureusement, elle ne semble pas m’en avoir tenu compte.

Après un petit silence : « Merci de m’avoir dit cela. Mon premier mari est mort d’un cancer de la gorge et les médecins disaient que c’était grave, mais que ça allait aller. Quand il est mort au bout de 15 jours, je suis tombée de très haut ».

Pour le coup, c’est moi qui me suis tu.

17:15 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)

Commentaires

Tu sais quoi ? Je crois que je vais faire une sauvegarde de ton blog ! Si dans quelques années ma grande veut toujours faire toubib, ça pourra l'aider ;)

Écrit par : Jacques | 22/01/2007

merci pour cet histoire (haletante ...) en 3 épisodes qui illustre bien le fait qu'il n'y a pas qu'une vérité, mais des vérités ... celle du médecin, celle du patient, celle des proches et chacun avec son histoire personnelle, sa sensibilité s'arrangent pour trouver une vérité. Et il me semble qu'il n'y a pas de recette (ça serait trop facile !!) et que l'annonce d'une mauvaise nouvelle est toujours difficile et que celui qui n'a jamais cassé d'oeuf lui jette la première pierre! à ce propos ça me rappelle une interne de réa qui c'etait fait pourrir par le regulateur parce qu'elle avait annoncé le décés d'une maman, à ces enfants de 3 et 8 ans, juste aprés une réa rock n'roll ... j'en avais mal pour elle!

Écrit par : urgences matin | 22/01/2007

Ouh, les premières annonces de décès par un jeune interne de Réa...
J'expérimente, et c'est pas évident du tout..
En tout cas, belle note. Finalement, tu m'accompagne pendant toutes mes études... :)

Écrit par : pm. | 23/01/2007

salut Lawrence, tres interessé par ton histoire, et surtout pas le "probleme" de la Famille, parce qu' il faut quand meme se rappeler que c' est elle qui reste apres le decès!.. surtout, cela confirme une fois de plus qu' il n' y a pas "une" famille, mais "des" familles, c' est a dire des adultes les uns a coté des autres qui ont certes des chromosemes et un etat civil commun, mais de histoires adultes radicalement differentes parfois.. et qu' il faut savoir apprendre a percevoir au sein des familles les elements cles, les elements meneurs, ceux qui peuvent entendre et ne pas entendre.. et sans jamais rentrer dans l' histoire des familles, souvent douloureuse, comprendre que l' annonce d' une mauvaise nouvelle à une famille est un element charniere, qui peut aider comme faire beaucoup de degats.. il faut donc etre tres prudent, ne jamais s' avancer trop, le terrain de la verité est comme un veine , ca ne circule que dans un sens, pas possible de revenir en arriere.. il n' est pas né celui qui pourra dire qu' il sait faire, qu' il a la reponse a la question sur la verité au patient... ce que j' ai constaté souvent est l' importance de redire aux familles, en particulier aux conjoint(e)s qu' ils ne sont pas responsables de la maladie et de la mort d' un etre cher.. a bientot PH

Écrit par : péache | 23/01/2007

Les commentaires sont fermés.