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27/02/2007
La loi du profit (1).
Imaginez un grand cabinet d’avocats situé dans une mégalopole aux gratte-ciel racés de la côte Est. Un nom qui s’étale en lettres dorées : McKenzie, Brackman, Cheney and Kuzak (vous voyez à quoi je fais référence ?).
En tout cas, ça vous fait déjà plus rêver qu’un petit cabinet d’avocats situé au rez-de chaussée d’une maisonnette de Puteaux, annoncé par un plaque en plexi noire rayée : Algoud, Berey et Boitton.
Une jeune et jolie femme habillée de noir rentre dans une vaste salle de réunion dont les murs disparaissent derrière une bibliothèque contenant tous les arrêts de la Cour Suprême depuis 1492, reliés de cuir liégé vert.
Entre deux sanglots, elle raconte sa triste histoire.
Son mari, bien plus âgé qu'elle est mort d’un infarctus du myocarde après avoir pris pendant quelques semaines un médicament sorti récemment. Et comme on en parle de plus en plus dans des forums d’usagers sur le net et que l’affaire prend de l’ampleur, elle aimerait bien que le laboratoire adoucisse son chagrin par des espèces sonnantes et trébuchantes.
Parce que « Voyez-vous, vivre avec ce bon à rien n’a pas toujours été facile ; alors, pour une fois qu’il pourrait se rendre utile à quelque chose…. ».
Un jeune avocat idéaliste s’implique totalement dans cette lutte de David contre Goliath, afin de défendre la pauvre veuve contre l’infâme industrie. Et aussi parce que son ex-femme l’a saigné lors du divorce (d’un autre côté, elle l’a surpris au lit avec une presque mineure, heureusement que l’état civil mexicain manque singulièrement de rigueur…) et que la nouvelle a des goûts de luxe. Il se lance donc dans de dangereuses et trépidantes aventures afin de mettre à jour la Vérité à l'aide de son inséparable ami muet "Pic à glace"
Une firme pharmaceutique bien connue (appelons la « MPharma ») sort en 1999 une molécule qui va révolutionner le traitement de la douleur (appelons la « Rcb »). Aussi efficace que les produits existants, mais sans leurs effets secondaires parfois dramatiques.
Pour résumer, le jackpot.
Dès le début, en 1996-1997, une étude réalisée sur des volontaires sains montre toutefois une toute petite inquiétude de rien du tout. Rcb modifie un équilibre entre deux molécules qui pourrait majorer le risque de thrombose, et donc d’accident cardio-vasculaire. Les cadres de MPharma demandent aux auteurs d’être moins explicite dans leurs conclusions.
Par exemple la phrase « La biosynthèse systémique de XXX…a été diminuée par Rcb » a été remplacée par « Rcb pourrait jouer un rôle dans la biosynthèse systémique de XXX ». Ca fait moins peur, hein ?
Curieusement, les auteurs, employés par MPharma, ont obtempéré.
Ils ont néanmoins poursuivi leurs investigations dans ce domaine, sans toutefois que cela ait d’influence sur la mise sur le marché de Rcb.
MPharma, malgré la connaissance de ce risque potentiel n’a curieusement pas mis en place d’études spécifiques qui auraient permis de le démontrer. Enfin, si. MPharma a financé plusieurs études largement trop petites pour mettre en évidence ce risque. MPharma a ensuite poolé (anglicisme qui signifie littéralement « noyer des statistiques dans l’eau d’une piscine », méfiez vous toujours des résultats poolés…) ces études, forcément rassurantes mais petites, pour en faire une grosse, forcément bien plus rassurante. MPharma en a même fait un argument publicitaire : « Regardez, Rcb n’a aucune action négative sur le cœur, c’est génial !».
En janvier 1999, MPharma lance sa « grande » étude sur Rcb, celle qui va démontrer à tous à quel point Rcb est fabuleuse. Appelons cette étude « Rcbgénial ».
(Vous arrivez à suivre dans ces abréviations ? De toute façon, je continue quand même.).
Rcbgénial inclut 8000 patients. C’est énorme. Mais MPharma prend bien soin de ne pas analyser spécifiquement les risques cardio-vasculaires et de ne pas inviter de cardiologue au comité de surveillance de l’étude. On ne sait jamais…
Mais malgré toutes ces précautions, une première analyse de sécurité (novembre 1999) met en évidence un risque cardiovasculaire significativement majoré de 79% dans le groupe Rcb, par rapport à la molécule de référence.
Le comité de sécurité demande une nouvelle analyse intermédiaire en décembre 1999, qui confirme ce risque.
On ne va pas arrêter une si belle étude pour si peu, tout de même. Le comité préconise donc de la poursuivre et de mettre en place une analyse qui examinera cette majoration du risque cardio-vasculaire. En gros, les chiens aboient, la caravane boursière passe.
Heureusement, le responsable du comité de surveillance (censé être indépendant) a été « sensibilisé » au bien-être de MPharma puisque ses proches ont reçu 55000 euros d’actions et lui-même a été récompensé par un contrat de consultant pendant 2 années.
Suite de ce passionnant feuilleton un peu plus tard…
10:40 Publié dans Prescrire en conscience | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Avant même de lire la suite, j'ai tout de suite pensé au Vioxx.
Dans cette histoire, ce qui m'a le plus frappé c'est quand j'ai rangé la pharmacie de mes parents et y ai trouvé une vieille boîte de Vioxx. Non pas que je craigne un effet éventuel mais tout d'un coup, cette menace d'outre-atlantique a pris corps ici, chez moi.
Écrit par : Merlin | 27/02/2007
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