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13/04/2007

Comme tout le monde.

Je vais vous raconter une histoire que l’on m’a rapportée ce soir.

L’histoire se termine bien, en un sens.

 

Il était une fois (ainsi commencent toutes les bonnes histoires) un homme de 62 ans, sans antécédent particulier qui se plaignait d’avoir de grosses jambes.

Il va voir un médecin, une première pour lui, qui l’examine et lui trouve en effet de grosses jambes, mais aussi une ascite et un gros foie.

« Vous buvez ? » demande le praticien en connaissant déjà la réponse.

« Non, enfin comme tout le monde ».

« Mais oui… »

 

Le médecin l’adresse à un ami gastro-entérologue.

« Vous buvez ? »

« Non, enfin comme tout le monde ».

« D’accord…»

L’ami gastro-entérologue hoche la tête et annonce au patient qu’il a probablement une cirrhose hépatique. Il faut faire des bilans plus poussés, il l’envoie donc dans un gros centre privé (là même ou je fais mes gardes).

 

Il voit le résident du service.

« Vous buvez ? »

« Non, enfin comme tout le monde ».

« Pas un peu plus ? » lance-t-il au dessus de son épaule en sortant de la chambre, satisfait d’avoir vu une entrée de plus.

 

Le patient voit ensuite le chef de service.

« Vous buvez ? »

« Oui, je bois »

Le patron sourit, satisfait et programme les examens.

 

Le foie est en effet énorme, et qui plus est, une échographie cardiaque retrouve une hypertension artérielle pulmonaire sévère, à près de 80 mm Hg, avec des cavités droites dilatées.

« Oh, le beau cas d’hypertension porto pulmonaire, classique chez le cirrhotique sévère ! ».

Toutefois, les autres examens sont discordants : absence de varices oesophagiennes, pas de diminution spontanée du TP et surtout un cathétérisme hépatique qui ne retrouve pas de gradient porto-cave.

« Vous buvez bien ? »

« Bien oui, comme tout le monde ! »

 

L’hypertension artérielle pulmonaire assez conséquente motive une consultation cardiologique.

L’auscultation est normale, mais les signes évoquent plutôt, à bien y regarder, une insuffisance cardiaque droite sévère.

On programme un cathétérisme droit et un test au NO (monoxyde d’azote) qui est un vaso-dilatateur, afin de voir si l’on peut faire baisser les pressions, ou si elles sont fixées. Le cathétérisme confirme les 80 mm Hg, les pressions sont fixées et les pressions capillaires bloquées sont normales (ces dernières sont un reflet indirect de la fonction cardiaque gauche).

 

Le cathétériseur : « Vous fumez ? »

Le patient : « Oui, enfin, comme tout le monde… »

Le cathétériseur satisfait : « Haha ! On va faire une coro ! »

 

Les coronaires sont normales, mais à l’injection d’iode dans le ventricule gauche, le praticien met en évidence un passage discret, mais indéniable vers le ventricule droit.

Il s’agit donc d’une communication inter-ventriculaire probablement congénitale, passée totalement inaperçue durant 62 ans. Sa localisation, très apicale la rendait extrêmement difficile à voir en échographie cardiaque.

 

Vous allez me dire, pourquoi personne n’a entendu de souffle ?

Tout simplement car, au stade ou il a consulté, les pressions du cœur droit sont presque devenues égales à celle du cœur gauche, d’où diminution, voire disparition du shunt. C’est juste le stade avant l’Eisenmenger.

 

Tout les médecins, satisfaits d’avoir trouvé un diagnostic rare et beau se sont donc réunis autour du lit du patient pour lui annoncer la bonne nouvelle : il ne boit pas et fume raisonnablement, comme tout le monde.

Alors qu’ils allaient tous sortir, le patient, un peu impressionné mais content d’être enfin reconnu sobre, pense tout de même à poser à tout cet aréopage une dernière question :

« Et, c’est grave, ce que j’ai ? ».

Ils se regardèrent tous, consternés et gênés, puis le plus âgé et le plus sage des cardiologues lui demanda :

« Vous êtes croyant ? »

Le patient, qui avait compris, eut juste le temps de gémir un « Comme tout le monde… », avant que la porte ne se referme.

 

***********************

 

J’ai totalement inventé  certaines situations et les dialogues , notamment ceux de la fin, mais le cas clinique est vrai. Personne n'a encore eu le courage de dire au patient la vérité. On discute d'une transplantation coeur-poumons à 62 ans.

21:40 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (3)

Commentaires

Je comprend pas pourquoi ils peuvent pas refermer la comunication IV ? Après tout si le bonhomme a pas eu de problème pendant 60 ans, elle devait pas être si grande. Elle s'est agrandie ?

Et puis avec une HTA pulmonaire si ancienne il avait pas de problèmes respiratoires ? ou alors t'en a pas parlé ?

Écrit par : Niluje | 14/04/2007

Et bien, malheureusement, fermer le "trou" ne sert plus à rien. D'ailleurs, il n'y passe plus grand chose puisqu'on entend plus de bruit.
Les dégâts sur la vascularisation pulmonaires sont déjà fixés, irréversibles. Je pense que les signes sont apparus lentement, et tu sais que l'être humain, en général, supporte beaucoup de limitations de son activité physique et de son bien être avant de consulter.

Écrit par : lawrence | 14/04/2007

jamais vu mais probablement manqué puisqu ici de diagnostic ventriculographique et que dans un tableau analogue ma première crainte est le cpc post embolique avec peu de cathés derrière ,la messe étant dite, par contre x cia vieilllies de présentation masquée jusqu à 70 ans et plus découvertes sur les échos de réa respi; sinon plus un malade consulte tard plus il connait implicitement la vérité de son état donc on ne lui apprend que peu de choses,après des livres entiers sur l annonce des mauvaises nouvelles déja ne pas parler de greffe à quequ un qui ne sera pas inscrit normalement car morituri ou pas assez grave

Écrit par : doudou | 14/04/2007

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