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30/06/2007

Le maçon et le bord de la piscine.

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Journée chez des amis au bord de la piscine.

Toujours le même groupe d’amis, plus proches de ma femme que de moi, car ce sont nos enfants qui nous ont fait connaître à la sortie de maternelle.

Un couple de fonctionnaire (les hôtes) et un couple dont le mari est maçon et kabyle.

Ce maçon s’est bâti une situation à la force des poignets, en travaillant nuit et jour. Il aime étaler sa réussite : grosse voiture, belle maison, grande piscine, et nombreux arbres de plusieurs mètres de haut achetés à prix d’or chez le pépiniériste du coin (« pas envie d’attendre que ça pousse ! »). Il achète tout ce qu’il y a de plus cher, et nous le fait savoir.

Il a des idées bien arrêtées, et sans nuance. Un peu comme le sanglier qu’il aime chasser, il fonce sans discernement au travers de l’épaisseur de la vie.

Son principal problème est qu’il se fait fréquemment arrêter au volant de sa grosse voiture, car les pandores trouvent suspect qu’un « arabe » puisse se payer ce monstre. Ca l’énerve, d’autant plus qu’il déteste les arabes (je vous rappelle qu’il est kabyle).

Malgré sa grande gueule, il est attachant et le cœur sur la main.

Et j’aime bien quand il raconte avec force mimiques et moulinets des mains comment il a tancé le flic qui l’a interpellé dernièrement.

«Je lui ai dit, tu vois, une voiture comme ça, de toute ta vie, tu ne pourras pas te la payer, car toi, tu n’as pas des ampoules aux mains comme moi, mais aux lèvres, avec ton sifflet ».

Vous voyez le genre.

Il est fier de s’être fait lui-même, sans avoir étudié : « j’achète des journaux tous les matins, et je balance tout, sauf les pages sport ».

Cette après-midi, il a eu une parole « malheureuse ».

Il s’indignait que des dealers de banlieue puissent frimer en BMW.

« Toi tu es médecin, tu as fais des études, tu gagne le smic et tu es locataire, et tu vois un jeune passer devant chez toi en BMW, ça te fait rien ? »

 

Miroir intéressant.

Ma maison est en effet petite et un peu pouilleuse par rapport à la sienne (du type de celle que pourrait avoir un smicard, dans son esprit), et je suis locataire.

Bon, c’est un choix.

Je préfère voir ma famille et avoir du temps à moi que me tuer au travail, et je sais que je ne mourrai jamais de faim.

Mais le fait que cette remarque m’ait dérangé montre bien que je  n’assume pas entièrement ce choix. Confort de vie ou course au chiffre ? « Lauriers de cendres » ou petite vie modeste ?

Choix qui reste cornélien.

Il est en est à un stade ou la possession fait l’homme et où il bosse comme un fou pour bâtir. Et moi, ou en suis-je ? Je suis fils unique d’une famille aisée (qui a bossé comme lui bosse maintenant), et je peux me permettre de ne pas travailler comme un fou, et j’en profite.

Mais je me demande aussi si je ne suis pas le «Buddenbrook » à partir tout va s’écrouler. « Les Buddenbrook », c’est un livre qui m’a glacé quand j’étais adolescent. Maintenant, je comprends que ce n’était qu’une anticipation de mes craintes actuelles.

 

Je n’ai pas osé lui dire que je gagnais un multiple du smic, de toute façon, cela aurait été moins que lui, et il n’aurait pas compris que je ne le montre pas plus.

Car il y a aussi cela dans sa remarque.

Je me montre, donc je suis. Si je ne me montre pas, je ne suis rien.

Comment lui expliquer que la richesse de la vie, c’est aussi autre chose que la « caillasse », comme il dit.

Sa réussite ne m’éblouit pas, elle ne me rend pas jaloux non plus. Il a réussi à la force du poignet et il la mérite.

Disons que son côté « m’as-tu vu » énerve un peu ma personnalité lyonnaise psychorigide.

Mais surtout, comme tous ceux qui foncent sans réfléchir et sans avoir de culture (mon grand-père était exactement comme lui), il fait s’interroger ceux, qui comme moi pèsent et balancent tout consciencieusement à l’aune de ce qu’ils savent.

N’auraient-ils pas raison, eux ?

Je pense que c’est là justement que ce trouve le véritable sens du « Beati pauperes spiritu » (« Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux! ». Traduction Louis Segond. Doudou va encore dire que je suis un horrible parpaillot !).

Vous voyez, ça ne me profite pas, les après-midi avec les amis au bord de la piscine. Elles me poussent à l’introspection (et sur ce blog, qui plus est) !

 

Et le pire, c’est que la prochaine fois, c’est lui qui invite dans sa maison hollywoodienne. Il va falloir que je cultive mon stoïcisme avant d’y aller.

 

Et devinez quoi, le pire de tout c’est que j’ai honte de tous les inviter chez moi.

Commentaires

Je n'ai pas les sous pour me montrer autant (eh oui étudiant infirmier c'est pas bien rémunéré), je ne sais donc pas ce que je ferais si je pouvais me payer tout ça. Je ne viens pas d'un milieu aisé, mais je sais que je préfere me lever le matin en étant heureux d'aller étudier, mais surtout profiter de la vie, sortir, m'amuser (bon c'est peut-être du à mon âge aussi :) )

D'un autre côté, ca me fait penser à Coluche :

A toi l’enfant qui vient de naître,
Je dois dire pour être honnête
Que ce n’est pas en travaillant
Qu’on trouve le bonheur sur Terre.
J’en veux l’exemple que mon père
Qui vit le jour d’son enterrement
Qu’il était l’plus riche du cimetière.

Écrit par : Rightwolf | 30/06/2007

C'est l'éternelle question qui se pose en médecine (et partout ailleurs...), jusqu'où faut-il aller dans le travail, la carrière ? Entre travailler 35h pr gagner une misère et dédier sa vie à sa carrière sans avoir le temps d'en profiter, il doit y avoir un juste milieu. Et ce choix ne doit pas se faire en fonction des autres. On trouve toujours plus riche que soi.

Écrit par : Matthieu M. | 30/06/2007

Bon, ce qui est important là dedans est de bien comprendre qu'il ne faut jamais s'acheter de BMW.
quelle faute de goût :p

Plus sérieusement (quoique) très bon billet, et l(éternelle question reste en suspens... il doit y avoir plusieurs façons d'être heureux.

Mais quand je lis ça
"Ce maçon s’est bâti une situation à la force des poignets, en travaillant nuit et jour."
J'ai du mal à le concevoir autrement que comme un trouble du comportement. Pour certains le travail doit être ou devenir une drogue comme pour d'autres le sport, le sexe, la lecture, le cannabis, les TOC.
Une structure mentale.

Écrit par : Brg | 30/06/2007

Moi, j'ai choisi d'être un médecin pauvre, avec du temps. Le plus dur n'est pas le manque de moyens dans sa vie personnelle, parce qu'on vit très bien sans BM , et les gourmettes en or, ça s'emberlificote tout le temps dans le stétho. Non, ce qui est dur, c'est le manque de moyen dans sa vie professionnelle, au point d'en compromettre l'exercice. C'est dans mon bureau que j'ai honte d'inviter des gens.

Écrit par : anita | 30/06/2007

J'ai un peu ce genre de choix cornélien à faire ces jours-ci : choisir entre un boulot d'architecte de systèmes d'information pépère dans la maison grand mère du groupe, confortablement rémunérateur et contrôlable, et jouer les porte flingues technologiques de porteurs de titres à rallonge dans le fleuron du groupe, probablement beaucoup plus rémunérateur à terme, en tous cas plus glamour mais incontrollable en terme de sollicitations...
Moi qui ai jusqu'alors choisi de gagner moins pour travailler (un peu) moins, je comprends assez bien ta position, qui n'est parfois pas simple à tenir (il y a pire dilemme, entendons nous bien...!)

Écrit par : Jacques | 30/06/2007

Bonjour Laurence,

Votre route est la bonne... votre médecine est humaine... votre attitude réconcilie avec la vie :-)

Écrit par : André | 30/06/2007

C'est valable pour de nombreux métiers, dont l'informatique. Certaines personnes me reprochent de rester un employé qui fait ses 38h au lieu de me mettre à mon compte et bosser jour et nuit pour gagner beaucoup plus.

Moi au moins, dans 15 ans, ma fille ne me reprochera pas d'avoir été un bourreau de travail jamais disponible.

Je connais aussi un maçon qui a bien réussi en travaillant dur. Mais il n'en rajoute pas pour autant. La BMW et cette volonté de rabaisser l'autre comme ça, ça me dit surtout que ce type a un problème qu'il essaye de cacher derrière sa réussite. Je serais d'ailleurs curieux de savoir ce qu'en pense sa femme.

Écrit par : Merlin | 01/07/2007

quel bonheur ce post !
tous les medecins ne courent donc pas apres l'argent... ca fait plaisir

Écrit par : nine | 01/07/2007

Merci pour vos messages!
Halte aux idées préconçues ! Les médecins ne sous pas avides et sans scrupules !

>Merlin: sa femme, comme prévu est soumise et discrète.

Écrit par : lawrence | 01/07/2007

Je suis d'accord avec vous, quand on a sa douce, son fils, des bons copains, une maison envahie de plantes vertes et une voiture que peut-on demander de mieux?
Continuez comme ça!

Écrit par : david vincent | 01/07/2007

Effectivement, ça interroge... Je suis sur la meme route. C'est toute une éducation, je ne perdrai jamais la valeur de l'argent durement gagné. Meme si j'ai de l'argent, je ne le jetterai pas par les fenetres...
Dans ma boite, je sentais bien qu'on ne comprenait pas que je ne change pas ma 205 cabossée. Mais moi je m'en fous, c'est juste un moyen de transport et elle ne me coute rien cette caisse.. Et je n'aurai pas besoin d'une grosse voiture parce que j'ai une grosse poussette... Une écharpe ça prend si peu de place.
Nous sommes à la recherche d'autre chose, d'un autre équilibre. Je ne veux pas voir m'échapper ma vie en m'enchainant au matériel.

Écrit par : Eosine | 01/07/2007

regrets éternels: ne pas pouvoir lire le blog de Montaigne ! alors quelques réflexions en essayant de cheminer du particulier à l'universel:un beau cas où l'ouverture à l'autre oblige à la réflexion au delà de la psychologie apparente des acteurs,ici une référence La distinction de Pierre Bourdieu meme si les exemples sont datés la démarche me semble toujours opérative,
qui n'est pas né avec du capital social, n' a pu obtenir un bagage scolaire et culturel,n'a d' autre choix que d'amasser le fric pour espérer un minimum de reconnaissance,avec l' amplification de l'immigration,du miroir colonial qui a joué un peu sur l'opposition mauvais arabe-bon kabyle, bien sur celà ne marche pas facilement voir la figure du parvenu dans la littérature depuis le bourgeois gentilhomme,donc amicalement le persuader de l'intéret pour son fils de préparer polytechnique dès la maternelle,à suivre le médecin,le travail,l'argent

Écrit par : doudou | 01/07/2007

jusqu'à la fin des années 70 le médecin me semble l'exemple historique du notable,formé strictement du lycée à la faculté dans l'esprit d'un cadre essentiel de la nation ,il assume son role sans état d'ame dans l'excès de travail contre beaucoup de reconnaissance et d'argent,tableau comme toujours à moduler du généraliste rural au grand spécialiste urbain,depuis baisse majeure des revenus,du statut social sans misérabilisme,donc du sentiment de responsabilité collective,dans un monde où il semble incongru d'avoir d'autre horizon que le bonheur individuel !( quelle horreur pour le parpaillot culturel que je suis !),le seul problème vis à vis du choix de travailler moins au delà de ses joies personnelles et des tracas financiers va etre la crise démographique, je sens parfois des propos de praticien de grande ville avec des petits malades;allez dire non dans un bled pour une cataquand vous connaissez toute la famille !viendra un jour où les jeunes planqués de certains hostos travailleront ! 94 % des cardios à qualification plus deux ans

Écrit par : doudou | 01/07/2007

Belle analyse, Doudou!

Écrit par : lawrence | 02/07/2007

La réponse à cela est en partie dans leur histoire :
Lawrence se dit d'une famille aisée, sa distance (en millimètres…?) par rapport à l'argent est-ce sa manière de tuer le père ?
Le maçon a plusieurs revanches à prendre : ethnique, historique, sociale, tout cela étant un handicap. Il a réussi, et dans un métier où la plupart ne récoltent que les ampoules.
Ce qui lui manque, c'est la forme pour montrer sa réussite. Cela viendra, mais probablement au travers de ses enfants: il a peut-être un fille qui se nomme Laurence…

Écrit par : EPO | 02/07/2007

Moi je comprend ton maçon... je suis sa petite fille, et presque sa fille. Je n'ai connu mes parents qu'au boulot jusqu'à ce que je parte de la maison, où je vérifie qu'ils sont là avant d'aller les voir...
Ils ont trimé, triment toujours, et ne sont toujours pas riches, même s'ils ne sont plus à plaindre... Mais je garde en tête les choix qu'il fallait faire, on ne pouvait pas tout avoir comme mes copines...
Ils ont payé sans sourciller mes études...
L'argent me rassure, aujourd'hui. Plus j'en gagne, plus je me libère de mes peurs, plus je me fais plaisir avec. Mais pas besoin de le montrer aux autres, qui de toute manière n'imaginent même pas que mes parents, ces enfants d'immigrés au teint blanc, n'ont pas le bac!

Écrit par : shayalone | 02/07/2007

rester ouvert sur le monde, curieux des autres, curieux de tout, garder l'enthousiasthme des premiers jours et le transmettre a ses enfants, c'est ce que m'avait dit mon pére (qui dans un autre registre est une sorte de self made man, plus sur le versant intello que fric), au cours d'une discussion alors que j'avais un peu la même angoisse de "chute sociale" pour mes "descendants" ... Et à l'aune de son exemple je ne rejoins pas doudou, le seul choix quand on ne nait pas auu bon endroit, la seule revanche sociale n'est pas forcément celle du fric, elle peut être culturelle, artistique, ou intellectuelle ...

Écrit par : urgences matin | 03/07/2007

je n'ai pas dit celà,c'est simplement la plus facile actuellement alors que l'ascenseur social par la voie scolaire est en panne,qu'il n'y a plus d'approche possible de la culture savante avant les classes prépas,de meme pour l'opposition entre activité artistique et culture populaire ie médiatique

Écrit par : doudou | 03/07/2007

Amusant, le point qui me choque n'est pas celui sur lequel rebondissent les commentateurs précédents : pour moi, des gens qui me donnent honte d'être ce que je suis, ne sont pas des ami-e-s.

Écrit par : Solveig | 10/08/2007

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