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28/12/2007

Les guildes et les médecins.

Ce matin, je voulais vous présenter une étude parue dans « The Annals of Internal Medicine » le 4 décembre dernier.

Mais le temps m’a manqué et je n’ai lu que l’éditorial rédigé par un certain Harold C Sox.

 

Ce médecin compare l’évolution actuelle de notre profession et l’évolution des guildes au Moyen-âge.

Sur le coup, je n’ai pas trouvé cette image très pertinente, jusqu’à ce que, un peu par hasard, j’en discute plus tard avec un jeune infirmier.

 

Tout d’abord, comme souvent, l’auteur de l’éditorial est américain. Il décrit donc une réalité qui n’est pas tout à fait la même que chez nous, à la fois sur le plan structurel et des mentalités.

Mais je n’en trouve pas moins intéressante cette comparaison, d’autant plus que les Etats-Unis sont assez souvent un reflet de notre avenir, pour le meilleur et pour le pire.

 

Pour ceux qui pensent que le Moyen-âge est fidèlement décrit dans le « Seigneur des Anneaux », une guilde (ou corporation) était un regroupement fermé de professionnels ayant des règles et des privilèges précis (notamment le monopole de fabrication et/ou de vente accordé par la municipalité, voire le Roi).

Je ne vais pas paraphraser plus longtemps l’article de Wikipedia, jetez-y un coup d’œil.

 

Ces professionnels se cooptaient, se devaient assistance, avaient des rites et des coutumes qui faisaient que chaque individu devait œuvrer pour le bien commun, pour la défense des intérêts de la guilde.

Une confrèrie, en sorte.

Monopole d’exercice, cooptation, rituel d’intronisation, confrèrie, confrère…

Vous voyez où je veux en venir ?

Notre profession n’est rien d’autre qu’une guilde, régit par un code de déontologie et un Conseil de l’Ordre.

La cooptation ?

Assez souvent médecin est issu de médecin, et si les concours donnent l’illusion d’une ouverture au monde extérieur, chacun sait que l’Hôpital sélectionne plus ou moins ouvertement ceux qui vont appartenir au sérail, quitte à modeler les individus.

Pour couronner ces longues années d’apprentissage (où, je cite Wikipedia «ils [les apprentis] ont très peu de droits, mais beaucoup de devoirs, ils sont tout en bas de l'échelle », vous voyez de qui je veux parler…), l’apprenti-médecin est consacré par ses « Maîtres » au cours d’un magnifique rituel d’initiation en costume, s’il vous plait.

 

Les guildes ont disparu au XVIIIème  sous les coups de boutoir du mercantilisme, et le développement du commerce.

 

Ce sont le manque d’investissement, et la sclérose du système des guildes qui ont conduit à leur disparition. Le commerce et les échanges ont permis de produire plus, parfois mieux, et à plus faible coût. Chaque fabricant étant aiguillonné par la concurrence, contrairement aux guildes où tout le monde (en tout cas les maîtres) avait son petit pré carré bien tranquille. Le pouvoir, qui leur était initialement favorable a finalement signé leur arrêt de mort en 1791, séduit par la liberté d’entreprise prônée par Turgot et consorts.

 

Quand est-il de notre profession ?

Elle ne sera pas poignardée par les méchants capitalistes, en tout cas, ce ne seront pas eux qui frapperont en premier.

Le monopole de l’exercice de la médecine, le faible nombre de médecins, la longueur des études médicales concourent à rendre de plus en plus difficile la satisfaction de la demande de soins de la population générale.

Et vous savez tous que cela ne va faire qu’empirer avec les années. La lecture de le l’Atlas de la démographie médicale de 2007 est édifiant. Cinquante pour cent des cardiologues masculins ont plus de 50 ans. Qui va les remplacer dans 10-15 ans ?

Par ailleurs, nous coûtons cher. Notre niveau d’étude, notre pouvoir décisionnaire encore largement intact augmentent une facture qui gonfle déjà mécaniquement avec l’âge de la population et le coût de plus en plus important des avancées techniques.

On ne peut pas non plus « importer » larga manu des médecins étrangers.

 

Tout pousse donc vers une « libéralisation » de notre profession, avec un glissement de nos compétences vers des professions aux parcours moins longs, donc moins coûteux et qui plus est, plus facilement "maniables" ; les infirmiers/infirmières, par exemple.

D’ailleurs, la tendance n’est-elle pas de faire rentrer ces derniers dans un cursus universitaire ? Les IADEs peuvent déjà effectuer légalement des actes d’anesthésie, les IDE bientôt prescrire certains dispositifs médicaux, et ne parle t’on pas de remplacer le cardiologue échographiste par un technicien (les « sonographers ») ?

Si j’osais une comparaison qui ne se veut pas du tout méprisante (mon infirmière d’épouse peut en témoigner) : la stalactite et la stalagmite se rejoignent.

 

Quand à notre pouvoir décisionnaire, il est au milieu des recommandations, comme on peut l’être en plein coeur des sables mouvants. A la limite, je me demande si nous ne serions pas sur-diplômés pour appliquer des recommandations à la lettre. Faut-il vraiment 11 ans d'études pour prescrire (ou non) un traitement pour prévenir les épisodes thrombo-emboliques chez un patient en fibrillation auriculaire lorsque l'on a sous les yeux ce type de document ? Est-ce qu'un professionnel de santé non médecin, ou un médecin avec un cursus universitaire abrégé ne serait pas capable de le faire (un médecin "fast track"). Mais c’est un autre problème.

 

Je vois que quelqu’un au fond de la classe voudrait que je dise un mot sur les méchants capitalistes qui vont nous achever.

Je vois, je vois dans ma boule de cristal un autre glissement, horizontal celui-ci, la privatisation d’une partie de l’assurance maladie.

Une protection minimale, de type « string » pour tous, notamment les plus démunis et les assurances privées plus ou moins protectrices pour ceux qui pourront se le permettre.

Et là, ce sera le pompon. Non seulement le médecin aura au dessus de sa tête l’HAS ou une de ses émanations et ses multiples  recommandations/accréditations mais aussi et surtout les assurances privées qui ne vont pas se priver de lui faire baisser son coût de revient à coups de pied dans le derrière.

 

 

Je n’arrive pas à entrevoir d’avenir bien réjouissant pour notre profession. Comment résoudre cette quadrature du cercle ?

Petit espoir, je suis de nature assez pessimiste…

 

Conclusion empruntée à l’auteur de l’éditorial :

« The parable of the craft guilds teaches us that community institutions, such as the professions, must adapt or wither. »

 

S'adapter ou disparaître, éternel problème...

 

Bonne nuit à tous.

 

 

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Sox, HC. Medical Professionalism and the Parable of the Craft Guilds. Ann Intern Med. 2007; 147: 809-810.

 

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Edition du lendemain à 6h50:

Je viens de me re-relire, et avant de me faire crucifier par des collègues bien pensants, je tiens à préciser que je n'adhère pas du tout au sacrifice de nos statuts. Je ne suis pas le Clodius de la Médecine.

J'essaye simplement d'imaginer ce qui risque de nous arriver.

 

23:45 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

Très intéressant Lawrence ! parfois je me surprends à prendre un regard extérieur et observer cette étrange communauté...

Par ailleurs, mon inconscient a parfaitement integré le concept de "guilde" étant donné que je fais souvent le même rêve depuis que j'ai commencé ces études, à savoir, je fais partie d'une communauté, nous sommes tous enfermés sur le même "campus" et allons à l'hopital tous les matins; ces rêves sont toujours empreints d'angoisse provoquée par l'absence de liberté qui y règne !

Enfin, hein, ça fait réfléchir sur l'avenir de la profession, et les conditions d'exercice futures ! : /

Écrit par : Sevi | 29/12/2007

Très juste comme note.
J'aurais juste ajouté le versant législatif qui tend à modifier les rapports médecin-société-patients...cf les dernières lois (dont la fameuse "lettre" du patient de réa...)

D'autre part l'esprit corporatiste aura un autre "ennemi" : la féminisation de la profession. Ce n'est pas du sexisme, une simple constation que les femmes n'ont pas les mêmes aspirations que les hommes (enfants, temps de travail, famille etc.)

Pour moi notre guilde disparaitra car le conseil de l'Ordre ne sert pratiquement plus à rien face à d'autres instances. Les syndicats sont plus que dispersés. L'opinion franchement "contre" le corps médical. Justice, politique, capital etc.

Le pire pour moi c'est l'absence d'unité au moment où on en a le plus besoin.

D'autre part une nation, une civilisation même, ne peut exister sans "métiers cadres" dont policiers, magistrats, médecins, enseignants, fonctionnaires etc. Et ces métiers vivent tous une crise sans précédents !
On déteste les toubibs pillant la Sécu...pareil pour les flics, les enseignants glandeurs, les fonctionnaires...

Bref.
Avant on était fier d'être paysan ou ouvrier, artisan, restaurateur/cuisinier, d'être prof, d'être policier, d'être médecin, juge, fonctionnaire, chercheur....
Désormais avec le secteur tertiaire, tous ces métiers ont perdu de leur prestige et de leur force. Maintenant, il faut être dans le commercial, le marketing, la vente, la banque, les services, le titre idéal étant celui d'ingénieur dans un domaine qui rapporte gros.

Écrit par : serillo | 30/12/2007

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