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19/08/2008
Seeding trials.
J’ai découvert cette notion en lisant un article de Hill et al. dans « Annals of Internal Medicine », découvert grâce à cette note du blog santé du « Wall Street Journal».
L’article dissèque une pratique de l’industrie pharmaceutique qui consiste à organiser des essais thérapeutiques afin d’inciter les médecins inclus comme investigateurs à prescrire une nouvelle molécule, et secondairement à faire prescrire cette molécule à des confrères proches.
Ces « seeding trials » (de seed, semer) n’ont pas pour but de répondre à une question scientifique, ni de faire avancer la médecine, mais seulement à recruter des prescripteurs en leur offrant la possibilité prestigieuse entre toute de faire partie d’un grand essai clinique, et de pouvoir utiliser avant tout le monde une molécule nouvelle.
Le médecin, entraîné dans un essai rétribué, illuminé de prestige, croyant être impliqué dans l'avancée de son Art, alors qu'il n'en est rien, a en général une très haute considération pour la molécule étudiée. Il va donc la prescrire larga manu quand elle aura son AMM, et fera partager son expérience positive à ses amis confrères.
L’étude disséquée est ADVANTAGE, sortie en 2003. Le laboratoire a mis en route cette étude officiellement pour comparer la tolérance gastrique du Vioxx par rapport à un anti-inflammatoire classique. L'essai VIGOR avait déjà répondu en grande partie à cette question 3 ans auparavant, donc l'intérêt scientifique de ADVANTAGE était particulièrement discutable.
Kevin P Hill et son équipe ont participé aux procès fleuves du Vioxx aux Etats-Unis du côté de l’accusation. Ils ont eu donc accès à l’ensemble des pièces à conviction, rapports internes, mails, mémos (disponibles ici)
Les vrais auteurs de ADVANTAGE étaient des employés du laboratoire. Toutefois, pour rendre l’étude plus crédible et prestigieuse, ce dernier l’a proposé « clefs en main » à un universitaire américain, le Dr Jeffrey R Lisse qui en est le premier auteur.
Ce dernier n’a rien eu d’autre à faire qu’à signer en bas de l’article.
Comme il l’a déclaré au New York Times en 2005 (cité dans l’article de Hill et al.) :
« Merck designed the trial, paid for the trial, ran the trial. Merck came to me after the study was completed and said, "We want your help to work on the paper." The initial paper was written at Merck, and then it was sent to me for editing. »
Si ce concept d'écriture en sous main vous intéresse, je vous conseille la lecture de cet article.
Plus exactement, c’est le service commercial du laboratoire qui a mis au point cet essai « dans un temps record » (conception en janvier 1999, premier patient inclus en mars 1999).
Les auteurs de ce « coup » ont même été récompensés par un prix interne au laboratoire.
Le second paragraphe du texte de la nomination pour ce prix est assez lumineux : les généralistes prescrivent beaucoup et ils se sentiront particulièrement flattés de participer à un grand essai clinique (« susucre », si vous me permettez).
Ils n’y sont pas allés de main morte. Devinez combien de centres (avec autant d’investigateurs) pour colliger les données de 5557 patients ? 600 centres !
Dix patients par centre pour une population de patients pourtant très répandue …
Certains cadres du laboratoire s’inquiètent quand même des risques que font prendre ces essais « intellectuellement redondants », car ils pourraient fournir à la FDA des données qui pourraient ne pas aller dans le sens du laboratoire. Bien sûr, personne ne mentionne les risques qu'ils font courir aux patients inclus dans l'essai:
« [T]he reason we have resisted doing large marketing clinical studies is just this. It opens a lot of data to FDA that compromises the large clinically meaningful trials. Small marketing studies which are intellectually redundant are extremely dangerous and the PAC [Products Advisory Committee] system with the marketing emphasis in CDP [Clinical Development Program, a part of Merck's Marketing Division] on all their studies opens Pandora's box which we have urged against from the beginning of time. Their budget is now 179 million for CDP—as much as our phase 2/3 new chemical entities used to be. I have told [another Merck colleague] I think it is wasteful. »
En l’occurrence ce cadre a eu raison puisque ADVANTAGE a confirmé la majoration du risque cardiovasculaire du Vioxx mis en évidence dans l’essai VIGOR.
Les auteurs de ADVANTAGE ont pourtant « curieusement » omis cette majoration du risque dans leur papier, mais malheureusement pour eux, cela c’est vu.
Il me faudrait plusieurs notes pour décortiquer le travail de Hill et al, je vous conseille donc de vous faire votre propre idée, de le lire (il est en accès gratuit), de relire ADVANTAGE avec un autre œil, et de rester vigilant dans le choix de vos sources d’informations médicales.
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Harold C. Sox and Drummond Rennie. Seeding Trials: Just Say "No". Annals 2008 149: 279-280. (l’éditorial très virulent de l’article de Hill et al.)
Hill KP, Ross JS, Egilman DS, Krumholz HM. The ADVANTAGE seeding trial: a review of internal documents. Ann Intern Med. 2008;149:251-8
Jeffrey R. Lisse, Monica Perlman, Gunnar Johansson, James R. Shoemaker, Joy Schechtman, Carol S. Skalky, Mary E. Dixon, Adam B. Polis, Arthur J. Mollen, Gregory P. Geba, AND for the ADVANTAGE Study Group. Gastrointestinal Tolerability and Effectiveness of Rofecoxib versus Naproxen in the Treatment of Osteoarthritis: A Randomized, Controlled Trial. Annals 2003 139: 539-546.
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Modification du 21/08/08:Pour être complet et objectif, la réponse sous forme de lettre ouverte du laboratoire.
17:48 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)
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