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02/09/2008

C’est un miracle !

Parfois, certaines firmes pharmaceutiques sont prévisibles.

Vous vous dites : « je suis absolument sûr que cette firme va interpréter d'une telle façon cet essai clinique négatif, qu’elle va réussir à le rendre positif ».

Qui plus est, elle va non seulement le rendre positif, mais aussi vous faire croire que le médicament de cet essai est quasi miraculeux, et que bien sûr, vous êtes un assassin si vous ne le prescrivez pas à vos patients sur le champ.

 

Et quand ça arrive, bien que vous l’ayez prévu, vous vous dites, ce n’est pas croyable, c’est absolument énorme.

Voici un exemple très récent. Vous allez voir, je vais vous faire rêver.

 

En ce moment se déroule à Munich le congrès de l'ESC, qui rassemble la fine fleur de la cardiologie mondiale (c’est pourquoi je n’y suis pas !) .

 

Le 31 août, les résultats de l’essai « Beautiful » (référence NCT00143507 sur clinicaltrial.org) ont été présentés. Cet essai et un essai ancillaire vont paraître dans le Lancet, ils sont d’ailleurs disponibles dès maintenant sur le net.

L’essai compare l’effet de l’ivabradine contre un placebo sur la mortalité d’origine cardio-vasculaire et la morbidité chez 10917 patients coronariens stables et porteurs d’une dysfonction ventriculaire gauche systolique.

 

Les critères de comparaison sont les suivants :

 

  • Un critère primaire composite: mort d’origine cardio-vasculaire + admission à l’hôpital pour un épisode d’insuffisance cardiaque (premier épisode, ou aggravation)
  • Huit critères secondaires :

1) mortalité toute causes, mortalité d’origine cardiaque (infarctus, insuffisance cardiaque, ou décès au cours d’une procédure cardio-vasculaire),

2) mortalité d’origine cardiovasculaire (mort d’origine cardiaque, mort par arythmie, mort par accident vasculaire cérébral,

3) autres morts vasculaires, mort subite de cause inconnue) ou admission à l’hôpital pour un épisode d’insuffisance cardiaque,

4) admission à l’hôpital pour infarctus du myocarde fatal ou non ou angor instable,

5) revascularisation coronaire,

6) mort d’origine cardio-vasculaire,

7) admission à l’hôpital pour insuffisance cardiaque,

8) admission à l’hôpital pour infarctus du myocarde.

 

Je vous livre les conclusions publiées par les auteurs dans le Lancet :

 

Reduction in heart rate with ivabradine does not improve cardiac outcomes in all patients with stable coronary artery disease and left-ventricular systolic dysfunction, but could be used to reduce the incidence of coronary artery disease outcomes in a subgroup of patients who have heart rates of 70 bpm or greater.”

 

Pour le même prix, je vous livre aussi les conclusions de l’essai ancillaire dont le seul but était l’analyse de la fréquence cardiaque comme facteur pronostic dans le groupe placebo :

 

“In patients with coronary artery disease and left-ventricular systolic dysfunction, elevated heart rate (70 bpm or greater) identifi es those at increased risk of cardiovascular outcomes, with a diff erential eff ect on outcomes associated with heart failure and outcomes associated with coronary events.”

 

 

Autrement dit, si l’on considère les conclusions de l’essai principal, l’ivabradine n’améliore ni le critère principal, ni les critères secondaires sur l’ensemble de la population étudiée par rapport à un placebo.

Dans une sous population définie avant le début de l’étude (les patients ayant une fréquence cardiaque de base supérieure ou égale à 70 bpm), l’ivabradine n’améliore pas non plus le critère principal, mais améliore les trois critères secondaires suivants : admission à l’hôpital pour infarctus du myocarde, admission à l’hôpital pour infarctus du myocarde fatal ou non ou angor instable et revascularisation coronaire.

 

Je vous rappelle qu’une étude ne répond qu’à une seule question : celle à laquelle la comparaison du critère principal permet de répondre.

Les critères secondaires portent bien leur nom, ils ne sont que secondaires.

Ils permettent de préciser quelques points, d’étoffer la conclusion, de surveiller la tolérance, mais ils sont et doivent rester ce qu’ils sont, c'est-à-dire secondaires. Parfois, si la positivité d’un critère secondaire est inattendue, intéressante, on pourra alors reprendre ce critère au cours d’une autre étude et le mettre en critère principal.

Un exemple : l’étude ELITE 1 dont un critère secondaire positif (une différence de mortalité entre le captopril et le losartan) a conduit à mettre en route ELITE 2 pour le confirmer, cette fois en critère principal. Manque de chance, ELITE 2 est revenue négative et n’a donc pas confirmé ce fameux critère secondaire.

 

Donc pour moi, l’ivabradine n’améliore pas le critère principal ni dans l’ensemble de la population, ni dans le sous-groupe pré spécifié. Ce médicament ne fait donc pas mieux que le placebo dans cette indication. L’ivabradine améliore potentiellement 3 critères secondaires, mais il faudra le confirmer par des études idoines. D’ailleurs, l’investigateur principal, Kim Fox, ne dit rien d’autre : « This trial failed its primary end point in BEAUTIFUL, and the conclusions that we can draw regarding the reduction in fatal and nonfatal MI are to a great extent hypothesis generating, they're reassuring, but they're not definitive, I'm not going to argue with that. »

 

Maintenant, regardons comment "on" a rendu l'ivabradine miraculeuse. J’ai fait une petite recherche sur le net, et je n’ai pas été surpris des interprétations tirées de cet essai, rappelons le négatif.

 

Tout d’abord, un résumé relativement objectif de Theheart.org dont le titre est « BEAUTIFUL for some: No overall advantage of ivabradine, but high-heart-rate patients may benefit» (un autre résumé ici, pour les francophones).

 

Ensuite, c’est carrément Lourdes, le curé d'Ars et les écrouelles à Saint-Denis réunis:

 

Titre du Communique de presse du laboratoire : « Les résultats de l’étude BEAUTIFUL montrent que Procoralan* (ivabradine) est le premier anti-angoreux permettant de réduire les infarctus du myocarde et les revascularisations chez les coronariens stables. »

 

Les échos (« Impact énorme pour les malades »), futura-sciences, caducee.net, pharmabuzz, et capital.fr sont pour l’instant les seuls sites francophones à avoir repris ce communiqué, in extenso voire embelli mais sans l'analyser le moins du monde. Un collègue cardiologue m’a dit qu’ils en avaient parlé ce matin à la radio.

Bientôt, on verra fleurir des articles dithyrambiques dans nos grands quotidiens, je ne parle même pas de la presse médicale sponsorisée.

 

Apprêtez vous donc à voir débarquer dans votre cabinet des délégués médicaux gonflés à bloc, venus vous vanter à l’aide de magnifiques courbes l’effet absolument miraculeux de l’ivabradine.

 

 

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Fox K, Ford I, Steg PG, Tendera M, Robertson M, Ferrari R; on behalf of the BEAUTIFUL investigators. Heart rate as a prognostic risk factor in patients with coronary artery disease and left-ventricular systolic dysfunction (BEAUTIFUL): a subgroup analysis of a randomised controlled trial. Lancet. 2008 Aug 29. [Epub ahead of print] PMID: 18757091 [PubMed - as supplied by publisher]

 

 

Fox K, Ford I, Steg PG, Tendera M, Ferrari R; on behalf of the BEAUTIFUL Investigators. Ivabradine for patients with stable coronary artery disease and left-ventricular systolic dysfunction (BEAUTIFUL): a randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet. 2008 Aug 29. [Epub ahead of print] PMID: 18757088 [PubMed - as supplied by publisher]

 

J'avais déjà parlé de l'ivabradine ici.

 

Commentaires

Le problème des critères secondaires, c'est surtout leur multiplication. Je suis toujours méfiant quand un essai à plus de 4 critères secondaires, ça sent trop la tentative de rattrapage statistique, alors quand l'analyse en sous groupe arrive par dessus, on multiplie les chances ou les risques d'avoir simplement par le fait du hasard une différence sur un critère.
Pour la transcription médiatique, les labos sont riches, les labos savent faire de la com, souvent leur budget publicitaire est plus important que le budget RD, alors qu'ils produisent du buzz, je ne suis pas plus surpris que ça. Heureusement, il reste le bon sens, la lecture des articles primaires et prescrire.

Écrit par : stephane | 02/09/2008

Je m'étais fait la même remarque pour le grand nombre de critères secondaires.

"Heureusement, il reste le bon sens, la lecture des articles primaires et prescrire."
Problème: 30000 abonnés à Prescrire (dont 53% de médecins) sur 212972 médecins actifs en France. Et combien parmi nous lisent les articles primaires ?

Je suis moins optimiste que toi.

Écrit par : lawrence | 02/09/2008

N'étant pas du domaine, je ne comprends pas un truc:

On fait une étude avec un critère principal et des critères secondaires.
En clair, à ce que j'en comprends, on utilise soit un placebo soit la molécule au hasard et on suit les patients.

L'étude dit que la molécule ne sert à rien pour le critère principal. Ok.
Par contre, elle dit que la molécule a un impact sur un des critères secondaires.
Je le comprends comme : On suivait pas les patients pour mesurer ça en premier lieu mais il se trouve que la molécule change qqch pour ce critère.
Ok ok.

Mais alors quel est l'intéret d'une nouvelle étude où ce critère passe en critère principal? Certes, ça fait deux preuves au lieu d'une....sauf qu'il arrive que la nouvelle étude conclue à l'inverse de la première. Là, j'ai du mal. Que doit on en déduire?? Qu'une des deux études a été faites par des cochons? les deux? autre??
On lance une 3ième étude pour trancher?

Écrit par : xavier | 03/09/2008

« Les résultats de l’étude BEAUTIFUL montrent que Procoralan* (ivabradine) est le premier anti-angoreux permettant de réduire les infarctus du myocarde et les revascularisations chez les coronariens stables. »

Donc, clairement, c'est un mensonge !?

Écrit par : Docteur Peuplu | 03/09/2008

la visiteuse est déjà annoncée et l'on connait l'extraordinaire aplomb de ceux du groupe servier qui vient aussi d'un très remarquable bourrage de crane lors de leurs formations
heureusement que le critère principal échoue il ne valait pas tripette pour le deuxième élèment:on soigne les meme poussées d'insuffisance cardiaque en hospitalisation ou dehors selon des critères subjectifs et en plus comment prouver sa pertinence dans la prise en charge à court terme du coronarien chronique !
suite de propos antèrieurs dans Prescrire:
un article en juillet sur les registres d'essais
l'éditorial de ce mois ci sur la non infèriorité

Écrit par : doudou | 03/09/2008

>Xavier: les protocoles des études sont entièrement modelés en fonction de la question posée sur le critère principal, notamment le nombre de patients à inclure, mais aussi la posologie, les caractéristiques de la population.... C'est pourquoi on ne peut pas "vraiment" répondre à une autre question sur un autre critère.

>Dr Peuplu: on verra bien ce que va dire l'AFSSAPS si ils se servent de cette phrase dans leurs publicités, mais tu connais mon avis!

>doudou: j'ai vu l'édito, la non infériorité est très à la mode en ce moment. Les gens se rendent enfin compte des caractéristiques et limites de ce type d'études.

Écrit par : lawrence | 03/09/2008

Concernant le commentaire de Xavier, la réplication des études est une donnée fondamentale en recherche. C'est un peu le principe d'une hirondelle ne fait pas le printemps. Il faut une réplication des résultats par des groupes indépendants avant de conclure, surtout quand il a fallut inclure 15000 patients pour voir une différence statistique. Plus on est obligé d'inclure plus la différence est petite et alors en terme d'effet clinique...
La non infériorité peut présenter un intérêt quand le traitement de référence est efficace mais responsable d'une toxicité importante (chimiothérapie dans le traitement de cancers ou IS dans le traitement des maladies autoimmunes), dans le reste c'est un piège à cons destiné à avoir des AMM.
En ce moment je suis très optimiste mais ça ne va pas duré longtemps, le retour au quotidien va s'en charger...

Écrit par : stephane | 03/09/2008

le jour où les agences du médicaments exigeront des études portant sur les deux seuls choses qui comptent (mortalité totale, morbidité totale), on aura un changement. Drastique.

il est certain qu'il n'y aura pas beaucoup de nouveautés qui sortiront.

et que les publications se faisant rares, les journaux qui en vivent, y compris les plus prestigieux, auront du mal à tenir.
au passage, n'y a-t-il pas par définition comme un conflit d'intérêt pour le journal à la base même ? pas d'articles, pas d'existence = obligation de publier pour vivre, y compris (surtout ?) n'importe quoi

Écrit par : le toubib | 03/09/2008

Merci pour vos réponses.

En résumé les critères secondaires sont là pour faire joli si je comprends bien.
Car de deux choses l'une, soit l'étude est pertinente pour les tester, soit c'est assez peu utile d'en parler.

Juste pour savoir: Quand une étude """montre""" une influence sur un critère secondaire et qu'une nouvelle étude ne trouve rien en le passant en critère principal, quel est l'usage? On laisse choir ou on tente de comprendre le biais à l'origine de la confusion (et on le publie)?

Écrit par : xavier | 03/09/2008

>Xavier: Je n'arrive pas à mettre la main sur un document qui explique de façon satisfaisante ce que l'on doit attendre de l'analyse du critères primaire vs les secondaires.
Je n'ai trouvé que ces textes:

http://www.spc.univ-lyon1.fr/lecture-critique/TP/s9/template.htm

http://www.bmj.com/cgi/reprint/322/7292/989

Pour ta question, dans les essais évaluant des traitements, le plus souvent on laissera choir, car ces essais coûtent cher et sont lourds à conduire. En science pure, je ne sais pas trop, je présume que cela dépend de l'intérêt de comprendre le "biais" observé.

Écrit par : lawrence | 03/09/2008

bonjour,

1 mon cardiologue préferé,s'est faché car je refuse de renouvellement une ordonnance de procolaran à un de mes patient coronarien et qui vient de faire un oap ,il s'est surtout fortement faché quand je lui a fait lire tout les avis négatifs de la revue prescrire ,argaunt que lui il va dans le s grands congrés de cardiologie ou il ya de grand professeurs qui nous disent ce qui est bon pour nos malades et que nous n'avons pas la capacité intellectuelle de les démentir!!!! .

2 un autre patient qui vient de subir un stenting vient me voir car le bbloquant prescrit a la sortie lui provoque un sévère sd de raynaud,je le switch par un bbloquant plus ancien mais mieux documenté pas de bol il fait un asthme,je telephonne au stenteur qui me repond (sic),tu n' à qu'à le mettre sous procolaran ,je n'ai pas discuté pour l'instant je l'ai mis sous verapamil .

en conclusion je me dis que l'industrie servier à mis le paquet auprés des cardiologues qui semblent complètement aveugles,ils devraient lire prescrire,ou s'abonner à la revue cochrane ,enfin exercer leur esprit critique.

Écrit par : berland | 05/05/2013

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