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01/10/2008
Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Récemment, je me suis retrouvé en consultation devant une situation familiale complexe.
Pourtant, sur le papier, tout est relativement simple : un homme de 75 ans a une indication opératoire formelle de chirurgie cardiaque, posée en septembre dernier.
Depuis cette date, pourtant, cet homme n’a pas consulté de nouveau un cardiologue. Son traitement n’est pas adapté, et surtout, aucune évaluation pré-opératoire n’a été faite, et encore moins de date opératoire fixée.
C’est là que les choses se compliquent.
Le patient et son épouse sont sourds-muets, et c’est leur fils de 45 qui gère tout à leur place.
Manque de chance, ancien fumeur, le patient a été laryngectomisé. Avouez que d’un point de vue phonatoire, on peut dire que cet homme n’a pas de chance.
Il a des problèmes prostatiques, une insuffisance rénale chronique, un diabète insulino dépendant, une BPCO et mal aux jambes, probablement sur une artériopathie.
Au total, il en a marre d’être hospitalisé et des médecins, et son fils est dépassé.
Récemment, une surinfection bronchique, mal soignée, c'est-à-dire pas assez longtemps par des antibiotiques a conduit à la dégradation de l’état respiratoire du patient, et à ma consultation. Consultation bien entendue demandée en urgence, car le père « s’étouffe au moindre effort ».
Les parents sont inexpressifs, totalement coupés du monde. Le fils est inquiet et un regard qui me fait presque penser à une bête traquée.
J’ai demandé au fils pourquoi les antibiotiques avaient été arrêtés prématurément : « mon père marchait comme un vieillard sous ce traitement, et il l’a arrêté, vous savez, il est têtu ! ».
Pour l’opération, pareil, il est têtu, pour le traitement cardio-vasculaire, pareil, il est têtu…
En tournant autour du pot, je me rends compte qu’en effet, la communication n’est pas simple avec le père, mais que la situation est en grande partie imputable au fils.
Je ne porte aucun jugement sur lui, mais je crois que c’est lui, le plus sourd des trois.
Célibataire, il s’occupe à temps complet de ses parents handicapés dans leur vie quotidienne. Il ne veut pas déranger sa sœur qui habite loin et a 3 enfants.
Cependant, selon ses propres dires, il ne s’en sort plus.
Surtout, il travaille comme garçon de salle en réa.
Et là, il voit toutes les choses que l’on n’aimerait pas connaître avant de se faire opérer.
Et bien sûr, il est terrifié à l’idée que son père passe par là et …trépasse.
Je me rends compte aussi que vraisemblablement, il n’a rien dit à ses parents de l’évolution « naturelle » de la maladie de son père, c'est-à-dire l’insuffisance cardiaque, puis la mort. Et comme ses parents ne passent que par lui pour communiquer avec l’extérieur…
Il n’en a rien dit, primo, pour ne pas les inquiéter, et secundo car il n’en avait qu’une très vague idée.
Personne ne lui en avait vraiment parlé, juste un « c’est pas urgent, mais il faut s’en occuper ».
J’ai donc expliqué, ré expliqué en adoptant plusieurs points de vue. J'ai réussi à changer son traitement après quelques tergiversations.
J’espère qu’il aura entendu, ce que pour l’instant, il a obstinément refusé de faire.
19:46 Publié dans Des patients... | Lien permanent | Commentaires (7)
Commentaires
une solution:imposer l'apprentissage de la langue des signes!l'information éclairée peut nécessiter l'intervention d'un interprète ce n'est pas toujours simple mais avec de la bonne volonté on trouve souvent :je viens de faire une cs préop de chir cardiaque moitié en tchetchène moitié en russe avec les téléphones portables ouverts au milieu de la table pour les deux interprètes
Écrit par : doudou | 01/10/2008
n'aurait-il pas aussi un peu peur de la verite et de l'imminence du deces de son pere ?
(j'ai arrete mes etudes de psy en maternelle)
Écrit par : nine | 01/10/2008
Dans cette histoire, les roles sont inverses , le fils est le parent, les parents sont les enfants.Le fils parait fragilise face a une situation qui le depasse....Il se peut aussi, a cause de l autorite qu il semble avoir sur son pere, qu il mette en danger la vie du pere..
Il faudrait peut etre discuter de ce cas bien particulier avec le comite ethique de votre hopital, s il y en a un? Il existe aussi a Lyons un service social des sourds et malentendants ou une assistance sociale pratiquant langage des signes est a la disposition des adultes sourds et se deplace meme au domicile
www.ssmr.org
adresse est 11 impasse des jardins 60009 Lyons
tel 04 78 47 73 15
Je pense que si vous avez ecrit ce billet c est parce que cette histoire vous tracasse , il y a toujours une solution a un probleme, le patient n est pas oblige de l accepter mais faire preuve d empathie c est aussi redonner le moral et l espoir au patient...Autrement ai bien peur que vos conseils ne tombent dans " l oreille d un sourd"!
Écrit par : therese Priest | 01/10/2008
OUPS!!!!
Erreur, un S manquait
le site malentendants region Alpes est www.sssmr.org
Celui indique plus haut ne va pas arranger les affaires de ce pauvre homme....
Écrit par : therese Priest | 02/10/2008
>therese: merci!
Écrit par : lawrence | 02/10/2008
A l'instar de monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, vous avez fait de la proximologie (nouveau terme inventé par un labo) en traitant avec un autre membre de la famille.
Écrit par : david vincent | 02/10/2008
Je ne sais pas s'il est utile de faire venir un interprète pour les sourds-muets dans ce cas précis. J'ai déjà vécu 3 cas similaires où les maris cette fois n'ont pas écouté les conseils du cardiologue et des médecins et s'opposaient formellement à une opération. Dans le premier cas, cela a conduit à la mort. Dans les deux autres cas, les deux femmes ont été transportées d'urgence à l'hôpital et opérées. Par le hasard des choses, j'ai fait la connaissance d'un cardiologue chef de service au département de cardiologie et maladies vasculaires au CHU de notre ville et qui m'a dit qu'il connaissait bien ce genre de problèmes. Je ne suis pas certaine qu'il est bien que les proches assistent à la consultation. Mais par contre, je crois que je chercherais à avoir les coordonnées de la soeur même si elle n'est pas sur place et que je la contacterais pour lui expliquer la situation. Je crois qu'il y a urgence dans cette famille.
Écrit par : Elise | 02/10/2008
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