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21/11/2008

Créer une maladie.

J’ai évoqué durant l’émission de France Inter le disease mongering, ou l’art de « créer » une maladie. J’ai cité comme exemple le rimonabant (Acomplia®) dont j’ai déjà abondamment parlé.

D’abord, je vais faire un petit historique rapide de cette molécule :

 

  • 1994 : première mention du rimonabant dans Pubmed.

 

  • Septembre 2004 : Etude RIO qui marque le véritable début de sa carrière

 

Le rimonabant a obtenu une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) dans le traitement des patients obèses (indice de masse corporelle [IMC] ≥ 30 kg/m2) ou en surpoids (IMC > 27 kg/m2) avec facteurs de risque associés, tels que diabète de type 2 ou dyslipidémie, en association au régime et à l’exercice physique. Il n’a pas été étudié et ne doit pas être prescrit dans d’autres indications (lutte contre la prise de poids liée au sevrage tabagique, amincissement à des fins esthétiques…).

 

  • 13 juin 2007 : la FDA refuse sa commercialisation aux Etats-Unis.

 

  • 23 Octobre 2008 : Suspension de son AMM en Europe.

 

L’AMM stipule bien l’indication élective de ce traitement : obésité ou surpoids et diabète ou dyslipidémie. Ces différents composants font partie peu ou prou de ce que l’on appelle « syndrome métabolique », ou « syndrome X ».

Comme je l’ai dit, dans les années 90, à la fac, on nous avait à peine mentionné cette association, qui d’ailleurs a une définition assez fluctuante.

Depuis lors, je n’en avais plus entendu parler, en tout cas en tant que facteur de risque de pathologies cardiovasculaires. D'ailleurs, personne n'en parlait, puisqu'il a fait l'objet de zéro publication entre 1951 et 1991, puis moins de dix publications par an jusqu'en 1998.

Puis le rimonabant est sorti.

Et là , tout le monde s’est mis à en parler, aussi bien dans des revues scientifiques sérieuses que dans les revues de publicité rédactionnelle que nous recevons régulièrement.

D’un seul coup, le syndrome métabolique est devenu un facteur de risque majeur qu’il fallait à tout prix prendre en compte et traiter. On l'a même renommé "syndrome cardiométabolique" à cette occasion, afin peut-être qu'il fasse un peu plus peur.

 

Photobucket

Nombre de publications indexées dans Pubmed en réponse à la recherche cardiometabolic, en fonction du temps (années de publication).

 

 

Et devinez quel était le seul traitement de cette entité subitement tirée de l’oubli : le rimonabant.

"Curieusement", depuis que ce dernier n’a plus le vent en poupe (ça a commencé à partir du refus d'AMM par la FDA) le nombre de publications a reflué de façon tout aussi impressionnante qu’il avait enflé.

La notion de « graisse abdominale » (abdominal fat) qui a été aussi au cœur de la campagne de communication entourant le rimonabant a eu à peu près le même destin. Quoique, comme vous pouvez le remarquer sur le shéma, même avant la lancée du rimonabant, on en a toujours un peu parlé, puisque Pubmed recense 1071 articles publiés sur ce sujet entre 1951 et 1990.

Je pense aussi que le génie de cette campagne de promotion tient au fait que le laboratoire a suscité finalement très peu de recherche sur la molécule en elle même (cf les courbes associant la recherche associée ou non du mot clé rimonabant). Quand on connait in fine l'efficacité de cette dernière, on en conclut que du point de vue du laboratoire, cette stratégie a été très pertinente. En effet, "promouvoir" une "maladie" est bien moins risqué que d'étudier directement les effets de la molécule qui est supposée la traiter. On minimise ainsi le risque d'avoir des études avec des résultats négatifs, voire inquiétants. Malheureusement pour le laboratoire, et heureusement pour les patients, cela s'est pourtant produit assez rapidement au cours du suivi de la phase IV, c'est à dire après commercialisation. Encore une fois trop tardivement, me direz-vous, et je ne peux être que d'accord.

 

 

Photobucket

Nombre de publications indexées dans Pubmed, en fonction du temps (années de publication).

 

Comment expliquer de telles fluctuations dans le nombre de publications concernant un obscur syndrome qui est devenu pendant deux ans un acteur majeur de la prévention cardiovasculaire ?

  • Aurait-on donc absolument tout trouvé, tout expérimenté, tout démontré sur le syndrome métabolique durant cette courte période, de telle façon qu'il ne reste plus rien à publier ?
  • Est-ce la physiologie humaine qui s’est modifiée au cours des années 2005-2007, ce qui a fait qu’un nouveau déterminant des pathologies cardio-vasculaires est apparu, puis a disparu ?
  • Ou est-ce la conséquence d’une stratégie commerciale très bien menée qui a monté un « buzz » scientifique autour d’un syndrome mal identifié et dont la valeur n’excède pas la somme de ses composantes, mais dont l’immense intérêt était d’être traité par un médicament bien spécifique ?

 

Je penche pour cette dernière hypothèse. Dommage que la molécule n’ait pas été à la hauteur de la remarquable campagne publicitaire qui l’a entourée.

Commentaires

Pour étayer avec certitude la 2ème hypothèse développée :
physiologie humaine modifiée depuis les années 2000
en corrélation avec la décision de basculer toutes les télécommunications par voies satellitaires .
La France a expérimenté en direct les conséquences d'une croissance exponentielle des champs electro-magnétiques et ondes pulsées banalisées dans toutes les villes .
Les normes de seuils minimisant la nocivité sur les organismes humains et animaliers sont en train de s'instaurer via des procès sans publicité , le sujet étant encore hautement sensible en France mais avec des études prospectives énoncant dans la vision la plus optimiste 50% d'handicapés parmi les actifs à court terme ...
Véritable scandale de santé publique de la prochaine décennie.


Mais vous êtes cardiologue, donc je pense qu'à la vue de l'accroissement des pathologies cardiaques féminines dites protégées par leurs hormones, mais surtout des arythmies ... sur sujets jeunes sans facteurs de risques autre qu'un télephone mobile, une livebox près de la chambre ou une antenne à proximité du lieu de résidence a dû attiré votre curiosité de spécialiste .

Avec mes cordiales salutations.

Écrit par : Tritonear | 22/11/2008

Je ne suis pas un spécialiste du disease mongering, mais je pense que la présence de la graisse abdominale à du sens au delà du coté médiatique qu'elle a pu avoir, un article récent du NEJM (plutôt bien fait) montre sa puissance prédictive supérieur au BMI. Je pense qu'un des gros problèmes pour le syndrome métabolique en dehors de sa définition et qui explique peut être la chute des publications est la complexité du système un article de nature genetics review de novembre fait le point sur ce problème.
Je vais faire un peu de provoque. Ma spécialité est dans les conditions que tu décris(collision entre une pathologie et l'émergence d'une thérapeutique) victime du speciality mongering. L'apparition de la néphrologie en tant que spécialité est contemporaine de l'avènement des techniques d'épuration extra-rénales (milieu des années 60, bien que la première machine d'hémodialyse date de la deuxième guerre mondiale). Faut il en conclure que l'urémie est une construction de l'industrie pour vendre des machines de dialyse, je ne crois pas. La possibilité de traiter des patients par EER a permis la naissance de cette spécialité qui sinon ne serait probablement resté qu'une partie de la médecine interne.
Est ce que le néphrologue est une construction de l'industrie, j'ose espérer que non, il me semble que nous prenons de nombreux patients en charge qui sont malades et réellement malades. A imaginer comme certains que la dialyse ne sert à rien, masi c'est un autre débat.
Il faut faire attention dans les deux sens et ne pas voir la main du complot partout.
Mais bon je doit malgré tout être un peu vendu à l'industrie et faire parti du complxe scientifico-technologique ;-))
J'assume.

Écrit par : stephane | 23/11/2008

un petit lien vers un article et surtout un livre sur le disease mongering: http://pharmacritique.20minutes-blogs.fr/archive/2008/11/23/jorg-blech-les-inventeurs-de-maladies-ou-les-mecanismes-du-p.html

Écrit par : stephane | 24/11/2008

J'adore quand tu es provocateur. Chez nous c'est pareil, la rythmologie a été créée par les fabricants d'appareils à ECG!

J'ai peut-être pris un exemple un petit peu limite avec le phénomène de la mise en avant de critères intermédiaires peu pertinents.

Dans PLoS Medicine d'avril 2006, un dossier complet sur le disease mongering: http://medicine.plosjournals.org/perlserv/?request=get-toc&issn=1549-1676&volume=3&issue=4

Écrit par : lawrence | 24/11/2008

Je me posais la question à propos du vaccin HPV
Dont la promotion se fait sur un raisonnement scientifique défendable
Mais dont on n'a pas d'idée du résultat à long terme
Un fort taux d'anticorps anti HPV étant censé protéger contre le cancer du col, mais on ne sait quels seront les effets délétères, on ne sait pas non plus si la protection s'avèrera réelle dans la réalité
En attendant, la bonne affaire des labos, c'est qu'ils ont 20 ou 30 ans tranquille avec leurs vaccins, le temps que les jeunes filles vaccinées arrivent à l'âge du cancer, et que l'effet réel du vaccin soit alors appréciable
Je ne peux m'empêcher de penser qu'un tel coup de poker gagnant est admirable.

Écrit par : ML | 25/11/2008

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