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14/02/2005

I comme Icare (1/2)

medium_milad.3.gifDans le “New England Journal of Medicine” du 27 janvier 2005, j’ai trouvé un article très intéressant sur les expériences de Stanley Milgram (N. Engl. J Med 352 ;4 :328-330)
Ce chercheur a décrit en 1963 une expérimentation, qui est reproduite assez fidèlement dans le film de Henri Verneuil, « I comme Icare ».

Pour ceux qui n’ont pas vu le film :
Des sujets sélectionnés par petite annonce se présentent dans le cadre d’une Université (ou d’un hôpital) pour participer à une étude scientifique sur la mémorisation. Ils doivent énoncer une liste de mots à un deuxième sujet qu’ils ne connaissent bien évidemment pas. Ce dernier doit répéter la série de mots sans se tromper. Dans le cas contraire (ou en cas de non réponse), le premier doit, selon les consignes, délivrer au second une décharge électrique ; et qui plus est, le voltage augmente avec le nombre d’erreurs (de 15 à 450V, avec des incréments de 15V)
Le but apparent, « officiel », est de montrer que la douleur stimule l’apprentissage.
Bien évidemment, l’objectif de l’expérience est tout autre.
Le second sujet est un comédien, et les fils électriques accrochés à sa chaise sont factices. Il doit simuler une douleur de plus en plus intense, voire faire le mort.
Milgram désirait estimer le point de rupture à partir duquel la conscience de l’individu se refuse à obéir à un ordre émanant d’une autorité supérieure.

Les résultats sont effrayants.

Seuls 10-15% des sujets ont refusé d’envoyer une décharge électrique, sur ordre, à un illustre inconnu.
Des sociologues avaient estimé que 1.2% des sujets délivreraient des décharges de 450V.
En fait, 26 sujets sur 40 ont atteint 450V (65%…)
Un sujet a par exemple poursuivi l’expérience au delà du seuil d’intensité léthale, et longtemps après que le comédien se soit arrêté de répondre.

L’expérience a été répétée des dizaines de fois, avec de nombreuses variations (plusieurs « autorités », contact plus ou moins proche entre le sujet et le comédien, entre le sujet et l’autorité….)
Globalement, les sujets vont plus loin dans la délivrance des chocs, lorsque l’autorité est multiple (dilution de la responsabilité), plus proche, et bien sur, si le sujet « interrogé » est plus loin, voire non visible, et si leur niveau d’éducation est faible.
Les sujets sont certes soumis à un stress majeur (3 syncopes sur 40, transpiration, rires nerveux….), mais ils obéissent.

« Shoah » de Lanzmann, et les minutes du procès de Nuremberg permettent de retrouver point par point les données de cette expérience : obéissance à une autorité supérieure, victimes totalement inconnues des persécuteurs, dilution des responsabilités, plus facile acceptation du processus lorsque les acteurs sont éloignés des victimes, élans de conscience des bourreaux.

Certes, cette expérience est biaisée :
- Biais de sélection (la récompense peut inciter les plus avides par exemple…)
- Le protocole n’indique pas au sujet qu’il peut arrêter l’expérience (au contraire)
- Ethique non prise en compte (un principe fondamental : le sujet d’une expérimentation ne doit pas souffrir, ce qui n’est pas le cas de l’interrogateur ;Milgram leur a, de plus, volontairement menti)

Mais, quelle est la pire caractéristique de cette étude ?
C’est qu’elle est un reflet assez exact de notre comportement, et que la fameuse prise de conscience d’après guerre (« plus jamais ça »), n’a été que très partielle (voir la longue litanie des massacres individuels, qui ont pris la dimension d’un génocide : Rwanda, ex-Yougoslavie, Darfour….).

Ce soir je suis encore de garde…
J’écrirai la deuxième partie de cette note demain.
Elle intéressera toujours cette notion d’obéissance, mais transposée aux relations médecin/équipe médicale et médecin/patient.
Bonne nuit.



23:05 Publié dans Science | Lien permanent | Commentaires (3)

Commentaires

C'est très bizarre... hier justement je voulais parler de cette expérience, et puis j'ai eu la flemme... et je la retrouve ici... le monde est donc vraiment tout petit! (et ce n'est pas parce que j'ai lu le même article que toi!)

Écrit par : shayalone | 15/02/2005

C'est en effet très étonnant...

Cette série d'expériences est fascinante.

La scène du film m'avait impressionné (je devais avoir 14-15 ans quand j'ai vu ce film pour la première fois), et je n'ai connu le nom de Milgram qu'à la lecture du NEJM.

Qu'aurais-tu dit?

Écrit par : Lawrence | 15/02/2005

Je voulais justement l'appliquer aux relations médecins-patients, cette soumission à l'autorité dont nous ne sommes pas toujours conscient, vivant notre autorité le plus naturellement du monde...
Ces expérences sont encore pratiquées en psycho, où les étudiants doivent conditionner des patients en les électrocutant...
Je crois que j'y ai pensé à partir de a discussion sur "harcèlement"

Écrit par : shayalone | 17/02/2005

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