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15/02/2005

I comme Icare (2/2)

medium_icarus.jpgFinalement, après avoir un peu glandouillé sur le net, je me suis couché à 1h00.
Aucun problème majeur à signaler, malgré des patients un peu « chauds » (un des grands mystères de la vie : une garde s’annonçant calme, sans place libre pour les urgences, et des patients stables se termine toujours en Bérézina, alors qu’une garde avec plein de lits vides, des urgences surchauffées, et des patients catastrophiques est en règle générale extrêmement tranquille…).


L’article de Cassel du NEJM de janvier porte surtout sur l’éclairage qu’apporte les expériences de Milgram sur la compréhension des rapports médecins/personnel médical, et médecin/patient.

Tout d’abord, tout le monde sait que l’hôpital est une société pyramidale, voire comme le suggère Winckler, « féodale ».

Nous avons tous connu au moins un cas ou un médecin « responsable » (du moins administrativement, surtout en garde ou il est seul) donne une instruction inadaptée, dangereuse pour le patient à un infirmière, voire ne donne aucune conduite à tenir particulière.
Le cas est similaire pour un médecin « junior », qui recevrait un ordre, jugé délétère, d un médecin « senior ».
Pour le médecin « junior », ou l’infirmière, se pose une première question : celle de la validité de l’instruction (est-elle réellement inadaptée ?), puis surtout se pose le cas de conscience : obéir en estimant que le médecin sait ce qu’il fait (qu’il a une connaissance supérieure, ou des infos supplémentaires), ou invoquer une clause de conscience et refuser d’obéir ?
Cassel reste assez vague et succinct, et suggère que les études médicales et paramédicales devraient comporter un enseignement de « désobéissance inappropriée » (un « fuck the system » inapproprié…)

J’ai été confronté aux deux cas, en étant « junior » puis « senior »
Le deuxième cas est assez simple, car je travaille avec les mêmes équipes depuis 1997, et nous avons mutuellement confiance. En cas de désaccord, j’explique. Quand je me trompe, les infirmières me connaissent assez pour me suggérer « diplomatiquement, que je ne fais pas bonne route, à leur humble avis… » . Moyennant quoi, le plus souvent, je change ma décision. Parfois (exceptionnellement) je suis un peu obtus (et fatigué), et l’infirmière coupe la poire en deux et suggère une solution médiane, que j’accepte toujours (j’ai pris tellement de coups à l’ ego, que j’ai plus le sentiment diffus de me tromper dans mes décisions, que celui d’avoir raison, en général).
Le deuxième cas est plus difficile, et comme pour Milgram, ma désobéissance était proportionnelle avec mon respect pour le senior. Par ailleurs, j’ai effectué des actes contre ma conscience, sous pression, et ceux ci se sont révélés être bénéfiques pour le patient à terme… (Ars longa, vita brevis…).

Enfin, il s’appesantit plus sur la relation médecin/malade.

Il décrit les 6 sources de pouvoir social, mais que peuvent utiliser le médecin (consciemment, ou non) :
- Cœrcition, avec éventuellement punition (je ne veux plus vous suivre…)
- Récompense (c’est trèèèèès bien….)
- Admiration (ahh, Professeur, vous m’avez sauvé(e)….
- Expertise (tout le monde m’a dit que vous étiez le meilleur….)
- Légitimité conférée par le corps social.
- Information donnée de façon convaincante (à votre place, je me ferais opérer…)

Les présupposés sont les suivants : le médecin a toute autorité sur le malade (conscience, ou inconsciente), et le malade est fragilisé psychologiquement par sa maladie.

Nous imposons quotidiennement à nos malades des décisions qui vont contre leur volonté intime (traitement long, pénible, examen douloureux….). Le fait que nous le fassions pour son bien n’y change rien, nous leur imposons notre décision (parfois même, le patient cherche à faire « plaisir » au soignant, en prenant la décision, qu’il pense être la préférée du médecin).

Les médecins, très hypocritement, ne nomment pas cette acceptation de l’ordre médical « obéissance », mais « compliance » (et encore, ce terme semble être en perte de vitesse, quel sera le prochain terme « médicalement correct » ?).

La conclusion est assez alambiquée : nous avons une grande responsabilité (ah bon, depuis quand ?? -c’est ironique, Mélie-), celle de savoir différencier ce que le patient veut pour lui, de ce qu’il accepte de faire pour nous faire plaisir.
Mais, l’auteur se veut clément pour nous : c’est la maladie qui réduit le plus l’autonomie.

J’ai bien aimé cet article, car il théorise un peu les rapports compliqués entre soignants et soignés.
Mais d’un autre côté, comment réussir à décrire une relation atavique, unique, et d’une telle richesse intrinsèque et extrinsèque, sans la réduire et la caricaturer ?
Soyons clairs, toute relation médecin/malade repose sur l’ensemble des 6 sources de pouvoir citées. Mais c’est le dosage des 6 ingrédients qui fait la qualité (et l’innocuité) de cette relation.
A mon avis, il oublie une 7ème source de pouvoir, qui est fondamentale au fur et à mesure que des liens se tissent entre le médecin et le patient : la confiance mutuelle.

Mais l’auteur est Professeur de santé publique à New York, et ça fait probablement une éternité qu’il n’a pas touché de patients.

Ce texte me donne aussi un petit sentiment de malaise, car il montre à quel point les patients peuvent être totalement assujettis à un médecin, et il nous pointe du doigt de façon un peu accusatrice. Heureusement, que tout se passe bien la plupart du temps.
L’immense majorité des soignants ne sont pas de petits nazillons, des gourous de secte, voire des charlatans ; mais je pense que nous en connaissons tous au moins un.

Je crois qu’il est salutaire pour nous (soignants+soignés) de connaître de danger afin de ne pas se brûler les ailes.

14:55 Publié dans Science | Lien permanent | Commentaires (0)

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