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26/02/2005

Cherchez l’homme.

medium_art_hearts.jpgJ’émerge ce jour à 15h40, après une longue sieste.

J’ai été dérangé jusqu’à 3h00, par de menus problèmes, avec le sentiment que le matelas de mon lit comporte un petit commutateur, qui sous la pression de mon poids, active la sonnerie du téléphone.
Mais, le pire, c’est le commutateur, qui détecte le moindre endormissement pour déclencher le téléphone. Celui-ci a aussi beaucoup fonctionné dans la nuit.

Le patient de réanimation est réduit à une simple série de paramètres à surveiller : les classiques pouls, tension artérielle, mais aussi saturation sanguine en O2, fréquence respiratoire, volume insufflé dans les poumons, pression des voies aériennes, débit cardiaque, pressions intra cardiaques…
La vie humaine est alors limitée à des paramètres biologiques, physiques, des chiffres, encore des chiffres.

Le patient le moins humain, le plus paramétré, que j’ai croisé avait un :
Poumon artificiel
Cœur artificiel (droit+gauche)
Rein artificiel
Foie artificiel
Ces quatre machines font environ la taille d’une machine à laver, avec leurs câbles électriques, et leurs tuyaux les reliant au patient. Avec le lit médicalisé et les placards dans la chambre, l’infirmière qui s’en occupait (habillée en « stérile » de pied en cape) primo suffoquait de chaleur, et secundo pouvait à peine accéder à son patient.

Quelques fois, se produisent des tragédies grandiloquentes.
L’une d’elle m’avait été relatée par mon assistant, sous le titre de « La toilette fatale ».
Un matin, une infirmière et une aide soignante font la toilette d’un patient porteur d’un cœur artificiel. La « machine à laver » est raccordée au thorax du patient par deux canules de 20-25 mm de diamètre.
Comme dans tous les hôpitaux du monde, elles effectuent le même rituel : une de part et d’autre du lit, et successivement, elles attirent le patient couché, dans leurs bras, afin que l’autre puisse nettoyer le dos, et glisser un drap propre sous son flanc. Mais là, une des canules s’est désolidarisée du thorax, et s’est mise à cracher dans la pièce, avec un débit de 4-6 litres/ minutes, un flot de sang chaud. Le patient n’a rien eu le temps de sentir, et toute la pièce et les deux malheureuses étaient « repeintes » en rouge vif.
Heureusement, ce genre de scène gore est exceptionnel.

Le patient de réanimation n’est plus rien, ni père, ni mère, ni frère, ni sœur, ni fils ou fille. Il n’aime rien, ne se révolte contre rien. Il ressent, et souffre, mais en silence. De toute façon, il ne gardera presque aucun souvenir, si il parvient à sortir de réa. Les drogues qui le font dormir sont amnésiantes.
Heureusement.

Cette « déshumanisation » ne me gène pas pendant la garde, car, je baigne dans l’humain à longueur de journée, avec mes patients cardiaques. Elle satisfait mon côté technique. Mais je serais incapable de faire ça à longueur de journée.
J’ai trop besoin d’établir des contacts avec les gens, les sortir de leur maladie pour les faire oublier, et engranger des connaissances, des impressions.
Comme je l’ai déjà dit, la vie d’un SDF polonais m’intéresse autant que celle d’un PDG, mais elle me touche nettement plus.
En réa, j’aime bien augmenter la fréquence respiratoire et/ou le volume courant, pour diminuer une hypercapnie, mettre la « PEEP » à 4 mm Hg, pour recruter plus d’alvéoles. Les mots sont plus arides, mais c’est une autre facette de mon métier. Et elle me manquerait.

C’est pourquoi je dors mal 3-4 nuits par mois, et que je suis dans le coma pendant 12h après.

C’est aussi un peu pour payer ma secrétaire…

16:40 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

bravo pour ton blog ! bravo pour tout ce que tu fais ! tu aimes ton métier et c'est vraiment magnifique !

Écrit par : carine | 28/02/2005

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