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04/08/2005

La consultation du mercredi 3 août 2005

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Depuis quelques mois, j’ai repris une vacation dans mon service.

Hier, ils sont revenus m’apporter les résultats d’examens que je leur avais demandé de pratiquer le mois dernier.

Dans la salle d’attente, ils sont assis tous les trois côte à côte, la mère, le fils, et le beau père.

Ils me font un signe amical que je leur rends.

Comme ça, ils n’ont l’air de rien, mais je les connais.

Je sais que la consultation va être grandiose, je pousse un petit soupir, et les appelle.

Ils rentrent en file indienne.

 

Le beau père a la soixantaine, il est râblé, nerveux, de rares cheveux grisonnant tombant de façon désordonnée sur un visage vultueux, évoquant les petits apéritifs pris entre amis, ou tout seul sur une table de cuisine, dans un petit appartement surchauffé d’un des immeubles miséreux du centre-ville.

 

La mère est mate de peau, quelques dents de devant manquent, elle a un pansement sur le côté gauche du décolleté, qui est curieusement collé en travers d’une petite chaîne en métal doré.

 

Le fils, le patient, est âgé de 37 ans. Il commence à perdre ses cheveux noirs et raides. Il tente de le cacher en adoptant une coiffure déstructurée, ou est-ce simplement l’œuvre du hasard ?

Il bafouille un peu quand il est mal à l’aise. Il travaille chez Mac Donald, et il vit encore chez sa mère et son beau père.

Il fait des malaises vagaux, et c’est pourquoi la famille est venue me voir il y a un mois. Le père du patient était épileptique, et serait mort de ça, ou du cœur, on ne sait pas trop.

 

Moi, je suis habillé en chemisette à carreaux, manches courtes, stéthoscope autour du cou, jean bleu et sandalettes (on est dans le Sud…). J’attends la suite avec crainte, et un brin de fatigue car la garde de la nuit dernière commence à faire son effet.

 

«Tous les examens sont normaux, je n’ai pas décelé de problème cardio-vasculaire.

 

- Le beau-père : tant mieux, ma fille faisait de l’épilepsie et de la spasmophilie, je l’allongeais, et je lui faisais respirer dans un sac en plastic. Quand elle avalait le sac, c’est que ça allait mieux !

 

- La mère : pourquoi il fait ces malaises ?

 

- Et bien, il fait ces malaises car le système qui contrôle le cœur et la tension marche un peu trop bien chez votre fils. Il faut qu’il évite les émotions, les endroits confinés, et qu’il sale un peu plus son alimentation.

 

- Le fils : la dernière fois que je suis tombé dans les pommes, c’était dans une clinique.

 

- Le père : une question, comment font les types qui sautent de ponts avec un élastique ? Ils doivent avoir le cœur solide !

- En même temps, le fils me pose une question à voix presque basse : je me fais des jus d’oranges et de citrons pressés, ça ne pose pas de problème ?

 

- Uhmmm, ça n’a aucun rapport, ils ont le cœur bien accroché ! Non, pas de problème avec les jus de fruits.

 

- Moi, j’étais chez les paras, et je n’ai eu jamais peur !

 

- La mère : son père était épileptique, et on a eu peur que ce soit ça…

- Le fils, en même temps : Parce qu’au travail, je m’énerve souvent avec les clients, et il fait chaud prés des cuisines !

 

- Le père, assez fort : il lui faut une femme !

- Je fais mine de gribouiller : je peux vous faire une ordonnance si vous voulez !

Ils s’esclaffent tous les trois.

 

- A votre travail, il n’y a donc pas de jolies petites ?

 

Il esquisse une réponse mais sa mère répond à sa place.

- Si, mais il est tellement timide, que quand il leur demande, elles sont déjà parties.

Son beau père renifle de dédain. Vous savez, son père était épileptique, il est mort de ça.

 

- vous n’avez pas de traitement à prendre, sauf si cela recommence, alors revenez me voir.

 

- Le père : j’ai un ami qui est mort du cœur brutalement, sans prévenir, alors qu’il était en pleine forme.

- Ca peut arriver.

 

Je me tourne vers le fils :

- Buvez bien, mangez un peu salé, ça ne devrait pas poser de problème chez Mac Donald !

 

- Le père : le Coca-Cola, il n’y a rien de pire, ça attaque le métal !

 

- La mère : nous sommes allé voir le neurologue de son père qui nous a dit d’aller voir un cardiologue.

- Ne vous inquiétez pas, tous les résultats sont normaux…

 

- Le fils : la dernière fois que j’ai fait le malaise, c’était dans une clinique.

- Evitez les cliniques, la vue du sang, les endroits confinés, chauds, ou il y a beaucoup de monde.

- Je peux m’éclater en boîte, quand même ?

- Euuuuh, oui, bien sûr, pas de problème !

 

Je me suis levé pour clore la consultation.

Je pense que malgré tout, le père avait la clé du problème.

Il lui faut en effet une femme qui puisse l’extraire de ce milieu familial étouffant, ou même le Dalaï-Lama ferait des malaises vagaux.

Commentaires

Malheureusement, au vu des loyers et du chômage toujours plus élevés, les jeunes quittent le foyer familial de plus en plus tard. Je crois sincèrement qu'un certain nombre de maux (je pense notamment aux problèmes de poids) s'en trouvent considérablement agravés.

Une amie me disait à l'époque "on ne passe pas de diplôme pour être parent(s)"... Certes, mais c'est aussi la structure où celui qui souffre à le moins de recours.

Au fait, les médecins recoivent-ils à un moment ou un autre des cours ou des conseils sur les différentes approches à adopter selon les profils psychologiques des parents lorsqu'ils recoivent des enfants qui souffrent (pression familiale, harcèlement moral... je ne parle pas de cas où il existe des recours comme les enfants battus)?

Écrit par : Angelie | 04/08/2005

Il aurait peut-être été utile de demander aux parents de sortir et de discuter face à face avec le patient.

Écrit par : Merlin | 04/08/2005

Arghh...que de détails sordides!
Je ne suis pas du tout psychologue mais ce genre de cas m'inquiètent, j'ai l'impression qu'il y a tous les ingrédients pour obtenir un psychopathe ou un tueur en série...

(je sais, j'exagère...mais ton récit donne froid dans le dos)

Écrit par : lebaroude | 04/08/2005

>Angelie
Aucune formation n'était dispensée à mon époque sur l'approche des familles pathologiques. Nous avions des cours sur l'approche médici-légale par contre (enfants battus...).
Mais bon, comme beaucoup de chose, on apprend sur le tas avec l'expérience.

>Merlin
Je n'y ai même pas pensé. Mais il est âgé de 37 ans tout de même, et il ne m'a jamais fait comprendre qu'il voulait me voir en particulier (il aurait pu venir sans en informer sa famille).
Quand je sens que quelque chose cloche, je fais sortir la famille. Cela se voit souvent assez rapidement. Mais là, je n'ai rien ressenti...

>Lebaroude
Il n'avait pas trop l'air dangereux, tout de même.
De toute façon, il perd connaissance à la vue du sang, et il ne doit pas être capable physiquement et psychologiquement d'étrangler quelqu'un!!
A mon avis (de non psychologue), il ne deviendra pas psychopathe.
Tout au plus, il sera dominé par sa femme!!

Écrit par : Lawrence | 04/08/2005

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