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« Le sépharade fou. | Page d'accueil | Boire jusqu’à la lie. »

25/07/2006

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Depuis 8 jours, une patiente me pose un problème de conscience.

 

A la suite d’une quatrième grossesse, elle présente un œdème du poumon. Le service me l’envoie pour bilan. A l’échographie, altération de la fraction d’éjection à 40%.

Deux hypothèses : cardiopathie du post partum ou myocardite virale.

Avec les internistes, je fais un bilan extensif, et je n’arrive pas vraiment à trancher.

Le contexte social est difficile, comme le disait un de mes anciens maîtres : « Ces gens sentent la pauvreté ».

Rien de péjoratif, mais un ensemble de petites observations me font entrevoir une famille modeste, avec 4 enfants, une jeune mère un peu dépassée et un père peu « entourant ». Les grands-parents sont inexistants.

L’annonce de la pathologie cardiaque a semé désordre et inquiétude. A chaque consultation, son état s’améliorait et je les rassurais. Mais elle continuait néanmoins à décrire des plaintes somatiques multiples, de plus en plus fonctionnelles. Peut-être un appel à l’aide devant des tâches domestiques écrasantes.

J’ai proposé de l’hospitaliser à la clinique pour qu’elle se repose, mais son mari y a mis son véto. La dictature des gens que l’on aime est la pire de toute.

 

Elle a un traitement associant IEC et bêta-bloquants, j’ai réussi à arrêter les diurétiques il y à quelques mois. A cette époque, je les avais mis en garde contre une nouvelle grossesse. Malheureusement, elle est tombée enceinte. Elle est actuellement à 12 semaines et demi.

 

Ils viennent me voir lundi matin avec leur fardeau.

Le mari désire zéro risque, et dans le cas contraire, pousse vers l’avortement, malgré ses croyances (il est musulman, elle est d’origine catholique a priori).

Elle est plus nuancée, et hésite beaucoup.

Après quelques minutes, je me rends compte qu’ils veulent que je prenne la décision pour eux. Ils ne sont pas capables d’analyser la situation en pesant les risques ; ils sont paralysés par leurs craintes/espoirs.

Je recommence mes explications, et ils posent les mêmes questions.

Je note encore la différence entre les deux.

Je rédige une lettre à sa gynéco, en préconisant (conseillant, que peut-on utiliser comme terme, ici ??) un avortement, du fait des risques cardiaques.

Une chose est néanmoins claire dans mon esprit : si cet enfant avait été le premier, j’aurais probablement poussé à le garder.

C’est là qu’est l’écharde dans ma chair. Bien qu’athée, la vie m’est sacrée, et ils me demandent une décision que je ne peux pas prendre à leur place. Et ils sont bien au-delà des discussions casuistiques et de risques relatifs ou absolus. Ils ne demandent pas de conseil, mais une décision.

Mais, je suis bien incapable de quantifier ce risque. Le peut-on seulement ?

Il existe, j’en suis certain, mais c’est tout.

A chaque inflexion en faveur de le garder, le mari repart à la charge avec son risque zéro, et elle acquiesce, silencieusement derrière lui.

Je les vois l’un après l’autre, pas mieux.

Je caresse les têtes des quatre enfants piaillant qui sortent de la consultation en ne me sentant pas à l’aise.

La gynéco me rappelle le soir, elle a la même analyse que moi, notamment sur le contexte social. Ils lui ont aussi demandé de prendre leur décision. Elle a esquivé en les adressant vers un centre d’IVG demain. Je ne la blâme pas.

Ce soir, la jeune femme m’appelle sur le portable, après avoir vu son bébé sur l’écho de datation, elle est encore plus désemparée.

Elle va y aller, mais à reculons. Son mari ne préfère pas l’accompagner.

Leur nuit va être difficile.

La mienne aussi.

 

22:12 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (7)

Commentaires

Un médecin, tel qu'on le concevait avec les EBM anglo saxons, agit en son âme et conscience avant tout.

Lawrence, du fond de ma petite expérience, c'est que tu as fait.
Et si les patients, les pouvoirs publics, tout autour de nous pousse à ce risque zéro, il reste la vie, cet espoir.

J'ose croire que cette femme puisse être heureuse.

Écrit par : serillo | 26/07/2006

Belle question éthiue. Et bien difficile de trancher. Mais ta décision semble collégiale et réfléchie.

Écrit par : Esculape | 26/07/2006

Bonjour,
Tout d'abord, merci pour ce blog que je lis régulierement et toujours avec plaisir.
Contrairement à ce que l'on pense l'islam n'est pas opposé à l'avortement, bien au contraire. La vie de la mère a primauté sur celle de l'enfant et ceux à tout les stades de la grossesse, le Coran comme la tradition prophétique sont très clairs là dessus.
Même s'il existe q'un faible risque, il vaut peut être mieux éviter de faire quatres orphelins.
C'est sur, ton metier n'a pas l'air facile tout les jours.
Bon courage,

Écrit par : Samir | 27/07/2006

>Samir: merci pour la précision et le soutien!

Écrit par : Lawrence | 27/07/2006

Je ne suis pas un spécialiste des réligions mais il me semble que toutes condamnent l'avortement, même pour le bien de la mère...

Écrit par : Esculape | 27/07/2006

De ce que j'ai pu lire sur le net, le Coran interdit l'avortement SAUF si la vie de la mère est en danger. C'est le cas ici, donc le problème religieux ne se pose pas vraiment.

Quant à la difficulté de la décision, le médecin devrait dire "ce n'est pas à moi de prendre cette décision. Je vous ai donné les éléments pour que VOUS puissiez prendre la décision qui VOUS concerne."
Mais ça c'est la théorie. Le patient attend de son médecin une direction précise, pas être obligé de prendre une décision que même le médecin dont la vie n'est pas jeu est incapable de prendre.

Vous avez pris une décision mûrement réfléchie, c'est tout ce qu'on vous demandait.

Écrit par : Merlin | 28/07/2006

@Esculape:
Comme l'a dit Samir l'Islam n'est pas oppose a l'avortement 'therapeutique'.
Le Judaisme tiens le meme discours. La vie de la mere prime.
Dans les 3 religions occidentales monotheiques seul le Chritianisme condamne completement l'avortement.

Écrit par : Quietlaugh | 06/08/2008

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