« I want you ! | Page d'accueil | Dialogue imaginaire entre un cardiologue hospitalier et un cardiologue libéral »
11/01/2007
L’onde P bloquée et la dystrophie musculaire.
Hier, je vois en consultation à l’Hôpital un homme de 30 ans qui m’est adressé par son neurologue.
Il est porteur d’une myopathie non encore étiquettée (c’est du moins ce que le patient croyait) et un des examens du bilan cardio-vasculaire systématique a inquiété son médecin.
Et en effet, je retrouve une onde P bloquée isolée à 6h04 du matin sur son holter ECG. Son ECG est normal, de même que son échographie cardiaque. Il ne prend aucun traitement. Enfin, il est le seul de sa famille à souffrir de dystrophie.
Cette onde P me pose quelques soucis, d’autant plus qu’elle est assez atypique (à mes yeux) avec un allongement progressif de l’intervalle PP avant le bloc. Le PR semble constant. J’hésite un peu sur le diagnostic de BAV Möbitz 2. Je vois plutôt quelque chose de plus rare, genre variante d’un bloc sino auriculaire de type 2 puis un échappement. Le problème est que dans ce cas, en général, l’intervalle PP a plutôt tendance à diminuer avant la survenue du bloc.
Ce genre d’interrogation existentielle peut paraître un peu inutile, et ça l’est le plus souvent (c’est ce qui m’a toujours tenu éloigné des « cardiologues électriciens »). Mais ici, c’est important car certaines dystrophies musculaires s’accompagnent de troubles conductifs sévères et sont une indication à pousser les explorations, voire implanter un stimulateur cardiaque.
Je vais donc voir l’assistant du service d’électrophysiologie pour savoir ce qu’il en pense. Et bien, il n’en pense pas grand-chose. En fait je le connais, il est tout jeune et a été mon externe il y a quelques années…
On va donc voir l’Agrégé, Dieu en personne pour obtenir une réponse.
La réponse est : c’est un Möbitz 2 probablement vaso-vagal (car survenu tôt le matin et précédé par l’augmentation du PP).
Mais, tout le reste de la conduite à tenir est fonction du type de la myopathie.
Je pars donc à la recherche du neurologue du patient que j’ai laissé en plan dans la salle de consultation.
Je le trouve sans problème.
La pathologie du patient est une « calpainopathie », qui rentre dans le groupe plus général des myopathies des ceintures. Il venait juste d'en avoir le typage.
Je ne vais même pas essayer de vous faire une revue rapide de l’immense univers toujours en expansion des myopathies, et notamment des dystrophies musculaires car je n’y connais strictement rien hormis quelques bribes qui jouxtent ma spécialité.
Mais pour résumer, à part deux frères porteurs d’un bloc de branche droit, les calpainopathies (il y en a plusieurs) ne sont pas associées à des anomalies rythmiques.
Donc nous optons pour une surveillance un peu lâche (pas le contraire de courageux !) par holter ECG.
Je remonte annoncer la bonne nouvelle au patient au bout de 45 minutes de recherche/discussion : pas d’exploration, et a priori pas de stimulateur cardiaque.
C’est déjà ça.
J’ai trouvé dans « Nature Clinical Practice Cardiovascular Medicine » un article de synthèse très intéressant sur les atteintes cardiaques associées aux myopathies (ici).
Enfin, une histoire triste et courte pour terminer cette note.
Il y a quelques années, je faisais beaucoup d’échographies cardiaques à des patients porteurs de dystrophies musculaires, dans le cadre de ce fameux bilan cardiaque systématique.
Un jour je tombe sur un jeune de 17 ans qui râle car il vient de loin (>200 Kms) pour faire un bilan, dont il n’a aucune idée de la finalité.
« Pourquoi ils vous font ce bilan ?
- Sais pas ! Un jour je jouais au foot et mon pied a accroché par terre, puis ça a recommencé. Maintenant je suis là ! »
J’ai alors lu le motif de la demande : « Sclérose latérale amyotrophique de découverte récente ».
14:10 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (6)
Commentaires
"calpainopathie", plutôt que "captainopathie, non?
Une SLA à 17 ans!!! Quelle horreur...
Écrit par : Dominique | 11/01/2007
Merci pour la faute de frappe, c'est corrigé.
En effet, je ne savais pas que l'on pouvait voir des SLA aussi précocemment...
Écrit par : lawrence | 11/01/2007
Moi non plus, et je l'apprend avec horreur!
Écrit par : shayalone | 11/01/2007
...et j'imagine la gestion d'une consultation avec un secret pareil...
Écrit par : yann | 11/01/2007
Mais pourquoi ils lui on pas dit pour sa SLA ?!! Ils attendaient qu'il puisse plus respirer ou quoi ? Je sais que c'est pas facile à 17 ans, mais quand même...
Écrit par : Niluje | 11/01/2007
>Niluje: je ne sais pas comment le service gère l'annonce de ce genre de diagnostics. Un de ce jours je leur demanderai....
Écrit par : lawrence | 13/01/2007
Les commentaires sont fermés.