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21/01/2007

Les différents visages de la vérité (2/3)

Une après midi, l’infirmière me signale que la famille de ce monsieur désire me voir.

 

Il y a sa femme, une de ses filles et le mari de cette dernière.

Sa femme est un peu perdue, elle se focalise sur des détails révélateurs de la dégradation de la situation (sa mobilité et sa conversation se limitant jour après jour, ses insomnies, sa digestion…), mais sans pouvoir discerner le gouffre dont son mari se rapproche jour après jour. Sa fille est un peu comme elle. Assez sévère, lunettes à verres rectangulaires très étroits en hauteur et à grosse monture en matière plastique orange, elle contemple un point fixe bien au dessus de mon épaule droite, ne croisant jamais mon regard. Le gendre est inquiet.

 

Ils pinaillent et sous-entendent que nous ne faisons rien pour améliorer la situation : « il marchait il y a une semaine, maintenant, il n’y arrive plus. Comment cela est possible ? Que faites-vous ?... ».

Leur ton monte insensiblement, mais il monte.

Je leur trace alors à grands traits comment j’envisage la situation, mais sans jamais employer de mots univoques.

Je veux bien endosser le rôle de Ponce Pilate, mais je ne peux laisser dire que c’est moi qui ai enfoncé les clous. J’ai aussi senti que de renvoyer les explications à plus tard, c'est-à-dire au retour du patient dans le centre chirurgical devient intenable. Mais il est clair que si je ne m’étais pas un peu senti mis en accusation, je n’aurais pas développé ainsi une partie de ma pensée.

« Son cœur est fatigué, cela explique son état actuel, la situation ne peut que se dégrader, je ne sais pas si il pourra supporter une intervention, même si son état respiratoire s’est amélioré, tout va se décider là-bas... ».

 

A ce point du récit, je vais faire une petite parenthèse.

« Cornichon », qui est loin d’en être un, a émis un commentaire qui pose de vraies questions :

 

« pourquoi ne pas lui dire la vérité à cet homme ? Ne rien dire, c'est laisser de faux espoirs à sa famille. On n'est jamais trop vieux pour comprendre son état de santé si on nous l'explique rééllement.

Pourquoi les médecins, de ville ou en hopital, ne veulent pas aborder la mort à court terme ? »

 

Je ne vais pas lancer un débat qui n’a toujours pas d’issue malgré ses 2400 ans (depuis Hippocrate et la « naissance » de la médecine occidentale). Mais « à mon époque », c'est-à-dire dans les années 90, on nous « interdisait » en fac de Médecine d’annoncer un pronostic fatal.

Principalement pour ne pas tuer l’espoir, et je pense aussi pour ne pas risquer d’acculer son patient au suicide (je me souviens que le prof nous l’avait dit). Je n’ai pas été le seul à avoir été éduqué comme cela. Ce point de vue « latin » va en contradiction totale de la façon de voir des anglo-saxons. Mais, jusqu’à présent, c’est celui qui prévaut chez nous. Je me suis assez rarement éloigné de ce « dogme » par rapport au patient lui-même. Mais parfois, lorsqu’une relation de confiance permettait ce type de discussion, et que le patient était demandeur, je n’ai jamais hésité à lui parler de sa maladie et de sa mort. Par rapport à la famille, j’ai toujours été modéré, mais je n’ai jamais hésité à leur dire le fond de ma pensée.

 

Cornichon, vous êtes en face de moi et je vous annonce posément que vous allez mourir sans aucun espoir de guérison et dans de brefs délais. Comment allez vous réagir ? Et savez vous ce que je vais ressentir en vous annonçant cela ? En cas de « miracle » ou d’erreur d’appréciation de ma part, comment allez vous me considérer à la sortie du cauchemar où vous pensiez mourir avant peu ? Et enfin, est-ce que votre soucis de vérité englobe la description de votre agonie ?

Je suis un peu caricatural, mais c’est à dessein, pour vous faire ressentir la situation.

Où est l’humain ?

Pas forcément toujours dans la vérité aveuglante, comme il est si facile de le dire entre amis à l’heure du dessert.

Je le sais, je l’ai maintes fois expérimenté.

 

Revenons à l’histoire.

Ces gens sont donc tiraillés entre le désir et la crainte de savoir.

Je leur ai fait entrevoir la gravité de la situation, sans jamais prononcer les mots qui font peur. J’ai senti que le moment n’était pas encore venu.

Après ma conversation avec eux, j’ai appelé un de mes collègues, un ami de toujours pour savoir ce qu’il en pensait. Il a lui aussi eu affaire à eux au cours des jours précédents, et je voulais avoir son avis.

Il a fait exactement comme moi, en noircissant le tableau par petites touches au fil des entretiens.

Ils n’ont pas encore compris, mais nous tentons de les guider précautionneusement.

Notre analyse de la famille et de la situation est la même.

 

Mais je ne connaissais pas encore la deuxième fille.

12:20 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (6)

Commentaires

D'après ma petite expérience, il y a autant d'avis que de médecins...
J'en ai vu qui disait la vérité avec art, tact, perfection.
J'en ai vu d'autres qui ne disaient que ce que le patient demandait.
J'en ai vu d'autres qui laissait vivre l'espoir.
Et j'ai eu un patient qui me demandait, à moi seulement (parce que certainement c'est plus facile de demander à l'externe, qu'au chef) quel était son pronostic... Les internes ne lui ont pas dit, personne ne lui a dit, j'en ai parlé aux internes, aux chefs... Et c'était moi qui était en face de lui quand il posait la question... J'ai toujours été très mal à l'aise.

C'est une discussion éternelle comme tu dis, et je pense qu'il faut tout simplement s'adapter à chaque patient, qu'il n'y a pas une seule solution...

Écrit par : Sevi | 21/01/2007

Ce billet est vraiment intéressant car il permet de voir ce qui se passe dans la tête d'un médecin à ces moments-là.

Cela me fait penser à certains aspects de mon propre métier. Je suis prof principal en classe de 2nde et souvent, je reçois des parents pour leur annoncer que leur enfant ne pourra pas passer dans la série qu'ils désirent. Je retrouve plusieurs éléments semblables, par exemple le fait que les parents commencent par douter : "comment se fait-il qu'il ait 5 en maths alors qu'avec son prof particulier il comprend tout ?" ou "il était si bon jusqu'en 4ème !" Il y a aussi le doute : même si l'équipe pédagogique pense que cet élève n'a pas les capacités requises,faire une "prédiction" est toujours très difficile, qu'elle porte sur un diagnostic médical ou sur une orientation scolaire.

Il me semble impossible de dire : "il ne sera jamais médecin, votre enfant" mais petit à petit, laisser entrevoir un autre parcours plus en rapport avec ce qu'il montre, en ce temps T, de ses capacités (qui évolueront peut-être avec la maturité) : "il peut commencer par une formation d'infirmier..."

On est toujours plus radical quand on n'est pas concerné. Quand on a les gens en face, avec leur histoire, leurs attentes, leur douleur (et leur agressivité), on ne peut que composer, ce serait inhumain autrement.

Écrit par : samantdi | 21/01/2007

Cette question est assez déroutante pour les étudiants en médecine dont je fais partie, et depuis 4 ans, j'en entends parler tous les ans, via des professeurs différents.

Et effectivement, il y a autant de son de cloche que de profs, et tous nous certifient, expérience à l'appui que leur méthode est la bonne.

Entre tout dire et risquer de se planter, ou d'entrainer une dépression
Ne rien dire et priver le patient de prendre les dispositions nécessaires sachant le temps qu'il lui reste.
Ne le dire qu'à la famille et laisser le patient dans le doute, ce qui n'est pas fameux...

Au final on nous dit "d'apprécier l'état de compréhension du patient", de prendre des gants, et de donner le pronostic en douceur (c'est possible?), en tout cas ne pas faire comme les anglo-saxons.
Et si on estime que le patient n'est pas en mesure d'entendre le pronostic, le dire à la personne de confiance. Mais quel est l'état psychique d'un patient qui désigne quelqu'un pour entendre un pronostic grave qu'il ne veut pas entendre lui même ? J'ai l'impression que c'est un sac de noeud, comme tu le décris dans tes notes.

Et je serais bien ennuyé si un patient décidait de ne s'adresser qu'à moi pour me demander. Déjà, comment en tant qu'externe je peux être sûr d'un pronostic alors que les médecins eux-même ne le sont pas.

Pour l'instant je n'ai jamais été confronté à cette situation, je n'ai jamais été dans des services bien "lourds"...

Écrit par : Matthieu M. | 21/01/2007

Un jour je me suis retrouvé comme un âne en racontant quand j'étais externe à la famille d'une jeune femme atteinte d'une méningite: "on va la sauver votre épouse!"
Deux heures après elle était morte en plein scanner. Je pense qu'il faut laisser aux gens le temps de faire leur chemin en ne cachant pas que la situation est grave.

Écrit par : david Vincent | 22/01/2007

la mort est une finalité, malgré tous les progrès de la médecine moderne, les gens (qui ne sont pas du milieu médical) savent qu'on ne peut pas tout guérir. Me^me si le malade hospitalisé n'aborde pas la question franchement, il doit certainement y penser au fond de lui-même.
J'ai écrit ce commentaire car j'ai eu une mauvaise expérience avec mon père. L'oncologue avait laissé peu d'espoir pour son mésothelium pleural. Nous ne sommes pas idiot, on écoute les infos, on sait bien que comment ça se termine. Il a été hospitalisé de nombreuses fois et les médecins ont souvent pu le remettre plus ou moins sur pied, sauf la denière fois. Son état s'était franchement dégradé et on allait dans le bureau du medecin pour en parler sérieusement. Celui-ci nous répondait : "venez, on va aller le voir" donc jamais de réponse à nos questions. On n'a rien vu venir, on se disait puisque les médecins ont le même discours que les fois précédentes, ça va aller. Ca a duré une semaine. Après son décès, ils nous ont dit :"dès qu'il est arrivé ici, on savait très bien qu'il n'en ressortirait pas, il y a avit des métastases partout"... J'ai oublié de dire qu'on n'a jamais eu les résultats cytologiques de la ponction d'ascite (ça ne prend pas une semaine de lire une lame de cyto) ni ses résultats biochimiques. A chaque fois "les résultats n'étaient pas encore arrivés".
On voulait juste se préparer, si on au moins on nous avait donné les résultats...

Je sais bien que ce n'est pas facile à annoncer, mais quand on veut savoir, ce n'est pas bien de nous cacher la vérité.

merci d'avoir répondu à mon commentaire

Écrit par : cornichon | 24/01/2007

>cornichon: c'est aussi pour des non médecins que j'ai écrit ces notes, pour essayer de vous faire voir l'autre côté du miroir.
Le deuil n'est pas qu'un processus familial.
Nous devons faire le notre à chaque fois, nous aussi.

Écrit par : lawrence | 24/01/2007

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