Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« Le prochain. | Page d'accueil | Illisible »

21/09/2007

Les héros sont fatigués.

Depuis 2004, sauf exception, je ne reçois plus la visite médicale.

Je l’annonce de façon courtoise, mais ferme, car je n’ai plus aucun reproche à faire aux visiteurs médicaux qui ne font que ce que leur hiérarchie leur répète de faire à longueur de journée : faire prescrire des médicaments.

Au début, ils m’horripilaient et je ne pouvais pas les voir. Parfois, j'étais à la limite de l'incorrection. Maintenant, je suis au-delà de ça, ils me font même un peu peine.

Si j’avais été visiteur médical, j’aurais fait comme eux, comme tout bon petit soldat qui veut continuer à avoir un salaire à la fin du mois. Peut-être même que j’y aurais mis du cœur, comme certains.

Quels sont les visiteurs que je reçois par exception ?

Ce sont souvent les anciens, ceux que j’ai connus depuis le début de mon internat et devant qui je ne peux décemment pas fermer une porte précédemment ouverte. Heureusement, depuis le début, j’ai toujours été très sélectif.

Ils sont donc tous plus ou moins sur le départ, et ils en ont gros sur la patate.

La déprime du visiteur médical de plus de 40 ans devrait être plus étudiée, voire même faire l’objet d’une étude clinique de non infériorité financée par l’industrie.

Ensuite, j’imagine bien un plan marketing audacieux et éclairant afin que des médecins de Panurge leur prescrivent larga manu des petites pilules du bonheur qui représentent une avancée décisive et sans aucun effet secondaire (même minime).

Mais bon, ce serait comme de demander à Potemkine de croire à la réalité de ses villages.  

Alors on se contente d’un séminaire de remotivation à Eurodysney, avec force jeux de rôles (c’est la grande mode depuis quelques années : toi tu es le médecin, moi je suis le visiteur, après on échange).

Mon épaule receuille donc leur tête et je leur tapote amicalement l'omoplate gauche entre deux consultations de cardiologie, non sans une certaine schadenfreude.

Tout ce qu’ils expriment est souvent ce que je crois savoir depuis des années, et rejoint les éditoriaux les plus acides de Prescrire.

On leur demande de vendre des médicaments comme des machines à laver, comme des aspirateurs. Mieux, comme des petits pains.

Sans état d’âme, sans penser au patient, et sans réfléchir surtout.

Le problème, c’est que nos vieux petits soldats ont des états d’âme, ils réfléchissent et pensent aux patients (que souvent, ils sont devenus eux même, l’âge venant).

  • Aucune molécule décisive en cardiologie depuis longtemps,
  • des pirouettes statistiques pour faire ressortir l’intérêt inexistant de la dernière molécule pourtant décisive,
  • des dégraissages de réseaux de visite de plus en plus fréquents au sein de sociétés de plus en plus à taille inhumaine,
  • des objectifs commerciaux de plus en plus coupés de la réalité du terrain,
  • des réglementations de plus en plus touffues,
  • la multiplication des molécules dangereuses retirées du marché ou pointées du doigt après quelques mois de commercialisation,
  • une certaine prise de conscience de la part des médecins,
  • une hypocrisie toujours de plus en plus massive…

Tout concourt à rendre leur vie difficile dès le lever du lit.

Mardi dernier, la phrase qui m’a le plus marquée : « Je n’aimerais pas qu’un médecin prescrive un produit à ma grand-mère ou à moi-même après qu’on lui ait raconté n’importe quoi dessus ».

De la part du professionnel aussi performant et expérimenté que j'avais en face de moi, cet aveu m’a tout de même un peu surpris.

Bon, si je voulais être exhaustif, je rapporterais aussi les impressions des jeunes, juste sortis de l’école de la visite médicale.

Je pense qu’elles seraient très différentes, plus positives et optimistes.

Mais, je passe mon tour, et je laisse le soin à d’autres médecins de les écouter.

10:00 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (10)

Commentaires

Le fin du fin est quand la déléguée de la Sécu vient en personne nous dire de prescrire moins de statines (contre le cholestérol) et que dans la salle deux délégués attendent leur tour pour m'inciter à prescrire Crestor et vasten; promis, la prochaine fois je ferai une consultation groupée: labo et Sécu!

Écrit par : david vincent | 21/09/2007

C'est pas les cardiologues qui prescrivent et font prescrire le plus les statines ?

Écrit par : EPO | 21/09/2007

Excellent. Moi, j'ai fini par me désintoxiquer même de ceux que je connaissais depuis longtemps et que je continuais à recevoir pendant un an ou deux après avoir fermé ma porte aux autres. Je crois que c'était à l'époque du Vioxx. Et j'imagine effectivement la déprime de ces "représentants commerciaux des firmes pharmaceutiques"... d'autant que celles-ci ont semble-t'il un temps tenté d'augmenter le nombre de "VM" en saturant les réseaux, dans le but de contrer notre désengagement. D'où une foultitude de jeunes gens à qui on a fait miroiter un avenir radieux très loin de leur quotidien

Écrit par : christian lehmann | 21/09/2007

>EPO: on y a droit, nous aussi, ne t'inquiète pas pour nous!
>david vincent: bonne idée, tu devrais les faire se rencontrer dans la salle d'attente.
>christian lehmann: en effet, j'avais oublié cette folle inflation des effectifs de la VM. Certains parmis nous reçoivent plusieurs visiteurs différents pour le même produit.

Écrit par : lawrence | 21/09/2007

tiens, j'ai eu un coup de fil d'une grognasse qui m'a parlé 4 minutes, dont plus de deux sans se présenter (j'ai fini par lui demander!), pour me faire participer à une étude sur mon ressenti de la VM, malgré que je lui indique voir trés peu de visteurs (4 en cinq mois, pas mal, hein, pour un chu!). Mais comme elle allait m'offrir un cadeau, hein, elle comprenait pas que je refuse!
Mais le mieux, c'est quand même son ton horrifié et presque dégouté quand, arrivant enfin à la couper, je lui ai dit "enfin, excusez-moi madame, mais là je suis en consultation"
Comment !!! Mais vous travaillez!!
La grosse hallu!

Écrit par : shayalone | 22/09/2007

Zéro visiteur depuis 11 mois, un vrai record ! Il y a des "régions" en psy où ils ne s'aventurent plus...
Je me souviens de ce petit VM très sympa, qui m'avait dit très sincèrement et en se marrant : "de toute façon tous les antidépresseurs (IRS) se valent, on le sait bien". Je ne sais pas si ça rend le boulot plus facile, de s'en moquer comme ça, mais ce recul faisait de ce VM un jeune homme sympathique.

Écrit par : Melie | 22/09/2007

schadenfreude très chic ! je sens que je vais le réutiliser,celà changera mes victimes des pages roses

Écrit par : doudou | 22/09/2007

a signaler (et a rechercher? si quelqu'un l'avait d'ailleurs ça serait sympa de ... etc, etc ...) une emission de Mermet (l'affreux gauchiste de france inter le repaire d'anarchosyndicaliste ...) intitulée "médecin sous influence" qui raconte le quotidien et les techniques de ventes de VM ... si je me souviens bien c'est assez édifiant

ref:
http://www.radiofrance.fr/franceinter/em/labassijysuis_old/fiche.php?emission_id=230020073

Écrit par : urgences matin | 22/09/2007

Le trou de la Sécu, c'est le médecin et le patient. Point. Prétendre que l'industrie pharmaceutique y serait pour quelque chose, c'est attaquer le Dogme, m'enfin!!!!!

Écrit par : anita | 22/09/2007

>doudou: j'ai trouvé ce terme dans "Pour le meilleur et pour l'Empire", et moi aussi, je le trouve très chic...

Écrit par : lawrence | 23/09/2007

Les commentaires sont fermés.