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25/09/2007
Art ?
Tout a commencé quand j’ai reçu à la clinique le bouquin sur Yves Klein que j’avais commandé il y a quelques jours.
Un ami médecin qui a aperçu un des monochromes bleus m’a alors dit : « Tu ne crois pas qu’ils se foutent un peu de la gueule du monde ! Je parie que ça vaut une fortune ! ».
Je lui ai répondu que pour moi, toute œuvre qui suscite des interrogations, nous charme et/ou nous permet de voir au-delà de notre quotidien peut être considérée comme de l’art. A partir de là, il en va des goûts et des couleurs.
Ca m’a rappelé un documentaire qui m’avait fasciné il y a quelques années.
« Chacun sa merde » de Hugues Peyret m’a fait découvrir un artiste italien, Piero Manzoni (et ici), et son œuvre majeure, « Merda d'artista ».
Les fins italianisants auront traduit sans problème, pour les autres : « Merde d’artiste ».
Cet artiste contemporain à la vie fort courte (1933-1963) créa en mai 1961 une œuvre composée de 90 petites boites de conserve scellées numérotées et étiquetées en plusieurs langues « Merde d’artiste/contenu net GR 30/conservée au naturel/produite et mise en boite au mois de mai 1961 ». Ces 30 grammes de merde, il les vendait exactement au prix de 30 grammes d’or.
Il n’en a pas vendu beaucoup, la plupart des boites ont été données ou échangées.
Il meurt 2 ans plus tard, a priori de son éthylisme.
Les boites ont alors commencé à se vendre aux enchères, et les prix ont explosé.
La Tate Gallery (et ici) a acheté la boite numéro 4 en 2002 pour 31.826,60 euros.
Le record actuel est de 124.000 euros pour une boite vendue par Sotheby’s à Milan le 23 mai 2007.
Ces 30 grammes de merde valent donc à ce jour le prix d’environ 7.5 kg d’or pur (l’once est ce jour à 516,356 euros).
Que tirer de cette histoire ?
Peut-on appeler ça de l’art ?
L’artiste s’est-il foutu de la gueule du monde ?
Qui est le plus fou : l’artiste ou les gens qui payent des fortunes pour avoir leur petite boite ?
Ces questions restent ouvertes.
Jusqu’à assez récemment, on ne savait pas vraiment si il y avait de la merde dedans. Evidemment, les propriétaires n’étaient pas vraiment enclins à ouvrir leur précieuse petite boite.
Dans le documentaire, une partie de ces derniers, souvent des notables locaux, refusent catégoriquement de croire qu’il y a de la vraie merde dedans.
Posséder un concept un peu potache d’un artiste mort, oui (surtout quand son prix suit une courbe exponentielle). De la merde bien sale, non.
Les autres, souvent grands collectionneurs, s’en fichent. Ils ont conscience de la plus value de leur boite ou de sa valeur artistique, quoi qu’il y ait dedans. Ca leur suffit.
Déjà, faire acheter de la merde virtuelle ou non, même au prix de vente initial relève du grand art, sans faire de mauvais jeu de mots. On peut voir ça comme la tentative d’un artiste de ridiculiser le milieu de l’art.
Mais jusqu’à ce point précis, Manzoni n’a pas encore dévoilé tout son génie
L’apothéose, évoquée par Manzoni vient ensuite: les boites se sont mises à fuir ou à exploser sous l’action de la fermentation et de la corrosion, libérant une odeur atroce. Car c’était bien de la merde qu’il y avait dedans (une compagnie d’assurance l’a faite analyser pour dédommager un collectionneur).
Une certaine panique s’est alors emparée des possesseurs. Certains les ont même mis dans leur frigo pour arrêter la fermentation et conserver leur investissement et/ou leur œuvre d’art favorite.
La Tate Gallery se veut être rassurante : aucun problème détecté (elle a intérêt, vu le scandale provoqué Outre-Manche par cette acquisition). Ne riez pas, le peuple français a la sienne : la boite numéro 31 est au Centre Georges Pompidou.
A l’heure actuelle, 45 boites sur 90 sont endommagées.
Si l'on suppose que l’explosion finale faisait partie du dessein de l’artiste, ses boites, de sculpture, sont devenues performances. Leur valeur n'est donc pas moindre. Par contre, si il s'agit d'un défaut de conception, une boite ouverte et puante va valoir bien moins qu'une boite intègre. Piero Manzoni a évoqué cette éventualité, comme je l'ai déjà dit, mais l'avait-il programmée ?
Est-ce que ces boites valent moins cher que les autres ? Voire plus ? Question à 124.000 euros !
L’art, l’artiste, les collectionneurs, les amateurs et les critiques d’art, les musées, les flux financiers colossaux qui les lient : cette œuvre a réduit en miettes tout ce système en s’attaquant à sa base et en posant une simple question : qu’est ce qui fait la valeur d’une œuvre ?
Sans ses millions pour le mettre hors de porté du ridicule, le marché de l'art contemporain se retouve bien nu comme l'empereur. Et Manzoni est parmi ceux qui l'ont crié le plus fort.
C’est pour cela que je considère ces boites comme des chefs d’œuvre.
23:15 Publié dans Divers et variés | Lien permanent | Commentaires (7)
Commentaires
Mouarfff, autant els monochromes ça passe, autant je suis incapable de voir de l'art dans ce genre de chose ... ^^
Écrit par : Becky Wincky | 26/09/2007
Je me suis souvent posé la question de savoir où s’arrête l’art et où commence “ la tricherie”. Si pour être un artiste, il suffit de faire parler de soi par n’importe quel moyen, il existe quantité de méthodes.
Je pense que, de nos jours, ça n’a plus aucun intérêt. Lorsque Marcel Duchamp convoquait les amateurs d’art dans une galerie New Yorkaise pour regarder un vulgaire porte-bouteille. Cela voulait simplement dire : “Prenez du recul apprenez à regarder”. À son époque, cela avait une raison d’être.
Le regard que l’on porte sur l’art aujourd’hui n’est plus le même, les leçons de Duchamp, Yves Klein ont porté leurs fruits, inutile d’enfoncer le clou.
Un certain Félix Gonzales-Torres (décédé en 1966) à vendu une œuvre composée de 147 Kilos de bonbons pour la modique somme de 517.642 € , ce qui met le kilo de bonbons à 3.571 €.
En tout cas, que les “heureux possesseur de Merde de Manzoni” ne se plaignent pas, ils ont hérité d’une œuvre vivante et odorante, ce qui est tout de même assez rare pour une œuvre d’art.
Sur mon blog,dans plusieurs articles j’ai dénoncé ce que je considère comme des dérives de l’art.
Mais peut-être je n’ai pas tout compris…
Écrit par : bmc | 26/09/2007
ça ressemble plus à une farce qu'à autre chose. D'ailleur je me fend la geule en pensant au type qui voit ça précieuce boîte éclater.
Pigeons !
Écrit par : Niluje | 26/09/2007
Il appartenait au mouvement Caca?
"CaCa est une nouvelle tendance artistique, on s’en rend bien compte, puisque, jusqu’à aujourd’hui, personne n’en savait rien et que demain toute la blogosphère en parlera. CaCa a son origine dans le dictionnaire. C’est terriblement simple. En français cela signifie « cheval de Troie ». En allemand « va te faire, au revoir, à la prochaine ». En roumain « oui en effet, vous avez raison, c’est ça, d’accord, vraiment, en s’en occupe », etc. C’est un mot international. Seulement un mot et ce mot comme fragrance"
Écrit par : anita | 27/09/2007
C'est de l'art conceptuel. Cela me rappelle l'urinoir de Marcel Duchamps qui a voulu faire une blague pour épater les New yorkais mondains en 1917.
Écrit par : Pim | 29/09/2007
>Pim: c'est exactement ça!
Écrit par : lawrence | 30/09/2007
J'aime bien cet article. Ils y en a qui ne comprennent pas, d'autres qui trouvent que depuis Dechamp, l'art à tout dis.
Je ne crois pas que l'art à tout dis, il parle et parlera encore.
Comme tout artiste Piero Manzoni avait quelques trains d'avance sur les communs des mortels, logiquement c'est le propre de l'artiste, de voir, entendre et prévoir. Leurs antennes servent à ça.
"Merde en boite" date de 1961, je crois, nous sommes en 2007, de l'eau à coulée sous les ponts depuis, me direz-vous, en effet et c'est la que nous pouvons accorder du génie à cet artiste. Depuis, l'eau est poluée, la planête part en "couille" et ne parlons pas du pôle nord.
Que mangeons nous dans nos assiettes, 365 jours sur 365 jours, ajouter bout à bout le coût de cette "bouffe"....
Quand aux collectionneurs, investisseurs, décideurs, en effet ça peut exploser
Écrit par : artviviane | 07/11/2007
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