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17/12/2007

Où doit s’arrêter la vérité ?

Ce matin, je cherchais un livre à lire pour cette fin d’année.

Je tombe en arrêt devant « Le livre des passeurs » de Armand et Eliette Abécassis (Ed. Robert Laffont).

Ce livre est un recueil de textes qui balaye 3000 ans de littérature juive.

Je l’ai feuilleté, vérifiant qu’il m’était accessible.

J’y ai retrouvé des noms connus et amis : Maimonide, Georges Perec, Albert Cohen…

Je me suis dit qu’au pire je pourrais passer les passages « kabbalistiques » pour le non-juif, athée qui plus est, que je suis.

Je trouve le texte de Maimonide superbe. Il s’agit d’une parabole qui classe les hommes en six différentes catégories selon leur niveau de croyance en Dieu.

Cette parabole m'a semblé pertinente, bien qu’elle me classe en dessous des hommes, et juste au dessus du singe (les athées n’avaient pas bonne presse à l’époque…). En effet, on peut la généraliser en remplaçant « Dieu » par la « vérité », la « science », ou encore plein d’autres concepts auxquels je n’ai pas pensé.

 

Je me suis dit, « Tiens, je vais en faire profiter les lecteurs de Grange Blanche ».

Mais le texte est assez long et j’avais la flemme de le taper.

Je l’ai donc cherché, et finalement trouvé sur « Gallica ».

Une copie d’écran, et le tour est joué !

Je relis le texte, et surprise, j’y trouve des passages omis par les auteurs du «Livre des passeurs ». D’où les quelques (…) présents dans la citation.

Ces passages sont « problématiques » dans le sens ou Maimonide place dans le groupe situé entre les singes et les humains (le mien !) les « nègres » et les « turcs » qui sont à considérer comme des « animaux irraisonnables ». Un peu plus loin, il n’hésite pas à tolérer le meurtre de ceux qui s’éloignent de Dieu.

Dans le contexte actuel, j’imagine bien pourquoi les auteurs ont supprimé ces passages.

D’ailleurs, si vous cherchez dans Google la référence de ce passage, vous allez tomber sur quelques sites nauséabonds qui justifient par ce passage telle ou telle haine séculaire, et donc la même haine en retour.

 

J’imagine, mais ne comprends pas.

Tronquer ce texte est à mon avis une forme de négation de la vérité.

Maimonide a écrit ce texte au XIIème siècle, il y a près de 850 ans. Comment comparer sa pensée avec la notre ?

Je n’ai pas les connaissances pour le faire, mais je sens instinctivement que l’on ne peut pas juger et simplement censurer Maimonide, qui a écrit par ailleurs des textes admirables, à l’aune de nos esprits d’hommes du XXIème siècle.

La science et la raison ont depuis cette époque balayé bon nombre de préjugés. Toutefois, l’obscurantisme est encore bien loin d’être totalement vaincu. L’actualité en donne de tristes illustrations quotidiennement.

J’imagine que les auteurs n’ont pas voulu mettre de l’huile sur le feu, ne pas prêter le flanc, peut-être même, ont-ils voulu épargner Maimonide ?

Mais au lieu de tronquer, de mentir, n’auraient-ils pas pu expliquer, argumenter, mettre en perspective ? Pourquoi ne pas avoir choisi un autre texte?

 

Ce qu’il a écrit est abominable, mais il l’a écrit ; cela on ne peut pas le nier.

Ce qu’il a écrit est abominable, mais le nier est presque pire, car c’est avouer que l’on ne peut pas lutter de façon honorable et éclairée contre l’obscurantisme, l’intolérance, la haine, la bêtise, le racisme et l’antisémitisme. Notre société est-elle à un tel point qu’il nous faut utiliser les armes de ceux qui les prônent ?

 

Je crois malheureusement que c’est le cas. Les auteurs ne sont pas à blamer. Ils ne sont que le reflet de notre société, mais rien ne leur interdisait de se démarquer.

Que pensera t'on de notre société dans 850 ans ?

 

 

J’ai reproduit ci-dessous le texte intégral de la parabole de Maimonide qui fait partie du "Guide des égarés" (livre III, chap. LI), traduction S. Munk (Edition 1856-1866) qui est disponible sur Gallica :

 

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16:50 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (13)

Commentaires

Ils ne parlent pas de ce génie de Philip Roth aussi dans ce livre ? Il me semble l'avoir vu en vitrine.

Écrit par : Moria | 17/12/2007

>Moria: en effet, et la liste des auteurs est très longue...

Écrit par : lawrence | 17/12/2007

Test car mes commentaires ne marchent pas je crois.

Écrit par : Laura | 17/12/2007

Ah ben ça remarche. Autant pour moi. Désolée.

Écrit par : Laura | 17/12/2007

Je ne comprends pas bien ton argumentation. Il s'agit d'une anthologie, ils ont donc fait des choix, exclu des auteurs, pris d'autres, plus ou moins expliqué leurs choix (mais ce n'est pas dans le livre qu'on trouverait les explications, ce n'était pas le but de la compilation), et n'ont pas cherché à refléter l'oeuvre des auteurs qu'ils ont retenu contre d'autres. Donc, tous les textes sont tronqués, et la lecture qu'on fait d'un extrait contre un autre extrait sera nécessairement différente. Et quelle est la pertinence d'un extrait si dans son "intégralité" le texte prend un autre sens pour le lecteur d'aujourd'hui ? A ce moment là, ce qu'il importe, c'est la pensée de Maïmonide, et franchement, cet extrait n'en rend pas un millionième.

Je crois que tu n'as pas fait mouche là.

Maïmonide était un grand médecin, mais traitait-il de la médecine comme le ferait un médecin aujourd'hui ? Cela retire-t-il du mérite à l'art qu'il pratiquait alors ?

Écrit par : Otir | 17/12/2007

C'est étrange, ce texte est en contradiction avec l'autre que tu donne en lien (le texte "admirable")

Écrit par : Niluje | 17/12/2007

>otir : c’est vrai, les textes sont choisis, et nécessairement partiels. Mais ce qui me gène est que les auteurs ont censuré ce qui à leur avis posait problème. Censuré et non expliqué.
Pour moi, ce texte n’enlève strictement rien ce qu’était Maimonide (du moins le peu que j’en sais, c'est à dire l'article de Wikipedia, le serment et ce texte depuis hier), il ne fait que refléter une pensée de l’époque.
Mais un texte est un texte, et on n’en retranche pas ce qui ne nous plait pas lorsqu’on l’expose à d’autres.
Hippocrate pensait que de l’air circulait dans les artères. C’était le sommet de la connaissance médicale à l’époque. Cette ineptie n’enlève rien à ce qu’il a apporté à la médecine. Maintenant je ne comprendrais pas non plus qu’un commentateur contemporain censure tous les passages ou Hippocrate parle d’air dans les artères. Je n’aime pas trop que l’on refasse l’histoire ou la pensée à posteriori.

Écrit par : lawrence | 18/12/2007

au delà du cas particulier qui nécessiterait des commentaires spécifiques, en réflexion générale
- la probité intellectuelle minimale, apprise du bac de français à la thèse de médecine,est de toujours préciser ses références et le caractère partiel ou non de ses citations, quand on caviarde un texte très connu retrouvable en trois clics on est un imbécile qui au minimum se tire une balle dans le pied !
-la tradition intellectuelle française opposait dans l'étude des textes anciens une approche historique qui dans les précisions contextuelles pouvait faire oublier un message universel et une approche philosophique qui faisait débattre de fragments tombés du ciel comme s'ils avaient été écrits hier par le voisin j'ai l'impression que les travaux des dernières décennies en toute discipline ont balayés cette fracture ce qui permet d'éviter ce genre de gag meme si débat est parfois vif( par exemple Foucault et l'histoire ..)

Écrit par : doudou | 18/12/2007

cher lawrence,
Votre point de vue peut se discuter : en effet, j'aime beaucoup l'écrivain Céline que je considère comme un très grand . C'est aussi un très sale type - ce que n'était certainement pas le cas de Maïmonide, sa prière avant de soigner les malades étant en tous points admirable, même pour un l'athée que je suis ... Il va sans dire que je n'ai aucun plaisir à lire les horreurs qu'il a pu écrire sur les Juifs, les Arabes, les Noirs etc ... Il me semble donc parfaitement normal de ne pas publier ou rééditer ces passages tout en avertissant celui qui veut vraiment connaître l'intégral de son oeuvre de l'endroit ou il peut les trouver . Ma comparaison est d'ailleurs assez fausse car Maïmonide était un vrai altruiste et Céline probablement un assez vil misanthrope ...
Bref il est important de distinguer l'oeuvre, le personnalité de l'auteur, et le contexte de toute une époque ... N'oublions pas que les premiers découvreurs de l'Amérique considéraient dans leur énorme majorité les Indiens comme des animaux ! Les femmes elles-mêmes n'ont été considérées par les ecclésiastiques comme des êtres humains (on se demandait alors si elles avaient une âme !!!!) à part entière que lors d'un concile bien après le sixième siècle !
C'est dans un sens ce qui fait espérer dans la nature humaine cette complexité que nous avons tous et cette capacité que nous avons d'évoluer !
Merci en tout cas des informations dont fourmille votre blog
Rodrigue

Écrit par : emin | 19/12/2007

Cher Lawrence, je suis heureuse de ne pas être d'accord avec toi, mais ne voudrais pas être mal comprise dans mon désaccord, ni surtout m'autoriser à entamer une polémique, alors qu'après tout, je suis chez toi, et tiens à rester une invitée de bonne tenue !

C'est tout le grave problème d'Internet, qui comme la langue d'Esope peut être la meilleure et la pire des choses. Le texte que tu cites - et dont je n'ai pas pris le temps de faire l'analyse parce que c'est sur la forme que nous discutons à savoir, caviarder ou non, tel ou tel passage dans une citation qui sert un autre propos que d'être une recension des oeuvres d'un auteur donné - est peut-être (ou pas) ultra choquant quand on le lit tel que, et il semblerait que tu reproches aux Abecassis d'avoir attenté à la vérité en caviardant des mentions sujettes à caution dans le contexte actuel.

Je pense que lorsqu'ils veulent rendre un hommage à un type de littérature, ils ne vont pas justement présenter ce qui à l'aune d'aujourd'hui n'est plus compréhensible. Et même si ce n'était pas ça, je trouve contrairement à ce que tu dis, qu'on peut tout à fait décider de laisser en blanc des morceaux de citation si ce n'est pas sur ces parties qu'on veut se faire interpeler. Pour me faire comprendre, je vais donner un exemple personnel : parfois sur mon blogue, j'ai très envie de citer des textes ou des parties de textes qui m'engouent, me parlent ou me font vibrer, sans pour autant en faire une présentation - explication, etc. Et puis, je m'aperçois que sans ces présentations ou explications (et je peux être très verbeuse, à preuve), je vais peut-être me faire "coller" par un lecteur, ou même, pire, écharper, par quelqu'un qui ne partage pas mes visions, mes croyances, que sais-je encore. Ainsi, j'ai en préparation un billet, et tout à l'heure, j'ai choisi une citation hors contexte, et délibérément décidé d'en supprimer une des phrases intercalaires, tout simplement parce qu'elle fait référence à Dieu, dans un rapport qui n'est pas nécessairement celui que je veux laisser public sur mon blogue par exemple.

Pourquoi est-ce qu'un texte n'aurait pas le droit d'avoir le même traitement qu'une photo ? On comprend très bien qu'une photo soit une "parcelle" de vision à un moment donné, et que l'on puisse en isoler un détail sans pour autant vouloir faire dire à l'ensemble toute une histoire qui n'est de toute manière pas l'histoire de ce qui s'est passé au moment où elle a été prise, mais la vision à l'heure actuelle où on la voit, comme une oeuvre d'art donnée.

Écrit par : Otir | 20/12/2007

>Cher Otir, ne t'inquiète pas. Je sais que tu n'aimes pas les polémiques, et ceci n'en est pas une.
Nos opinions reflètent ce que nous sommes et ce que nous ressentons et exposer plusieurs points de vue ne signifie pas forcément s’opposer.
Je vais te citer une des phrases de la préface que je trouve éclairante :
« Interpréter ne consiste pas à chercher le sens mais à produire du sens. »
C’est exactement pareil pour une discussion ici ou ailleurs.
Tu es ici chez toi et n’aie pas peur de t’asseoir sur le canapé.

Écrit par : lawrence | 20/12/2007

Merci Lawrence d'avoir saisi le sens de ma démarche !

Et avec la citation de la préface que tu as appréciée, tu as touché au coeur de la démarche talmudique classique. :-)

Écrit par : Otir | 20/12/2007

Les femmes elles-mêmes n'ont été considérées par les ecclésiastiques comme des êtres humains (on se demandait alors si elles avaient une âme !!!!) à part entière que lors d'un concile bien après le sixième siècle ?

on pourrait éviter de raconter n'importe quoi ?
C'est pas une sorte de "urban legend" du XVIIIe, ce gag ? si les hommes se demandaient si les femmes ont une âme, ils auraient pas fait des bébés avec. Et ils n'auraient pas reconnu de saintes. ni de martyres. Et y aurait pas eu de congrégations de femmes consacrées.
voilà voilà.
(y a des fois, le silence, c'est chouette, aussi)

(pareil pour les indiens, hein : ils étaient bien pris pour des humains ; dont certains se foutaient complètement, ou les prenaient pour des humains complètement stupides et au plus bas de l'échelle humaine, ça, oui. Mais l'histoire humaine nous apprend que l'on peut considérer un être comme humain et pour autant ne pas le traiter comme un être humain. ça arrive assez souvent.)

Pour en revenir à la censure : si on commence à couper les textes selon ce que l'opinion du moment accepte ou non d'entendre, d'une part on finira par perdre complètement les textes originaux, donc par ne rien comprendre du tout aux époques qui nous précèdent,
d'autre part on ne rend pas compte de la réalité, or le boulot de l'historien c'est de rendre compte de la réalité qu'il découvre, pas de la sensibilité de lecteurs potentiels.
(vous imaginez le scientifique "ah, non, cette découverte là c'est un peu gore, je vais pas en parler")

Et finalement ça fait tomber l'Histoire dans l'apologie ou le...le...bon, le contraire d'apologie. Il est tard, zut.
Et d'un "bon, humaniste, bien et tout", on retire les quelques taches, et d'un "salaud fini sang sur les mains meurs pourriture de communiste", on retire tout ce qui pourrait "faire bien". Les méchantsn c'est fait pour être très méchant, et les gentils, pour être très gentil ?
Et du coup, on favorise le développement d'une pensée bien manichéenne : t'as des pensées pas trop bien vues ou des propos déplacés sur un sujet ? alors t'es rien qu'un gros salaud, rien de bon ne peut sortir de toi. T'as dit des trucs cool et humanistes ? alors t'as sûrement toujours raison et tu peux rien faire de mal.

C'est idiot. Et c'est dangereux. Et contre-scientifique.
(Alexis Carrel était un grand scientifique reconnu, il avait des théories eugénistes assez peu engageantes ; ce n'est pas faire l'apologie de la guerre à outrance que de reconnaître des qualités de stratège ou de politicien à Napoléon ; ce n'est pas applaudir des 2 mains à toutes ses actions que de dire que Fabre d'Eglantine malgré un nom idiot a écrit des jolies chansons, etc...)

Si on réécrit l'Histoire, ne serait-ce que par omission, on étouffe l'intelligence, de toute façon.

Écrit par : pika | 27/12/2007

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