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16/01/2008

Déontologie.

Aujourd’hui, j’étais rouge de rage, et c’est rare.

Je suis une patiente depuis 4 ans à ma consultation au CHU. Nous sommes très proches (sucreries pour mes enfants…).

J’ai aussi accepté d’être son médecin référent. C’était une grave erreur, car cela l’a confortée (et moi aussi) dans l’idée que je pouvais lui suffire comme seul médecin.

Elle a 78 ans, est diabétique, polyvasculaire et insuffisante rénale non dialysée.

Je l’ai déjà confiée il y a 2-3 ans à une équipe de radiologues du CHU afin de lui dilater une artère iliaque pour une claudication serrée. Au cours de la procédure, le chef de service de radiologie m’a appelé pour me demander si j’étais d’accord pour qu’il lui dilate une sténose serrée de l’artère rénale. J’ai dit « pas de problème ».

Je la suis et la bilante régulièrement pour dépister une atteinte carotidienne, une resténose au niveau des membres inférieurs, de la rénale et une ischémie coronaire silencieuse.

Je pense être irréprochable du point de vue du suivi cardiaque et vasculaire.

Il y a deux mois, je mets en évidence une aggravation de son artériopathie des membres inférieurs. Elle claudique à 100 m. Je l’adresse avec mon döppler en consultation à un chirurgien vasculaire du CHU, dans le service où je suis aussi praticien attaché.

Quand il la voit (environ 10 jours plus tard), elle trottine à nouveau comme avant (a priori revascularisation par développement des collatérales). Le chirurgien me téléphone et me conseille de la traiter médicalement. Je suis d’autant plus d’accord que cette chirurgie m’inquiétait un peu.

Depuis lors, elle marche sans problème.

Par contre, je me suis rendu compte récemment que son traitement anti-diabétique n’était plus adapté car son diabète se déséquilibrait lentement mais sûrement et sa fonction rénale altérée contre-indiquait une partie de ses traitements.

J’ai tardé à prendre des mesures, mea culpa. N’est pas généraliste qui veut, surtout un spécialiste.

Je l’adresse donc à un endocrinologue qui travaille dans une grosse clinique à but non lucratif (sur le papier, ça existe). La clinique a un magnifique vernis de respectabilité, de sérieux. Je connais d’autant plus la structure que j’y fais des gardes. Pourquoi en clinique et pas en CHU ? Tout simplement car les délais y étaient moins faramineux.

Et puis bon, j’étais confiant.

Le temps passe, et ce matin, un chirurgien vasculaire que j’apprécie énormément (nous avons été assistants en même temps) m’appelle, me souhaite les vœux et m’annonce qu’il a dilaté et stenté ma patiente au cours d’une procédure réglée.

Je tombe de très haut.

Je lui explique que l’on avait repoussé cette indication il y a 3 mois, et je lui demande pourquoi personne ne m’a contacté pour me demander mon avis.

Il est gêné et me dit que ce n’est qu’en post-opératoire que la patiente lui a dit que j’étais son cardiologue et son médecin référent.

Je téléphone furax à l’endocrinologue (qui est le chef du service d’endocrinologie de la clinique) à qui je l’avais confiée « pour optimiser le traitement de son diabète » et non pour la revasculariser.

Il s’excuse platement, trouve quelques coupables (activité intense du service, faute des médecins résidents…) et se décharge sur le chirurgien vasculaire.

Je lui fais remarquer que ma patiente n’est pas allé d’elle-même le consulter…

Il me dit que cela ne se reproduira pas. Je lui réponds que cela ne risque pas d’arriver, car cette première patiente restera la seule.

Le ton reste courtois, mais il termine rapidement la conversation.

Aux dernières nouvelles la procédure s’est bien déroulée. Je crains quand même un peu pour sa fonction rénale.

J’ai repoussé mon idée initiale de porter plainte auprès de l’Ordre pour faute déontologique.

Cela ne m’apporterai rien, ni à moi, ni à la patiente.

Plusieurs remarques :

Je l’ai déjà écrit, mais jamais plus je n’accepterai d’être le médecin référent d’un patient. Les deux patients pour lesquels j’ai accepté me prennent pour leur généraliste, et je n’en ai pas les compétences.



L’endocrinologue a pris en charge cette patiente en ne tenant pas compte de son médecin correspondant puisqu’il ne m’a pas tenu au courant et qu’il a fait refaire tous les examens dont je lui avais pourtant donné les résultats dans mon courrier.
Refaire tous les examens donne l’impression d’avoir fait son travail, fait des actes pour le service  et donne du travail aux amis cardiologues et angiologues qui ont des vacations en libéral dans la structure. Petits arrangements entre amis qui nourrissent aussi la clinique aux dépens de la sécu. Lorsque l'on part de ce principe, sans tenir compte de l’histoire de la patiente, il est presque logique qu’elle se retrouve au bloc de vasculaire.

Et le chirurgien vasculaire ?
Il est sympa et travaille bien. Mais je me demande si le privé ne l’a pas fait passer du côté obscur de la Force. Comment peut-on faire une dilatation à une patiente sans lui avoir au moins demandé comment et par qui elle était suivie auparavant ?

Ne l’a-t-il pas interrogé ? N’a-t-il pas constaté qu’elle était parfaitement asymptomatique ?

Je pense qu’on aurait mis une chèvre sous les champs, qu’il ne s’en serait pas rendu compte outre mesure.

Deux jeunes chirurgiens vasculaires, à peu près même âge, issus de services différents, mais ils ont nécessairement eu les mêmes maîtres, une même patiente: deux conduites totalement différentes.

Celui du CHU s’abstient en disant que cette chirurgie (qui est purement fonctionnelle, rappelons le) a un rapport risque/bénéfice défavorable et celui de la clinique opère a priori sans se poser de question.

Pourquoi une telle différence ?

Différence d’école ? Leasing de la Cayenne ? URSSAF et CARMF à payer ? Reversions à la clinique ? Remboursement du prêt consenti pour payer le ticket d’entrée dans la structure ?

Je pense malheureusement savoir pourquoi: cherchez l'intrus.

Et puis, comme me l’a fait entendre l’endocrinologue au téléphone, « il n’y a pas mort d’homme ».

Non, mais qui peut prédire les conséquences de cet acte à mon avis non justifié chez ma petite patiente aux reins déjà bien fragiles ? Le chirurgien vasculaire m'a dit qu'elle aurait eu des petits ulcères, et que c'est pour cette raison que les endocrinologues la lui ont adressée. C'est fou comme ça apparait vite, les ulcères, fin décembre elle n'en avait pas...

L’argent corrompt tout et tous. Les patients, on s’en fout.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(Cette note était ma millième, mais ça me fait ni chaud ni froid)

 

Commentaires

Merci Laurence de votre honnêteté . On s'aperçoit après plus de trente ans d'activité dans le public et le privé (comme paramédical) que ce qui compte le plus ce ne sont pas les théories mais bien le comportement des professionnels impliqués, et ce, quelquesoit le système . Et j'ai souvent le sentiment que, sur ce plan, le niveau baisse . Je souhaite de tout coeur me tromper et votre témoignage m'aide à penser que les "derniers des Mohicans" peuvent encore se bien tenir !
Rodrigue

Écrit par : emin | 16/01/2008

Assez intéressant de voir la réaction d'un spécialiste vis à vis de ce qu'en tant que généraliste on vit tous les jours. Nous sommes censés être médecins traitants. La plupart du temps les spés et surtout les chirurgiens se tapent de notre avis, voire le méprisent. Je ne dis pas que nous avons raison, mais nous connaissons nos patients, nous savons pourquoi certaines décisions ont été prises, dans quel cadre ils vivent, ce qu'ils souhaitent...
Récemment, j'ai cru avoir une syncope car un vasculaire m'a appelée pour me demander d'aller voir un patient que nous avons en commun, de décider si l'hospit était nécessaire, m'a filé son portable perso... Mais pourquoi ai-je été si agréablement surprise? Cela ne devrait-il pas être la norme? La communication, le lien entre les soignants? Dans lintéret des patients?

Écrit par : Cebesine | 16/01/2008

>emin: Merci pour le commentaire. les mers vont monter, mais le niveau baisse. Triste réalité.

>Cebesine: C’est la remarque je me suis faite en écrivant la note.
C’est aussi vrai qu’en tant que spécialiste, Raminagrobis de la médecine, je ne m’en suis jamais rendu compte. En général, les autres spécialistes nous re-contactent toujours pour savoir ce que nous pensons de ce qu’ils ont décidé.
D’ou ma réaction de ce matin.
Mais ce qui m’a choqué est en fait, vous avez raison, monnaie courante.
D’ailleurs l’endocrinologue était désolé d’apprendre que j’étais cardio, et non MG. En gros, ce qu’il a fait aurait été moins grave dans le second cas…
Aujourd’hui, j’ai découvert cette face de la médecine, j’en apprends tous les jours.

Écrit par : lawrence | 16/01/2008

les idiots! ils n'ont pas compris qu'un spécialiste déontologique actuellement fait fortune ... mais dans les grandes villes les mauvaises habitudes ont trente ans au moins ( avant c'était l'heureux temps de la dichotomie !!!!)

Écrit par : doudou | 16/01/2008

Merci.

Écrit par : Ron | 16/01/2008

le paiement à l'acte n'est pas la meilleure chose qui soit, car les charges augmentent.
Pour gagner plus, il faut travailler plus, c'est clair, et cela constitue la base de l'exercice libéral. Cela en fait déraper plus d'un, vu la rentabilité des actes techniques. Entre donner un avis pour quelques sous, et rentabiliser sa journée, certains finissent par prendre le pli de la rentabilité

J'ai remarqué d'ailleurs que l'attrait des praticiens pour l'argent semble augmenter avec leur revenus. Ce sont ceux qui ont les plus hauts revenus (anesthésistes, chirurgiens) qui se plaignent le plus. En fait, plus ils gagnent et plus ils ne voient que la colonne des dépenses !

En tous cas , bravo pour le courage de votre écrit. Cette réflexion mérite d'être faite, mais peu osent faire ces observations politiquement "incorrectes"

Écrit par : docteur m | 16/01/2008

Effectivement rageante ton histoire.

Pourtant l'article 60 du Code de déontologie (article R.4127-60 du code de la santé publique) précise bien : "(...)A l'issue de la consultation, le consultant informe par écrit le médecin traitant de ses constatations, conclusions et éventuelles prescriptions en en avisant le patient." en précisant même "En cas d'urgence, cette réponse peut être orale, téléphonique, mais elle sera systématiquement doublée par une lettre écrite, moins soumise à erreur de transmission et laissant une trace de la consultation auprès des deux médecins. Le patient est informé de cet échange et, de préférence, de son contenu."

D'habitude les moins bavards sont les psy et les dermatos pour qui on s'évertue pourtant à faire des courriers.
Courageux d'avoir pris son téléphone pour mettre au clair cette histoire.

C'est la taxe pro qui tombe en décembre ?

Écrit par : Guillaume | 17/01/2008

un très bel exemple de ce que nous voyons souvent (pas toujours !)
on a aussi le ping-pong entre spécialistes d'organes, sans passage par le médecin traitant entre deux, qui pose problème, malgré des courriers d'information

mais là, la seule solution, ce serait l'instauration d'une véritable filière, avec un médecin traitant et des médecins consultants, travaillant tous pour le patient
l'utopie quoi !! -)
(au passage, 35 milliards d'économies potentielles à mettre ailleurs, hein ...)

ah oui, juste une note historique : médecin traitant, c'est pas médecin référent
système précurseur à capitation partielle qui était peu répandu car trop complexe pour le médecin, et qui a été flingué il y a 3 ans

médecin traitant, c'est médecin référent sans la rémunération -)))

tiens juste une autre note : en 2 ans, entre 2004 et 2006, les établissements privés ont fait + 35% dans l'Ondam, effet direct de la T2A

y a un vieil adage qui dit qu'en dehors des relations personnelles, dans la vie il n'y a que trois questions : qui paye ? combien ? pour obtenir quoi ?

Écrit par : le toubib | 18/01/2008

>le toubib, Guillaume: excellent!
>docteur m: ce serait courageux si j'écrivais sous mon vrai nom, et si je citais ceux de l'endocrinologue et du vasculaire. Dans ce cas, je m'exposerais à une sanction ordinale...

Écrit par : lawrence | 18/01/2008

salutations d'un specialiste en herbe algerois, je trouve que la relation etablissments publics/cliniques privées peut relever des "liaisons dangereuses" surtout avec des medecins apparemment portés sur la pecune au dépens du bon sens medical
chez nous à Alger on assiste bien souvent à de "detournements" de patients des CHU vers telle ou telle clinique , et parfois pour des indications dangereuses.
Mais les moeurs sont differentes car les praticiens sont sous-payés et l'excuse tombe comme une sentence: "on peut pas faire autrement"!!!!
merci pour cet article, merci de nous rappeler que partout dans le monde des gens se battent contre l'argent-dieu, contre le culte du veau d'or

Écrit par : kaddourkardio | 18/01/2008

c'est courageux de dire tout haut ces pratiques, même sans donner de nom.

Notre profession ne peut en tirer aucune fierté, et au lieu de se gaver d'angélisme béat, elle ferait mieux de faire le ménage, car ces pratiques sont répandus plus qu'on ne veut l'admettre . En tous cas on ne veut pas le dire ...

Écrit par : docteur m | 18/01/2008

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