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10/02/2008

Le gratin dauphinois.

C’est l’apothéose de toute table dauphinoise qui se respecte.

Menu typique mais heureusement peu fréquent: sabodet en entrée, viande rouge, gratin dauphinois, fromages bien bleuis d’une ferme environnante  et (jamais "ou") dessert (parfois une foyesse que les incultes appellent « tarte au sucre »), enfin expresso. Quand mon grand-père vivait encore, il commençait en plus par des grattons.

J’ai précisé « heureusement peu fréquent », car bien que délicieux, on passe en général les 24 heures suivantes à ruminer ces mets.

Après, pas étonnant que nous soyons tous hypercholestérolémiques dans la famille!

 

Le gratin dauphinois, accompagné d’une pièce de bœuf au four a donc rythmé toute mon enfance. Je ne vous ferais pas le coup de la madeleine de Proust, je vous laisse imaginer.

Ma grand-mère le prépare divinement, et ma mémoire n’enjolive pas les saveurs du passé car il lui arrive encore de le concocter.

Mais sa santé décline, elle est percluse de rhumatismes et ma mère, excellente cuisinière, la remplace de plus en plus souvent aux fourneaux.

Le gratin, bien qu’arrivant en milieu de repas est une sorte d’acmé, j’ose même esquisser le mot « orgasme ».

Vous imaginez donc bien à quel point il doit être parfait, et à quel point la pression familiale est considérable.

Mon épouse (qui a le tort de ne pas être dauphinoise) a bien  tenté un jour d’en faire un en le modifiant à sa sauce : moitié de lait (à la place de la crème) et moitié de beurre pour le rendre plus léger, noix de muscade pour relever la saveur de la pomme de terre.

Echec cuisant, presque sanglant.

Elle ne recommencera plus.

Dans le Dauphiné, on ne crie pas, on ne brasse pas d’air, on méprise. Et c’est ce qui est arrivé à son gratin.

 

Aujourd’hui, ma mère a relevé le défi.

A ma gauche ma grand-mère, à ma droite Thomas (3.5 ans) et Guillaume (6 ans), en face ma mère. Mon épouse, malade, n’assistera pas au combat.

Le plat à gratin trône au milieu du plateau du pétrin (nous mangeons sur le pétrin des bisaïeux boulangers). La tension est palpable car ma mère a déjà annoncé que la crème était peut-être un peu trop épaisse.

Je me sers une bonne ration, confiant, et c’est vrai que la crème me fait plus penser à un tiramisu qu’à un gratin. Je suis inquiet. On goûte tous, silence gêné, les pommes de terre sont craquantes, quasi crues, silence très très gêné.

Je plonge la tête dans le plat, ma grand-mère bougonne pendant que ma mère reprend rapidement nos portions pour les remettre dans le four.

Les petits font bouger le plateau du pétrin  et se font tancer plus sèchement que d’habitude.

Ma mère invoque le temps de cuisson (c’est un truisme), la qualité de la crème, de la pomme de terre…

Elle meuble comme elle peut.

Le gratin est ressorti du four.

Prudemment, je m’en ressers une bien plus petite portion.

On re-goûte tous, silence, aucune amélioration, je replonge dans mon assiette en attendant l’orage. Même les oiseaux sont silencieux dehors (d'un autre côté, c'est normal, on est en plein hiver).

Ma grand-mère chipote le gratin et grommelle. Ma mère explose « Mais dis quelque chose, arrête de faire le mime Marceau ! ». « C’est les pommes de terre » articule prudemment ma grand-mère.

Je rajoute un docte « Ou la crème » en mangeant diplomatiquement chaque lamelle de pomme de terre une à une. Ma mère mise en échec peut en effet être aussi redoutable qu'une bête sauvage blessée, surtout quand l'enjeu est aussi important.

C’est alors que Thomas, qui essaye de couper une lamelle de pomme de terre avec sa fourchette lance un inattendu mais regrettable « nonoss ?? ».

Mais non, c’est une pomme de terre, mange et tais toi !

Heureusement que ma mère n’a rien entendu, je me mords la lèvre pour ne pas rire.

Le repas se termine dans le silence stupéfiant qui succède aux grandes humiliations publiques, entrecoupé par de nouvelles considérations techniques sur les pommes de terre, la crème fraîche, les saisons détraquées.

Prudemment, ma grand-mère et moi minimisons cet échec cuisant en invoquant un évènement étranger inexplicable et inattendu, peut-être un bruissement d’ailes de papillon dans la baie de Tokyo.

Nous buvons notre café, et peu après la sortie de ma mère, ma grand-mère me lance, perfide et ironique comme les vieilles dauphinoises : « heureusement qu’il y avait le café derrière ! ».

Commentaires

Pwah !! J'me serais cru dans la cuisine !

Faudait exterminer les papillons de la baie de Tokyo...

Écrit par : Niluje | 10/02/2008

Pommes de terre presque crues, il faudrait peut être allumer le four ?

Écrit par : Valérie de Haute Savoie | 10/02/2008

J'ai vécu un moment identique dans ma belle-famille. Avec un Tiramisu. Et contrairement à la légende, les siciliens ne parlent non plus dans les cas graves. On aurait entendu un trader voler...

Écrit par : anita | 11/02/2008

Il y a des pommes de terres qui veulent pas cuire....

Chez nous c'est la fondue, une 'piece raportee' a, un jour, eu l'audace (l'inconscience) de mettre du gruyere au lieu de l'emmental vieux..... En plus elle avais rajoute de la fecule pour qu'elle 'prenne'

Ca fais au moins 15 ans et on en parle encore....

Écrit par : quietlaugh | 11/02/2008

LOL!!!

C'est énorme :d

Écrit par : Severine | 11/02/2008

excellent!par un heureux hasard je tombe ce soir sur votre blog et je me délecte au sens propre et figuré! un cardiologue avec un humour décapent serait-ce compatible?( ceux que j'ai côtoyé ne l’étaient guère!)

Écrit par : Soraya | 03/03/2012

Les commentaires sont fermés.