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11/02/2008
Les étrennes posthumes.
Mes grands parents paternels habitaient une bourgade tuberculeuse au beau milieu de nulle part, dans l’Ain (double pléonasme).
Pour être exact, si mon grand-père était bien le mien, son épouse, que j’ai pris pour ma grand-mère biologique jusqu’à l’âge de 15 ans était sa seconde épouse.
Premier mariage : mon père, second mariage, mon demi-oncle.
Après le divorce de mes parents, mes grands-parents maternels et moi « grimpions » les voir une fois par an.
Je ne serais pas hypocrite, mais la grosse enveloppe avec laquelle je revenais chaque fois aidait grandement à supporter un voyage en voiture peu agréable et surtout l’insupportable odeur de fromage aigre qui habitait leurs vêtements et leur maison surchauffée aux fenêtres toujours fermées. C’est vrai qu’ils étaient fromagers, chacun le quintal largement dépassé, et qu’ils habitaient au dessus de leur florissant commerce. Ils n’ont jamais pris de vacances, ne dépensaient jamais un sou de trop et travaillaient tous les deux comme des brutes.
Je trouvais ces journées un peu pénibles à cause de l’odeur de fromage, donc, à cause du caractère un peu difficile de mon grand-père paternel (dont j’ai un peu hérité, soyons honnête), et de l’ombre toujours présente d’un père divorcé qui leur faisait un peu honte. Ils ont bu jusqu’à la lie la gêne que mon père leur a procuré en nous abandonnant, moi et ma mère, pour son anesthésiste. Mais cela est une autre histoire.
On peut rajouter à cette ambiance étouffante mon demi-oncle, schizophrène à l’équilibre assez instable, habillé constamment en rocker à la Dick Rivers époque Schott, été comme hiver. Ce demi oncle au regard vaguement inquiétant était imprévisible, et se laissait souvent entraîner dans des aventures coûteuses (parfois 3-4 accidents de voiture par an) ou qui remplissaient ses géniteurs de honte. Je crois même que mon grand-père le soupçonnait d’avoir fait une chose encore bien plus inavouable.
Chaque voyage était donc pour moi un peu pénible, mais rémunérateur.
Ce n’est que bien plus tard, après la mort de mon grand-père, et lorsque sa seconde femme était entrée dans l’évolution terminale de sa maladie, et que trop grand, je n’avais plus droit aux étrennes, que je me suis rendu compte qu’ils étaient peut-être frustres mais loin d’être dénués de finesse et qu’ils m’aimaient, alors que moi je n’attendais que mon enveloppe.
La cruauté aveugle des adultes n’est parfois rien par rapport à celle des enfants et des adolescents. A l’enterrement de celle que j’ai considéré (et que je considère toujours) comme ma grand-mère, j’ai retrouvé il y a 4-5 ans mes demi-sœurs et mon demi-frère, avec lesquels je n’avais, et je n’ai à l’heure actuelle aucun contact.
Nous discutions de notre père, un peu à l’écart, parfois dérangés par les condoléances d’un inconnu, quand un membre de la famille, tout aussi inconnu, s’imposa entre nous et nous interpella.
En gros, il accusait notre défunt père d’avoir détourné les économies d’une vieille tante et nous demandait si nous en avions bien profité. Bien évidemment, nous étions tous les quatre étonnés et avons nié avoir reçu quoi que ce soit. De toute façon le seul héritier est mon demi-oncle, et encore qu’en partie, car il est sous curatelle.
Bref, à l’issue de cet incident pénible, j’ai découvert que le village prêtait à ma famille paternelle une fortune de « plusieurs millions ». C'était d'autant plus marquant que dans ces régions où le gain est aussi âpre que les âmes qui y habitent, l'activité principale des gens qui ont des biens, après s'être tué 14 heures au travail chaque jour, bien sûr, est de faire croire aux autres qu'ils n'en ont pas plus qu'eux.
Je parle de cette histoire à ma mère qui les savait aisés, mais pas à ce point.
Des mois se passent. Il y a deux mois, ma mère, qui était sûre, en vraie dauphinoise, que ma « grand-mère » m’avait quand même laissé quelque chose via une assurance-vie a contacté l’AGIRA.
J’étais assez dubitatif, mais comme l’épisode du gratin vous l’a peut-être laissé entrevoir, ma mère a un caractère aussi un peu difficile (et j’en ai aussi hérité), j’ai donc prudemment laissé faire.
Il y a deux jours, la réponse arrive par la poste. Je n’ai même pas pensé que ça pouvait être cela. Quand j’ai compris, j'avais déjà ouvert l'enveloppe et lu la brève missive. J’ai lu et relu plusieurs fois le nombre de décimales indiqué, la main droite tremblante.
J’ai appelé ma mère pour qu’elle le lise avec moi.
C’étaient bien 405 euros et 12 centimes.
12:00 Publié dans ma vie quotidienne | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
mieux que rien!!!!;)
Écrit par : alexandra | 11/02/2008
y a-t-il quelqu'un dans tes ancêtres qui t'ait légué un peu de bon carafon ? ;-)
Écrit par : nine | 12/02/2008
supportant volontiers les plaintes de la patientèle ,j'ai plus de mal au quotidien avec l'égotisme ,ici nous avons un bon exemple de littérature à la pointe de la corne (M LEIRIS) bravo!
Écrit par : doudou | 12/02/2008
Cette nouvelle vraiment bien écrite et racontée tout en sensibilité, m'a fait de suite penser au
Le Laboureur et ses Enfants
Travaillez, prenez de la peine :
C'est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'Oût.
Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.
D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.
Jean de La Fontaine (1621-1695)
Écrit par : Dr Sangsue | 13/02/2008
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