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05/04/2008

La digitale pourprée.

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Digitalis purpurea.

 

Finalement, je vais moi aussi participer au Carnaval.

N’accusez pas Zeclarr de paresse, car contrairement à moi, il travaille aujourd’hui en sauvant des gens aux urgences.

 

Je voudrais vous raconter l’histoire des digitaliques, qui sont encore pas mal utilisés en cardiologie.

Ils ont eu leur heure de gloire avant l’irruption des béta-bloquants dans le traitement de l’insuffisance cardiaque et l’étude DIG. Mais ils sont encore beaucoup prescrits dans le traitement de la fibrillation auriculaire.

 

Pendant longtemps, ils ont été les médicaments emblématiques du cardiologue. Rares étaient les non cardiologues qui osaient manier ce médicament à la pharmacocinétique complexe et ombrageuse, et dont les taux plasmatiques toxiques empiètent assez malencontreusement sur les taux thérapeutiques. Entre les deux, il y a moins d’un nanogramme par mL pour la digoxine, et surtout une grande variabilité entre les individus.

 

La digoxine et la digitoxine sont donc des digitaliques appartenant à la famille des glycosides, qui sont directement issus des feuilles de deux espèces de digitales (respectivement la Digitalis lanata et la Digitalis purpurea).

 

 

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Digitalis lanata

 

Ils ont 4 effets sur le cœur : ils sont inotropes positifs, chronotropes négatifs, dromotropes négatifs, et bathmotropes positifs.

J’adore le parfum si mystérieux et désuet de ces termes.

En clair, les glycosides renforcent la contraction cardiaque, ralentissent la fréquence cardiaque, ralentissent la vitesse de conduction de l’influx entre les oreillettes et les ventricules, et enfin ils augmentent l’excitabilité des ventricules.

 

Ces plantes sont utilisées depuis l’antiquité (Galien connaissait son utilisation) par les médecins pour soigner l’hydropisie (l’oedème des anciens auteurs qui ne savaient pas encore ce qu’était l’insuffisance cardiaque) et aussi par les empoisonneurs pour se débarrasser des importuns. Parfois, sans le faire exprès, le praticien se transformait en empoisonneur, car comme vous pouvez bien l’imaginer, il ne devait pas être simple ni précis de « doser » du broyat de digitale…

Il existe aussi dans la nature d’autres glycosides d’origine animale (les bufanolides extraits du crapeau buffle) et végétale (l’ouabaïne issue du strotanphus), qui sont aussi utilisés comme poison depuis des millénaires.

 

Les connaissances médicales de l’antiquité sombrent au cours du Moyen-Age pour ne réapparaître sporadiquement que bien plus tard.

D’abord en 1542 ou un certain Leonard Fuchs donne le nom de digitale à la plante, qui jusqu’à présent ne savait pas comment elle s’appelait. Il cite aussi l’utilisation de cette plante dans le traitement de l’hydropisie.

 

Mais c’est le grand William Withering qui va la redécouvrir au XVIIIème siècle.

Il a entendu parler des travaux de Fuchs et s’en souvient lorsqu’il rencontre une rebouteuse du Shropshire qui utilise une décoction d’une vingtaine de plantes afin de traiter l’hydropisie.

 

 

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Extrait de « An account of the foxglove and some of its medical uses: with practical remarks on dropsy and other diseases » (William Withering. 1785)

 

 

En étudiant cette potion, Withering identifie la digitale comme étant la seule plante active. Il va réussir à en extraire une poudre cinq fois plus puissante que la plante fraîche elle-même, à déterminer le meilleur moyen de l’administrer, et surtout à approcher la posologie optimale.

Et comme je l’ai déjà dit, c’est là que résidait à l’époque toute la difficulté d’emploi de ce traitement. Il décrit aussi les signes de la redoutable intoxication digitalique, notamment les troubles digestifs et la xanthopsie (le fait de tout voir en jaune)

Il observe d’excellents résultats sur des patients qui devaient probablement être des valvulaires rhumatismaux en fibrillation auriculaire rapide, et remarque que les digitaliques calment « l’action tumultueuse du cœur ».

Il publie ses observations basées sur 163 cas en 1785 (Withering W. An account of the foxglove and some of its medical uses: with practical remarks on dropsy and other diseases. London: J and J Robinson).


Par ses travaux, il va non seulement isoler les digitaliques d’une plante, la digitale, mais aussi « extraire » la pharmacologie des décoctions traditionnelles et des remèdes de « bonne femme », pour en faire une science à part entière.

 

En outre, il va suivre une démarche honnête et scientifique en reportant tous les cas traités, aussi bien les succès que les échecs:

"It would have been an easy task to have given select cases, whose successful treatment would have spoken strongly in favour of the medicine, and perhaps been flattering to my own reputation. But Truth and Science would condemn the procedure. I have therefore mentioned every case... proper or improper, successful or otherwise" (Extrait de « An account of the foxglove and some of its medical uses: with practical remarks on dropsy and other diseases »)

 

Malheureusement pour lui, il n’a pas le succès mérité à causes de facteurs totalement indépendants mais qui dénotent quand même un certain manque de chance.

 

Tout d’abord, un collègue, un certain Erasmus Darwin, publie un traité largement inspiré de ses travaux et tente de s’en attribuer tout le mérite.

Ensuite, la difficulté d’emploi des digitaliques, leur utilisation dans des cas de grosses jambes mais qui ne sont pas dues à de l’insuffisance cardiaque (la maladie post phlébitique par exemple) vont masquer à tous l’intérêt de ses travaux.

 

Ce n’est qu’une centaine d’années plus tard lorsque la digitoxine et la digoxine pourront être parfaitement isolées et dosées que ses travaux seront enfin reconnus.

 

 

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Digoxine

 

Malgré tout, les digitaliques prendront un essor incroyable au XIXème siècle, comme l'atteste de poème écrit en 1818 par la fille d'un patient ayant bénéficié de leurs bienfaits (cité ici):


 

The Foxglove's leaves, with caution given,
Another proof of favouring Heav'n,
Will happily display;
The rapid pulse it can abate;
The hectic pulse it can moderate;
And blest by Him whose will is fate,
May give a lengthened day.

 

 

La racine grecque φάρμακον [pharmakon], signifie non seulement remède, préparation magique mais aussi poison.

Je trouve que les digitaliques sont une illustration classique merveilleuse de cette double dualité médicament/poison et préparation magique/médicament.

 

 

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 William Withering tenant dans sa main gauche une branche de digitale.

 

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Articles de Wikipedia :Les digitales, William Withering, digoxine, digitoxine, glycosides cardiaques, bufalonides, strophantus.

 

Un article de synthèse sur les digitaliques paru dans Circulation en 1999.

 

Lee MR (2005). William Withering (1741-1799): a biographical sketch of a Birmingham Lunatic. In: The James Lind Library (www.jameslindlibrary.org).

 

Un cours sur les digitaliques (CHU de Besançon)

  

Kinne-Saffran E., Kinne R.H.K. Herbal Diuretics Revisited : From ‘Wise Women’ to William Withering. Am J Nephrol 2002;22:112–118

 

 

21:23 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (9)

Commentaires

Il existe, en cardiologie, une autre classe de médicament/poison les antivitamines K, avec une marge de toxicité plus large il est vrai.

Un plaisir de lire cet article d'histoire naturelle. Cela me rappelle mes cours de Biologie qui m'ont attirés vers la médecine.

Écrit par : Dr Sangsue | 06/04/2008

Tu devrais postuler pour des cours d'histoire de la médecine!

Écrit par : Hérisson | 06/04/2008

youpi ! ils participent tous les 2 !

petite, j'étais interdite d'aller dans le coin des digitaliques... mystère, mystère, et magie dans ma tête...

Écrit par : Sevi | 06/04/2008

aaaah dans le coin des digitales dans le jardin bien-sûr !

Écrit par : Sevi | 06/04/2008

Un coin des digitales, je rêve d'en avoir un!
Tu as des photos?

Écrit par : lawrence | 06/04/2008

Des jolies plantes qui poussent pas très loin de chez moi, dans leur version pourprée, merci pour ces explications ... et pour l'organisation de cet intéressant carnaval des blogs. ;-)

Écrit par : Pandora | 06/04/2008

beaucoup de plaisir à lire ce sujet très intéressant pour lequel je n'avais qu'une vague notion très floue (dont le nom de digitale provenant de la forme en doigt de ses fleurs).
est-ce que l'écorce de saule et sa célèbre descendante ont une histoire similaire?

Écrit par : mirisa | 07/04/2008

Pour l'écorce de saule et de l'arbre à quinine, je pense que l'histoire est à peu près similaire.
Je sais seulement que les jésuites se sont inspirés de l'utilisation de l'écorce de quinquina par les incas et que cela a été le point de départ du développement de la quinine.
L'histoire doit être intéressante là aussi...

Écrit par : lawrence | 07/04/2008

non pas de photos ! elles n'existent plus dans mon jardin...

Écrit par : Sevi | 09/04/2008

Les commentaires sont fermés.