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09/04/2008
LOVE.
Une jeune femme échevelée et discrètement moustachue entre dans ma salle d’examen, talonnée par une dame consciente de son importance, qui se révélera être sa mère.
Elles sont bien excitées toutes les deux, et malgré la petitesse de la pièce elles s’interpellent lourdement et se coupent la parole sans cesse.
Patiemment, j’attends que le nœud de leur pensée se desserre un peu. J’ai donc le temps de les détailler.
La jeune a 37 ans, un petit poil de moustache, un air vaguement bête et des cheveux blonds teints devant lesquels n’importe quel coiffeur consciencieux se serait mis à sangloter.
La maman, blonde teintée aussi, est littéralement couverte d’or : nombreux bracelets, lourde chaîne, nombreuses bagouzes. Je ne vois que partiellement son visage caché derrière une paire de lunettes de soleil Dior® qui sont bien inutiles aujourd’hui ou le ciel est gris plombé et bas.
Je remarque enfin à son poignet droit deux bracelets en or dont je reconnais la marque aux 2 C entrelacés. Ils font partie de la collection LOVE® (Luxe Ostentatoire, Vulgaire et Epanoui).
Finalement, la cacophonie diminue d’intensité, et me permet de poser quelques questions à la fille, auxquelles la mère s’empresse de répondre.
L’histoire est finalement assez simple : une hypertension s’est déclenchée chez la fille en péri-partum, et cette dernière veut que j'arrête son traitement qui l’empêche de boire de l’alcool, à cause de flushs et qui « lui prend la tête » dès le lever du lit.
Je suis le second cardiologue qu’elle va consulter en plus de son cardiologue traitant, car ce dernier est « vieux ».
L’autre confrère qu’elle est allée voir lui a aussi « pris la tête » car il lui a conseillé de diminuer sa consommation de sel.
Mais ce n’est pas ça qu’elle veut : elle veut que tout redevienne comme avant, sans régime ni comprimé.
Elle a d’ailleurs, sur les conseils éclairés d’un non médecin, commencé de son propre chef à diminuer son traitement en ne prenant que la moitié d’un de ses comprimés (d’ailleurs non sécable, soit dit en passant).
Je lui prends la tension : 150/80 au bras droit.
Je commence à lui expliquer un peu la situation, sans pouvoir terminer une seule phrase, puisque sa mère m’interrompt constamment.
C’est que cette dernière a une théorie fort intéressante car elle pense que tout vient du petit dernier qui est hyper remuant, mais attention, pas hyper actif (nuance). Elle pense aussi que « tout est dans la tête » de sa fille.
Encore une qui lit trop les pages psycho des magazines féminins, et qui est persuadée que Madame Figaro est à Gala ce que le Dit du Genji est aux Liaisons Dangereuses.
Enfin, cerise sur le gâteau, l’affaire familiale est l’objet de tracasseries des services fiscaux, ces requins sanguinaires, qui leur réclament indûment environ 250000 euros d’impayés.
J’ai consciencieusement compati à leurs problèmes d’argent, et leur ai fortement conseillé de revoir leur cardiologue traitant, à la compétence et à la sagacité reconnues de tous ses confrères.
Vint alors pour moi le meilleur moment, celui du règlement.
Aucun soucis de ce côté-là : la jeune femme a la CMU…
En les raccompagnant, je leur ai souhaité à toutes deux une bonne santé, et surtout leur ai assuré de mon soutien moral total dans leurs ennuis avec le fisc.
J’espère en effet qu’ils ne baisseront pas le rideau de sitôt.
Ils tiennent un bar-tabac-presse.
11:53 Publié dans Des patients... | Lien permanent | Commentaires (6)
Commentaires
C'est encore un truc à avoir des ennuis : médecine et argent, CMU et médecine ne font pas bons ménage. Il n'y a que médecine et dévouement qui vont bien ensemble.
D'un autre côté, si la "petite" de 37 ans ne travaille pas, rien ne l'empêche légalement d'avoir droit au RMI et à la CMU, même si ses parents... à moins que je me trompe.
N'empêche que si elle continue comme ça, elle semble mal barrée.
Ce clavardage me fait songer au dernier livre d'Aldo Naouri : "éduquer ses enfants".
Écrit par : Dr Sangsue | 09/04/2008
Parfois on peut décider d'aller travailler à l'étranger juste pour tenter d'échapper à ce genre de situation . Mais ce n'est souvent qu'une situation provisoire, voire palliative !
Écrit par : rodrigue | 09/04/2008
Il y a CMU et CMU :) Mon mari travaillant en Suisse est à la CMU mais croyez moi sa cotisation trimestrielle est assez conséquente (eh oui CMU ne rime pas forcément avec gratuité) ! Mais ceci dit, il a une carte sécu tout à fait classique, comme la mienne et celle de son fils. Il règle ses consultations comme n'importe quel assuré social.
Écrit par : Valérie de Haute Savoie | 09/04/2008
très "joli", un peu bling,bling cette famille, non?
Écrit par : dom | 09/04/2008
consultation habituelle qui me remplit toujours de ravissement car elle me permet d'étalonner ma forme dialectique,beaucoup de commentaires possibles mais j'avoue que la comparaison littéraire me laisse baba !
Écrit par : doudou | 09/04/2008
Bienvenue chez beaufland...
Écrit par : petitsecouriste | 10/04/2008
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