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09/11/2008

Jupiter et au-delà.

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Le NEJM vient de publier en ligne une étude qui risque de fair date dans la prévention des maladies cardio-vasculaires, rien de moins. L’étude JUPITER compare un traitement par rosuvastatine 20 mg/jour contre placebo chez des sujets (hommes de 50 ans et plus, femmes de 60 ans et plus) en « bonne santé » cardio-vasculaire, c'est-à-dire sans antécédent personnel cardiovasculaire, et avec un LDL cholestérol inférieur à 1.3 g/L à l’admission, c'est-à-dire « normal » pour cette population. Le seul critère de sélection parmi cette population était d’avoir une CRP ultra sensible supérieure à 2.0 mg/L ou plus.

 

Le suivi était initialement prévu pour durer 4 ans.

 

Mais l’étude a été arrêtée au bout de 1.9 ans pour une surmortalité significative dans le groupe placebo par rapport au groupe traité par statine.

 

La notion d’effet « pléiotropique » des statines, c'est-à-dire qu’il existe un effet bénéfique au-delà de la simple réduction du « mauvais » cholestérol (le LDL) et de l’augmentation du « bon » (le HDL) est déjà ancienne.

 

On a déjà prouvé que les statines faisaient baisser la CRP ultra sensible, un marqueur de l’inflammation, et que leur efficacité était d’autant plus importante qu’elles permettaient de baisser ses taux.

 

Il restait à le démontrer sur une large population, sur des critères « durs », c'est-à-dire de morbimortalité, et non sur des critères « mous », bien utiles pour vendre des boites de médicaments, mais peu pertinents pour la santé du patient.

 

Donc, au départ, on a 17802 patients, pour un suivi de 1.9 ans.

 

A l’arrivée, la rosuvastatine a permis de diminuer de LDL de 50%, et la CRP-US de 37%.

 

Le critère principal était composite, et associait : infarctus du myocarde, AVC, revascularisation artérielle, hospitalisation pour angor instable et décès d’origine cardiovasculaire.

 

Les critères secondaires étaient chacunes des composantes prises isolémment, du principal, le nombre d'infarctus du myocarde, d’AVC, ou de décès cardiovasculaires combinés et enfin la mortalité toutes causes confondues.

 

Le critère principal a été significativement diminué de 44% (hazard ratio, 0.46; 95% CI, 0.30 to 0.70; P=0.0002). Le risque absolu était de 1.36/100 patients par an dans le groupe placebo, 0.77 dans le groupe rosuvastatine.

 

En critères secondaires, le nombre d’infarctus du myocarde était diminué de 54% (hazard ratio, 0.46; 95% CI, 0.30 to 0.70; P=0.0002), le nombre d’AVC de 48% (hazard ratio, 0.52; 95% CI, 0.34 to 0.79; P=0.002), le nombre de revascularisation artérielle ou d’angor instable de 47% (hazard ratio, 0.53; 95% CI, 0.40 to 0.70; P<0.00001), le nombre d'infarctus du myocarde, d’AVC, ou de décès cardiovasculaires combinés de 47% (hazard ratio, 0.53; 95% CI, 0.40 to 0.69; P<0.00001).

 

Le nombre de décès, toutes causes confondues était significativement diminué(hazard ratio for the rosuvastatin group, 0.80; 95% CI, 0.67 to 0.97; P=0.02).

 

On ne retrouvait pas d’effets secondaires notables, notamment, une seule rhabdomyolyse dans le groupe rosuvastatine, pas plus d'atteintes rénales ou hépatiques, ni surtout plus de cancer (c’est actuellement le grand débat du verre d’eau ).

 

Par contre, plus de diabètes de découverte récente (270 contre 216, p=0.01), et une hémoglobine glyquée plus élevée à 24 mois dans le groupe statine (5.9% contre 5.8, p=0.001).

 

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Que faut-il conclure de tout cela ?

 

Primo, je ne vais pas conclure quoique se soit sur la place de la CRP-US dans la physiopathologie de l’athérosclérose (ce marqueur est-il acteur ou témoin ?), je laisse cela à d’autres.

 

Secundo, les statines sont « sûres », puisque pour cette large population, le traitement par statine n’expose pas à un sur-risque. Il va falloir néanmoins creuser cette histoire de diabète.

 

Bien que financée par Astra-Zeneca (le labo qui commercialise la rosuvastatine), et jusqu’à preuve du contraire, cette étude est une belle étude avec une méthodologie robuste et transparente.

 

Enfin, si les résultats en terme de risques relatifs sont très impressionnants (44% de moins pour le critère primaire, chez des patients à bas risque), et vont probablement conduire certains à vouloir faire une CRP-US à tout homme de plus de 50 ans et femme de plus de 60 ans pour le mettre sous statine, il me semble qu’il va falloir réfléchir un peu avant de mettre en pratique cette belle étude.

 

D’abord, comme prévu, le risque d’évènements cardiovasculaires est bas dans cette population à bas risque (1.36% par an dans le groupe placebo, 0.77 dans le groupe statine pour le critère principal, 0.17 et 0.37 pour les infarctus du myocarde).

 

On prévient donc dans cette population une maladie «rare», et cela, il faut bien en avoir conscience.

 

Ensuite, si l’on s’intéresse au nombre de sujets à traiter pour éviter un évènement cardio-vasculaire (infarctus, AVC ou mort), on obtient 120 sur une durée de 1.9 ans.

 

La boite de 28 comprimés de rosuvastatine 20 mg est à 41.46 € (source AMELI), soit 1.48€ par jour. Eviter un évènement cardiovasculaire va donc coûter 120*365*1.9*1.48= 123165.60 €.

 

Là, bien sûr, ça fait moins rêver, d’autant que la population potentielle à « traiter » est absolument énorme.

 

Ici on touche aux limites de l’intérêt de la prévention.

 

Idéalement, une bonne prévention est peu couteuse pour la société, et efficace sur une maladie grave et fréquente.

 

Or, on comprend fort bien, cela n’est absolument pas le cas de figure dans ce type d’indication de la rosuvastatine.

 

 

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Ridker PM, Danielson E, Fonseca FAH, et al. Rosuvastatin to prevent vascular events in men and women with elevated C-reactive protein. N Engl J Med 2008;359:2195-2207.

 

Mark A. Hlatky. Expanding the Orbit of Primary Prevention — Moving beyond JUPITER. N Engl J Med 2008;359:2280-2281.

 

MichaelO'Riordan. JUPITER casts a large shadow: Moving from efficacy data to the big picture . theheart.org. [Clinical Conditions > Clinical cardiology > Clinical cardiology]; Nov 9, 2008. Accessed at http://www.theheart.org/article/917505.do on Nov 10, 2008.

 

Michael O'Riordan. JUPITER hits New Orleans: Landmark study shows statins benefit healthy individuals with high CRP levels. theheart.org. [Clinical Conditions > Clinical cardiology > Clinical cardiology]; Nov 9, 2008. Accessed athttp://www.theheart.org/article/917181.do on Nov 10, 2008

19:11 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (9)

Commentaires

J'aime bien l'analyse économique à l'arrache, c'est pas de la prévention bon marché, mais ceci va permettre au crestor d'exister. La traduction en pratique clinique courante de cette étude va être un vrai casse tête.
Concernant la CRP-US, il y a un papier dans le NEJM qui montre que ce n'est qu'un marqueur de risque cardio-vasculaire et probablement pas la cause de l'athérosclérose.
J'attends avec impatience le battage médiatique autour de JUPITER.
Ce qui est inquiétant c'est que cette belle étude devrait en toute rigueur scientifique être répliqué (l'explication ici:http://kystes.blog.lemonde.fr/2008/10/09/pourquoi-lindustrie-de-la-publication-scientifique-biaise-la-science/) avant de conclure, mais qui voudra réinclure 18000 personnes?

Écrit par : stephane | 09/11/2008

Ces stats semblent solides et surtout non trivialement contre intuitives ou dénuées de sens.
Cependant, il faut que je fasse mon ronchon de base sur un point:

"Par contre, plus de diabètes de découverte récente (270 contre 216, p=0.01), et une hémoglobine glyquée plus élevée à 24 mois dans le groupe statine (5.9% contre 5.8, p=0.001)."

260 comparé à 216 en tenant compte du nombre d'individu, ok, c'est différent.
Par contre 5.9 versus 5.8 j'ai plus de mal ;) Que veux dire "p=0.001" dans ce cas?
Que l'on a seulement 1/1000 chance que ce ne soit pas vrai je suppose?

Ok ok...que *quoi* ne soit pas vrai? Le fait que l'hémoglobine glyquée soit plus haute dans un groupe que dans l'autre je resuppose.

/mode ronchon on : Qu'elle est la barre d'erreur de la mesure de l'hémoglobine glyquée?
Est ce que cliniquement un médecin voit une différence entre 5.9 et 5.8? (si oui, je retire tout en bloc).

Si le 1/1000 a été calculé en supposant que la mesure avait une précision infinie alors que sa précision n'est que de, disons, 0.5%, ce p=0.001 est un non sens mis là seulement pour vendre. Etant donné que les auteurs disent "5.9" et pas "5.89",c'est bien que seulement deux chiffres sont significatifs.

Bref, ce 5.9 versus 5.8 me semble plus que douteux. Ce qui est navrant, c'est qu'il est associé à ce gage de sérieux (sic et resic!) qu'est "p=0.001". Avant d'aller chercher un test statistique, les auteurs pouraient ils penser à la pertinence de l'hypothèse nulle (pour employer leur vocabulaire)??

Écrit par : xavier | 09/11/2008

>Stéphane: exact, j'avais beaucoup aimé cette analyse.
>Xavier: tu as parfaitement raison, il n'y a aucune différence clinique entre 5.8 et 5.9. C'est le grand nombre de patients qui permet de mettre en évidence une si petite différence

Écrit par : lawrence | 10/11/2008

juste à mettre en parallèle avec le cout des fruits et légumes ,l'éternel problème de la validité de la prévention médicamenteuse primaire est qu'il faut au moins avoir une morbidité analogue à celle du groupe placebo avant de commencer à discuter ,après l'information éclairée d'1 NNT aussi élévé fait le reste...

Écrit par : doudouou | 10/11/2008

Et moi j'avoue que ça me gêne quand même un peu de donner des médicaments aux gens qui vont bien... Je sais, c'est de la prévention, mais dire aux gens en bonne santé qu'il faut qu'ils prennent des médicaments pour le rester, j'avoue que ça me titille. Je sais que ce n'est pas toujours dans l'air du temps, mais parfois, c'est bien de retourner aux fondamentaux : quand on va bien, on va bien !

Écrit par : zeclarr | 10/11/2008

ben moi ça me gêne de voir qu'on va mettre ça en avant (toute) avec un léger détail gênant, mais très habituel en cardio-vasculaire :

mortalité totale inchangée
je présume qu'on a rien sur la morbidité totale ?

bon, c'est déjà hautement significatif de ce qui est attendu de voir la mortalité totale mise en critère secondaire. Non ?

la (bonne) lecture finale ne serait-elle pas plutôt : confirmation du fait que le traitement en primaire par statine ne modifie pas la mortalité totale et est donc inutile ? -)

Écrit par : le toubib | 10/11/2008

"il n'y a aucune différence clinique entre 5.8 et 5.9. C'est le grand nombre de patients qui permet de mettre en évidence une si petite différence"

Heu oui si la mesure avait une précision infinie (ou du moins largement inférieur à 0.1%), le grand nombre de patients permetterais de mettre en évidence cette différence.
Je ne suis pas sûr que ce soit le cas (car sinon les labos donneraient plus de chiffres significatifs...mais comme cliniquement ca ne fait pas de différence, je ne vois pas pourquoi ils dépenseraient de l'argent à tenter d'atteindre une précision dont tout le monde se moque).

Ce qui me choque à chaque fois que je lis les résultats d'une étude médicale, c'est le fait qu'au moins une des données est présentée de facon à faire hurler le premier statisticien (ou même le premier ingénieur) venu :( "Ca ne fait pas sérieux...."

Écrit par : xavier | 10/11/2008

>le toubib: euuuuh, je suis bien embête, parce que j'ai fait une coquille que je viens de corriger, le taux de mortalité toutes causes est bien diminué (de 20%)... Désolé!

>xavier: je ne crois pas que cela ait avoir avec la précision du test. Je crois qu'il existe une différence entre les deux d'un point de vue statistique. Par contre, d'un point de vue pratique, médical, je suis bien d'accord avec toi, cela n'a aucune signification, aucune pertinence.

Écrit par : lawrence | 11/11/2008

Non et re non :)

Ca n'a justement aucun sens d'utiliser un test statistique pour savoir comparé deux valeur en regardant seulement l'intersection des deux gaussiennes.

Une idée de la précision de cette mesure? 0.5? 0.1?

"une hémoglobine glyquée plus élevée à 24 mois dans le groupe statine (5.9% contre 5.8, p=0.001". Examinons cette phrase. Ca veut dire que, avec une proba de se tromper de seulement 0.001, l'hypothèse "l'hémoglobine glyquée plus élevée dans un groupe que dans l'autre" est vérifiée. Jusque là tout est clair.
Que signifie "plus élevée"? Ca veut dire que l'on peut classer les mesures. Que l'on a un "ordre total" si on veut faire plaisir aux matheux.

Un "ordre total" sur quoi? Qu'est ce que l'on tente de classer. Ici on classe des mesures données avec 2 chiffres significatif. 5.9 par exemple. Bien bien on progresse...
Si le labo donne 5.9 et pas 5.91, c'est que la précision de la mesure est en gros de 0.5 (que les statisticiens ne me frappent pas merci; j'ai un peu simplifié ce point de la démonstration pour ne pas noyer le poisson.).
Ca veut donc dire que le labo n'est pas capable de dire si un prélèvement est à 5.86 ou à 5.84. Or 5.86 sera donné comme étant 5.9 et 5.84 comme étant 5.8. "Et la c'est le drame (ou du moins le noeud du problème)":

L'hypothèse testée est "est ce que j'ai assez de patients pour dire que 5.9 est plus grand que 5.8". Le test de machin répond à cette question avec un p=.

Le problème est que le "plus élevé dans cette hypothèse n'a aucun sens physique".
Dans un papier de tout sauf de bio/médecine, on lirait qqch comme "5.9% contre 5.8 +/-0.1, différence non significative car dans les barres d'erreurs. On notera de plus que le phénomène étudié n'est pas sensible à une variation de 0.1" C'est mal dit mais c'est l'esprit. En bio, on lit toujours "5.9% contre 5.8, p=0.001". Les barres d'erreurs semblent totalement inconnues des gens qui écrivent ces papiers. C'est choquant (enfin bon je dors bien quand même, pas de soucis :))

Écrit par : xavier | 13/11/2008

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