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15/03/2005

De Kipling à Burrows

medium_burrowsvietnam.jpgCe matin, j’ai encore expérimenté ce qui rend mon métier fabuleux, les rencontres improbables avec des gens appartenant à un univers différent du mien.

Je rentre dans sa chambre, il a 55-60 ans, bien conservé (je le précise car c’est rare dans la clinique), un aspect un peu routard avec un pull bleu ample et un pantalon d’épaisse toile beige.
Je repère tout de suite les œuvres complètes de Saint-John Perse en collection « La Pléiade » sur la table de nuit.
Un lettré, c’est encore plus rare.
J’ignore tout de Saint-John Perse, mais la présence d’un livre dans une chambre de patient éveille toujours mon intérêt.
Autre détail, au poignet gauche une montre de type militaire, sur un bracelet « OTAN » vert foncé. Il ne s’agit pas d’une réédition récente, mais d’une montre d’un certain âge, étant donné l’état du verre.

Je note ces détails, et engage la conversation.

Il est enseignant d’anglais.
Il faut bien dire ce qui est, les trois quart des patients qui ont une activité culturelle (je n’ose pas dire « intellectuelle », voire « cérébrale ») sont des enseignants.
« J’aime bien voir des livres sur la table de nuit d’un patient, j’ai l’impression que la civilisation n’est pas encore anéantie…
C’est un peu flagorneur, mais je le pense, et je sais que cette entrée en matière va lui plaire.
Il entoure le livre de ses mains, dans un geste protecteur.
- En effet, « ça » n’a pas tout englouti.
Il montre la télévision du doigt.
- Vous fumez ?
- Oui, mais des « Bidis » indiens, avec très peu de tabac.
Il me montre un petit emballage conique, couvert d’inscriptions en sanscrit et une inscription en caractères latins : «501 Mangalore Ganesh Beedi », et avec une représentation de Ganesh en majesté. Les cigarettes sont en fait petites, formées d’une feuille brun-vert roulée, entourée à une extrémité d’une boucle de fil rouge.
- Ganesh, Dieu des étudiants, c’est indiqué, pour un enseignant, mais pas très bon pour la santé…
- Elles contiennent très peu de tabac, je vais vous faire voir.
Il sort un couteau multi usage en métal, dont le manche se replie en deux pour protéger la lame principale, et les secondaires, et fend la petite cigarette pour me faire constater la faible quantité de tabac qu’elles contiennent. Encore un outil de routard.
- vous avez beaucoup voyagé ?
- Dans tout le Sud-Est asiatique.
- On vous dirait tout droit sorti de « L’Homme qui voulait être Roi », avec vos petites cigarettes coloniales, et vos lectures…
Il sourit.
Je voyage en même temps que lui, au sein de l’Inde éternelle.
- Faites moi voir votre montre.
Elle a beaucoup vécu, et le verre est en plexiglas, matériau plus utilisé depuis des années.
Au dos, des inscriptions réglementaires de l’US ARMY, et une date : « November 1968 ».
Aucune indication de marque, mais je sais que c’est une Hamilton.
- En effet, c’est ce que m’a dit un horloger en Asie, je l’ai achetée à Saïgon.

J’ai voyagé avec lui au milieu des rizières, des clichés de Burrows, et ses soldats adolescents ivres de fatigue et de désespoir, broyés par une guerre qu’ils n’ont pas voulu.
Son propriétaire est peut-être mort dans un marais, et elle a été récupérée par un paysan, ou un Viêt-Cong. Ou le GI qui la portait l’a laissé en gage pour passer une nuit fugace de plaisir avec une « Little China Girl »
She says : Shh…

Les objets ont une âme.
Certains patients, aussi.


P.S
- J'ai découvert que les "Bidis" étaient de véritables saloperies ici et ici.
- Ne passez pas à côté d'un livre exceptionnel de photographies : "Vietnam" de Larry Burrows, Ed. Flammarion 2002.

Kawa

medium_126olymp-p6270339_p6270339.jpgCe breuvage suit ma vie.

D’abord moulu pas trop fin chez « Au Nègre », maison lyonnaise réputée (Ahhhh, le petit goût chocolaté du kenyan…) ou café banal de supermarché, avec une cafetière italienne « Miss Lavazza ».
J’ai carburé à ce breuvage toutes mes années de médecine.
J’ai encore dans l’oreille le doux sifflement/chuintement du café prêt à être consommé, et cette odeur un peu âcre dans les narines (trois « ^ » dans la même phrase, qui dit mieux, quatre même, cinq même, six….).

Un soir, peu avant l’internat, après avoir bu mon quatrième bol de café de la journée, avec un peu de marc à la dernière goutte (les possesseurs d’une italienne voient ce que je veux dire…), mon œil gauche s’est mis à fibriller de manière irrépressible pendant au moins une minute.
Uhmmm, je vais devoir limiter ma consommation, ou mettre des gouttes de Rivotril dans mon petit noir !

Arrivée de Sally et des enfants, fin des concours/diplômes stressants, disparition de la fonction « utilitaire du café ».

Passage à la « Senseo », cadeau de Sally.
Strictement aucun intérêt (même Sally en convient).

Enfin stade actuel, celui du confort bourgeois : la « Nespresso ».
Evidemment, il est excellent, même si je préfère infiniment une dénomination ou une origine telles que « Kenya, Costa Rica, Ethiopie, Moka, Arabica, Maragogype mexicain…. », qui me font infiniment plus rêver que leur international et aseptisé « Ristretto, Decaffeinato Intenso, ou encore Vivalto… ».

Les quatres saisons de Vivalto ?
Vous aimez Vivalto ?

Mon préféré est le Ristretto.
Je ne sais pas de quoi il est fait, mais il est très bon.

J’ai rempli la réserve ce matin, et je suis encore dubitatif devant le decorum mis en place pour vendre ce qui n’est que du café finalement : Hôtesses d’accueil, uniforme classieux, bois partout, décoration design…
Leur connaissance du café est probablement proche du néant, mais qu’importe, on leur demande de sourire et de donner l’impression qu’acheter ce café fait appartenir à une élite (le « club » selon leur jargon).
Le principe est universel, un riche rapporte plus qu’un passionné ou même un simple curieux, si on lui donne l’impression qu’il est né de la cuisse de Jupiter.

Ca se paye : 59.50 euros pour 200 dosettes (soit 1 Kg de café), soit 0.2975 euros la tasse.

Je regrette un peu la souris grise, parfois un peu grincheuse de « Au Nègre », mais qui était incollable sur le Maragogype mexicain. Je regrette un peu moins leur torréfaction un peu erratique, qui transformait d’une semaine sur l’autre, un kenyan chocolaté en un kenyan charbonneux.

Prochain stade du snobisme bourgeois ?
Le « fair trade » (« j’ai mes pauvres »), ou le bio ?
L’avenir le dira.

Petite page culturelle sur le café, ici


Image tirée de ce site