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01/04/2005

Comme quoi…

medium_fig02.jpgComme quoi, il faut prêter attention aux plaintes multiples, même des patients les plus demandeurs.
Madame P., 55 ans, remplacement valvulaire aortique par une bioprothèse il y a 2 semaines.
Pas de facteur de risque, mais un anévrysme de l’aorte thoracique ascendante de 50 mm, à surveiller.
Sa rééducation se passe bien.
Mais tous les jours, il y a quelque chose :
« - J’ai mal à la poitrine, c’est normal ?
- oui
- Je suis fatigué, c’est normal ?
- Oui
- Quand je lève le bras gauche, j’ai mal, c’est normal ?
- Oui, ne levez plus le bras gauche
- Quand je respire, je ressens de petits picotements sous le sein droit, c’est normal ?
- Oui, ne respirez plus
- Quand je marche, j’ai mal dans la fesse droite, et ça descend dans la jambe, c’est normal ?
- Non, mais c’est rien, c’est une sciatique »

Litanie normale, chez une patiente inquiète, mais usante, à force.
Mais, trois jour de suite, mes deux collègues (nous sommes quatre cardiologues sur la clinique) ont eu droit à la douleur dans la fesse droite.
De guerre lasse, Sylvie (la même que « bougez les quatre mains ! ») me demande de lui faire un döppler artériel des membres inférieurs, pour être tranquille.
Car maintenant, le patient a besoin d’examens complémentaires, quels qu’ils soient, pour être tranquillisé. La parole du médecin ne suffit plus.
Je l’emmène en salle de döppler, et j’ai droit à sa complainte (pour la première fois, car je n’avais pas vu cette dame auparavant).
Ca m’évoque pas grand’chose, mais je lui fais son döppler libérateur.
Je pose la sonde sur l’aine, et je trouve d’emblée que son flux fémoral droit est très amorti, alors que le gauche est normal.
« Uhmmm, re-racontez moi votre douleur…. ».
En fait, en posant les bonnes questions, et en faisant abstraction de multiples plaintes annexes, elle décrit une claudication fessière assez sévère.
Je pars de l’aorte, descends sur la bifurcation iliaque, et retrouve une sténose très serrée de l’iliaque commune droite.
C’était hier, ce matin, j’ai mesuré ses IPS à 0.5 (ischémie critique si IPS≤ 0.5, normal si IPS entre 0.8 et 1).

Donc ischémie critique de membre inférieur droit, sur sténose serrée de l’iliaque commune para-ostiale.

On a prévu de faire une artériographie la semaine prochaine, si confirmation, angioplastie.
Quelle est la physiopathologie, chez cette patiente non artéritique ?
Peut-être une rupture de plaque au cours de la coronarographie préopératoire, ou au cours de l’intervention, lors de la canulation artérielle (nécessaire lors d’une CEC de ce type).

La patiente est atterrée, et demande si c’est normal que nous soyons passé à côté de cela…
Réponse difficile.
Je lui ai répondu que la médecine est un Art difficile.
Elle n’a pas paru satisfaite…

On ne se méfie jamais assez des patients multi-symptomatiques.

Sur la photo: superbe sténose serrée de l'iliaque commune gauche.
Image tirée de .

19:55 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)

31/03/2005

La cérémonie.

medium_cvc_set.jpgNous avons tous notre culte personnel.
Le mien s’apparente au Kyudo, l’art millénaire de l’archerie zen.

Ca fait bien, comme ça, du genre « j’ai créé moi tout seul, un culte dérivé du Kyudo ».
Mais en fait, jusqu’à il y a 5 minutes, je ne savais même pas que le Kyudo existait.
Merci Google.
Revenons à nos moutons.

Le mien s’apparente au Kyudo, l’art millénaire de l’archerie zen.
Ce Culte, appelons le « La cérémonie de la Voie » doit être immuable, et précis.
Pourtant s’astreindre exactement et systématiquement à un rituel exigeant permet de se libérer l’esprit, et de faire abstraction des contraintes matérielles.

La cérémonie nécessite, comme toutes les cérémonies dignes de ce nom, une ou deux assistantes ou grandes prêtresses, un rite à suivre à la lettre, un lieu de culte consacré.

Les prêtresses sont vêtues de tenues vertes ou bleues, échancrées, à manches courtes, avec uniquement leurs sous vêtements dessous.
Ou rien, mais c’est plus rare, et je m’égare.
Elles doivent obéir, en silence, au doigt et à l’œil.

Je reviendrai sur le rite plus loin.
Le lieu : une chambre de réanimation, aire sous clavière gauche d’un patient intubé et ventilé. Je préfère la voie sous clavière gauche, car je suis droitier, et c’est la voie la plus propre, et la plus rapide. La plus dangereuse aussi. C’est ce qui fait tout son charme.
Intubé et ventilé, car pas d’explications à donner, pas d’anesthésie locale, pas de mouvements inopinés et dévastateurs.

Le rituel
Tout d’abord, faire le vide dans son esprit, oublier sa peur.
Puis faire le vide dans son esprit, oublier sa peur.
Enfin, faire le vide dans son esprit, oublier sa peur.
Pour ceux qui ne veulent pas les détails techniques : rendez-vous au paragraphe d’après.

- poser les champs en triangle équilatéral en sous clavier.
- « compresses »,faire deux tas : un pour recevoir la bétadine, l’autre pour essuyer.
- Faire le champ : bétadine rouge, rincer au serum physiologique, puis bétadine jaune.
- Demander une seringue non « luer lock » de 10cc (ni 20 cc, ni la seringue du kit, souvent peu maniables, et de mauvaise qualité). Faire jouer le piston deux fois pour faciliter son coulissement.
- Adapter le trocart à la seringue, mais pas trop à fond, biseau vers le haut (du côté de la graduation).
- Repérer l’extrémité souple du guide, l’orienter vers le centre du triangle équilatéral
- Prendre ses repères anatomiques. Caresser la clavicule, l’os à mon avis le plus sensuel du corps humain, avec ses courbes voluptueuses. Repérer si possible le bord externe du ligament costo-claviculaire, ou la jonction 1/3 interne- 1/3 moyen.
- Mimer le geste de piquer avec son index droit. Visualiser le geste avant de le faire, afin d’exorciser sa peur.
- Le geste est à la fois simple, complexe, brutal et doux, esthétique et sanglant: viser l’épaule controlatérale, piquer un centimètre sous le bord inférieur de la clavicule, avec une angulation de 30 degrés, effectuer un mouvement de rotation vers le haut autour de l’axe de la clavicule, tangentiel au bord inférieur, voire l’enrouler, comme un « Fosbury » inversé.
- Maintenant, on le fait pour de vrai
- Aiguille biseau vers le haut, pointe posée délicatement sur la peau.
- Grande inspiration, faire le vide dans son esprit, oublier sa peur.
- Piquer en aspirant
- Le sang doit être noirâtre, il doit remonter franchement dans la seringue, et ne doit pas repousser pas le piston quand on lâche ce dernier. Si l’un de ses critères n’est pas respecté, ce n’est pas bon. Au pire, c’est de l’air qui remonte, moins pire, du sang rouge vif pulsatile, au mieux pour un échec, toujours du vide.
- En cas d’air : espérer que l’on sait toujours mettre un drain thoracique en urgence, en cas de sang rutilant, enlever l’aiguille, et comprimer (ça ne sert à rien, mais cela donne l’impression de faire quelque chose d’utile), en cas de vide, changer l’angulation de l’aiguille, en pointant toujours vers le haut.
- Ma conception du geste parfait : qu’il soit réussi au cours de l’apnée initiale.
- Désinserer la seringue, sans bouger l’aiguille, et monter le guide, sans résistance.
- A la moindre résistance, ne pas forcer, et repiquer, car on est sorti de la veine.
- Retirer le trocart lentement, en maintenant le guide en place au point de pénétration dans la peau
- Ensuite, monter la Voie sur le guide, en le tenant par son bout proximal et distal (avec sa troisième main, mais c’est fondamental de toujours voir le bout distal du guide).
- Retirer le guide
- Fixer la Voie avec trois points (ni un, ni deux, trois).
- Faire le pansement : bétadine rouge, rincer au serum physiologique, puis bétadine jaune, tamponner avec des compresses propres, puis pansement.


Pourquoi l’analogie avec le Kyudo ?
Car je le vis comme un exercice de contrôle de soi, et j’essaye de faire toujours le geste le plus pur, en une apnée (je suis devenu très fort en apnée, a fil des années)
Je pense même que c’est plus difficile : la cible de l’archer ne bouge pas, ne crie pas, n’a pas peur, il ne risque pas de transpercer un poumon ou une artère (même en étant très malhabile), et il n’a pas autour de lui des IDE et AS piaillantes et râlantes.

Le contrôle de soi passe donc par l’abstraction des conditions environnantes, et du malade.
C’est fondamental, une fois le geste enclenché, il faut nier le malade, pour ne pas être dangereux pour lui.
Ce n’est pas facile, si l’esprit tremble, la main aussi.
Il faut « être » le trocard, « être » la veine, devenir un pur esprit piqueur, si je croyais en la réincarnation, je deviendrais un Anophèle.
(ouarff, à la relecture, je vois que je suis complètement parti sur le toit…).

L’enseignement est long, j’ai posé ma première Voie en hiver 1997, et je considère toujours être loin de la perfection (100% de réussite en une apnée).

Enfin, le respect scrupuleux des petits gestes est fondamental pour la concentration, surtout ne pas troubler son esprit en réfléchissant à ce que l’on va faire.
J’ai souvent remarqué que des séquences précises de rituels étaient souvent la base de techniques de concentration (le rosaire, les antéflexions du tronc devant le Mur, les rituels des sumotoris…).

Lors de ma dernière garde, j’ai réussi le geste parfait (c’est pas si fréquent), à 6h00 (la pire des heures). Le summum, c’est de pouvoir engueuler l’infirmière en lui demandant les lignes de perfusion, qu’elle n’a même pas eu le temps de préparer.
« Maisquestcequetufousmenfintudors ?? ». Généralement, je me prends une compresse stérile dans la figure, et une phrase du genre « Tu es tellement rapide… ».
C’est bon, la gloire, même éphémère, à 6h00 du matin.

Ainsi passe la gloire du monde, La Roche Tarpéienne est proche du Capitole.

11:35 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)

28/03/2005

Compromission.

medium_me0000059107_3.jpgJ’ai déjà évoqué à plusieurs reprises les relations sulfureuses qu’entretiennent les médecins, et l’industrie pharmaceutique.
En gros, nous sommes bombardés de petits (et gros cadeaux) pour nous persuader de prescrire telle ou telle molécule.

Cela va plus loin, l’industrie a aussi la main mise sur une partie des moyens d’information des praticiens.

De quelle façon ?
- Elle rémunère les auteurs des études, et finance ces dernières (heureusement, car sinon personne ne le ferait). D’ailleurs, les résultats lui appartiennent.
- Elle permet aux journaux scientifiques de vivre grâce à des pages entières de publicité
- Elle finance entièrement des hebdomadaires pseudo scientifiques que nous recevons tous, et qui digèrent les dernières informations publiées (vous imaginez dans quel sens…). Les auteurs, souvent des « leaders » d’opinion médicale sont grassement rémunérés.
- Elle finance l’accès des médecins à ces congrès.
- Elle finance des sites Internet, eux aussi pseudo scientifiques.
- Elle finance des associations de malades, excellents leviers de pression face aux pouvoirs publics.
- …

La liste n’est pas exhaustive.

Je vais vous donner un exemple magnifique de plan de communication réussi.

Il y a environ 3 mois, j’ai été convié à une soirée rémunérée (environ 150€), afin de répondre à des questions sur un nouveau produit, non encore commercialisé.
Tester une publicité ou un argument de vente d’un produit devant un petit panel de médecins est chose assez courante.
Je me suis retrouvé autour d’une table, avec une dizaine d’amis praticiens (CCA, internes, cardiologues libéraux).
Une jeune femme, appartenant à une boite de communication, nous a présenté les caractéristiques du produit, appelons le « R ».
Il fait maigrir (il diminue la quantité de graisse abdominale, la pire, en terme de risque cardio-vasculaire), améliore les métabolismes lipidiques et glucidiques, et aide au sevrage tabagique.
En un mot, la panacée.
En fait, les arguments que l’on nous a présentés nous ont tous fait hérisser les cheveux.
Le produit agit sur tellement de paramètres, que cela ne parait pas « sérieux ».
L’expérience montre en effet que l’efficacité d’un produit est très souvent inversement proportionnelle au nombre d’effets bénéfiques escomptés.
Enfin, et surtout, ce produit n’améliore, pour l’instant, ni la morbidité (accident cardio-vasculaire, hospitalisation…), ni la mortalité, car les études idoines n’ont pas été publiées.
En gros, un effet pour l’instant purement cosmétique (encore une fois, rien d’autre n’a été prouvé), mais potentiellement très attractif sur le grand public.

On nous demande de choisir les arguments de vente les moins mauvais, sinon on passe la soirée à flinguer le produit.

Le temps passe.

Des études, toujours les mêmes, sortent régulièrement, montrant l’intérêt de R dans la réduction de la masse abdominale.
Puis viennent les articles, signés d’experts, qui nous rappellent chaque semaine la gravité d’avoir de la graisse abdominale pour le système cardio-vasculaire.
On le sait depuis longtemps (la fameuse obésité androïde), mais actuellement, on le clame sur tous les toits.
Au début, ces articles ne mentionnaient pas R, puis depuis la publication des résultats des études initiales, on le mentionne.
Stade supérieure, R fait la une du « Monde.fr », et peut-être du « Monde » tout court : « la molécule qui fait maigrir ».
Bien évidemment, le laboratoire fait la vierge effarouchée, comment peut-on dire cela ? Nous refusons de communiquer sur la perte de poids, notre produit et novateur dans la lutte contre les facteurs de risque cardio-vasculaires…
Bref, deux langages, un pour les professionnels de santé, et un autre pour le grand public : le plus en plus fréquent « Parlez-en à votre médecin ».
La communication directe, au dessus de la tête du médecin (comme aux EU) a l’immense intérêt de faire prescrire des pilules à des patients, donc dans l’immense majorité des cas, totalement ignorants d’un domaine très complexe (indication/contre-indication, balance risque-bénéfice, études statistiques, biais…).
Ce marketing se développe de façon exponentielle (Cf. « Pilule sur ordonnance : l'industrie s'essaye au marketing grand public » dans « Le Monde » du 20 Mars 2005), et est à mon avis extrêmement dangereux.
Bientôt, le patient, « sensibilisé » par tel ou tel labo va demander tel ou tel produit à son médecin. Deux solutions : le praticien cède, et le labo a gagné (mais le patient ?), ou le praticien résiste, et adieu l’effet placebo « positif » dont parlait DW Winnicott (« Le médecin se prescrit en prescrivant un traitement »), le patient n’adhérera jamais à un traitement qu’il n’aura pas initialement choisi.
L’information impartiale, c’est bien, mais la « sensibilisation » avec le numéro vert du labo, cela me semble dangereux.
Les gens n’ont pas fini de jouer aux apprentis sorciers.

Comment va se poursuivre la carrière de R ?
Probablement bien, il va obtenir son AMM, sûrement avec des réserves (genre ASMR III ou IV), mais qu’importe, personne ne les lit.
Les médecins, gavés de publicité, et poussés par leurs patients vont le prescrire « larga manu ».
Donc énormes gains, sauf si on découvre un effet secondaire « fâcheux » à moyen et long terme (comme l’Isoméride® le Staltor®, les coxibs plus récemment).
Alors, on sera bien en peine de retrouver les « leaders » d‘opinion qui nous ont si bien « sensibilisé ».