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16/01/2008
Les animaux
Les Animaux malades de la peste
Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Jean de la Fontaine.
20:05 Publié dans Coups de gueule | Lien permanent | Commentaires (2)
Déontologie.
Aujourd’hui, j’étais rouge de rage, et c’est rare.
Je suis une patiente depuis 4 ans à ma consultation au CHU. Nous sommes très proches (sucreries pour mes enfants…).
J’ai aussi accepté d’être son médecin référent. C’était une grave erreur, car cela l’a confortée (et moi aussi) dans l’idée que je pouvais lui suffire comme seul médecin.
Elle a 78 ans, est diabétique, polyvasculaire et insuffisante rénale non dialysée.
Je l’ai déjà confiée il y a 2-3 ans à une équipe de radiologues du CHU afin de lui dilater une artère iliaque pour une claudication serrée. Au cours de la procédure, le chef de service de radiologie m’a appelé pour me demander si j’étais d’accord pour qu’il lui dilate une sténose serrée de l’artère rénale. J’ai dit « pas de problème ».
Je la suis et la bilante régulièrement pour dépister une atteinte carotidienne, une resténose au niveau des membres inférieurs, de la rénale et une ischémie coronaire silencieuse.
Je pense être irréprochable du point de vue du suivi cardiaque et vasculaire.
Il y a deux mois, je mets en évidence une aggravation de son artériopathie des membres inférieurs. Elle claudique à 100 m. Je l’adresse avec mon döppler en consultation à un chirurgien vasculaire du CHU, dans le service où je suis aussi praticien attaché.
Quand il la voit (environ 10 jours plus tard), elle trottine à nouveau comme avant (a priori revascularisation par développement des collatérales). Le chirurgien me téléphone et me conseille de la traiter médicalement. Je suis d’autant plus d’accord que cette chirurgie m’inquiétait un peu.
Depuis lors, elle marche sans problème.
Par contre, je me suis rendu compte récemment que son traitement anti-diabétique n’était plus adapté car son diabète se déséquilibrait lentement mais sûrement et sa fonction rénale altérée contre-indiquait une partie de ses traitements.
J’ai tardé à prendre des mesures, mea culpa. N’est pas généraliste qui veut, surtout un spécialiste.
Je l’adresse donc à un endocrinologue qui travaille dans une grosse clinique à but non lucratif (sur le papier, ça existe). La clinique a un magnifique vernis de respectabilité, de sérieux. Je connais d’autant plus la structure que j’y fais des gardes. Pourquoi en clinique et pas en CHU ? Tout simplement car les délais y étaient moins faramineux.
Et puis bon, j’étais confiant.
Le temps passe, et ce matin, un chirurgien vasculaire que j’apprécie énormément (nous avons été assistants en même temps) m’appelle, me souhaite les vœux et m’annonce qu’il a dilaté et stenté ma patiente au cours d’une procédure réglée.
Je tombe de très haut.
Je lui explique que l’on avait repoussé cette indication il y a 3 mois, et je lui demande pourquoi personne ne m’a contacté pour me demander mon avis.
Il est gêné et me dit que ce n’est qu’en post-opératoire que la patiente lui a dit que j’étais son cardiologue et son médecin référent.
Je téléphone furax à l’endocrinologue (qui est le chef du service d’endocrinologie de la clinique) à qui je l’avais confiée « pour optimiser le traitement de son diabète » et non pour la revasculariser.
Il s’excuse platement, trouve quelques coupables (activité intense du service, faute des médecins résidents…) et se décharge sur le chirurgien vasculaire.
Je lui fais remarquer que ma patiente n’est pas allé d’elle-même le consulter…
Il me dit que cela ne se reproduira pas. Je lui réponds que cela ne risque pas d’arriver, car cette première patiente restera la seule.
Le ton reste courtois, mais il termine rapidement la conversation.
Aux dernières nouvelles la procédure s’est bien déroulée. Je crains quand même un peu pour sa fonction rénale.
J’ai repoussé mon idée initiale de porter plainte auprès de l’Ordre pour faute déontologique.
Cela ne m’apporterai rien, ni à moi, ni à la patiente.
Plusieurs remarques :
Je l’ai déjà écrit, mais jamais plus je n’accepterai d’être le médecin référent d’un patient. Les deux patients pour lesquels j’ai accepté me prennent pour leur généraliste, et je n’en ai pas les compétences.
L’endocrinologue a pris en charge cette patiente en ne tenant pas compte de son médecin correspondant puisqu’il ne m’a pas tenu au courant et qu’il a fait refaire tous les examens dont je lui avais pourtant donné les résultats dans mon courrier.
Refaire tous les examens donne l’impression d’avoir fait son travail, fait des actes pour le service et donne du travail aux amis cardiologues et angiologues qui ont des vacations en libéral dans la structure. Petits arrangements entre amis qui nourrissent aussi la clinique aux dépens de la sécu. Lorsque l'on part de ce principe, sans tenir compte de l’histoire de la patiente, il est presque logique qu’elle se retrouve au bloc de vasculaire.
Il est sympa et travaille bien. Mais je me demande si le privé ne l’a pas fait passer du côté obscur de la Force. Comment peut-on faire une dilatation à une patiente sans lui avoir au moins demandé comment et par qui elle était suivie auparavant ?
Ne l’a-t-il pas interrogé ? N’a-t-il pas constaté qu’elle était parfaitement asymptomatique ?
Je pense qu’on aurait mis une chèvre sous les champs, qu’il ne s’en serait pas rendu compte outre mesure.
Deux jeunes chirurgiens vasculaires, à peu près même âge, issus de services différents, mais ils ont nécessairement eu les mêmes maîtres, une même patiente: deux conduites totalement différentes.
Celui du CHU s’abstient en disant que cette chirurgie (qui est purement fonctionnelle, rappelons le) a un rapport risque/bénéfice défavorable et celui de la clinique opère a priori sans se poser de question.
Pourquoi une telle différence ?
Différence d’école ? Leasing de la Cayenne ? URSSAF et CARMF à payer ? Reversions à la clinique ? Remboursement du prêt consenti pour payer le ticket d’entrée dans la structure ?
Je pense malheureusement savoir pourquoi: cherchez l'intrus.
Et puis, comme me l’a fait entendre l’endocrinologue au téléphone, « il n’y a pas mort d’homme ».
Non, mais qui peut prédire les conséquences de cet acte à mon avis non justifié chez ma petite patiente aux reins déjà bien fragiles ? Le chirurgien vasculaire m'a dit qu'elle aurait eu des petits ulcères, et que c'est pour cette raison que les endocrinologues la lui ont adressée. C'est fou comme ça apparait vite, les ulcères, fin décembre elle n'en avait pas...
L’argent corrompt tout et tous. Les patients, on s’en fout.
(Cette note était ma millième, mais ça me fait ni chaud ni froid)
14:35 Publié dans Prescrire en conscience | Lien permanent | Commentaires (11)
La nuit morbide.
« Arrête de masser ».
J’intube cette petite dame de 84 ans qui a déjà une coloration grisâtre. Un quart d’heure avant, je ne la connaissais pas, je dormais profondément.
Cette patiente est hospitalisée aux soins intensifs cardiologiques qui jouxtent la réanimation de chirurgie cardiaque où je suis de garde.
Il est d’usage d’appeler tous les médecins et infirmières disponibles quand survient un arrêt, et quand j’arrive encore pataud de sommeil, le médecin responsable du SIC, ses infirmières et les miennes s’affairent autour de la patiente.
Tout se passe comme d’habitude, stress et bordel, jusqu’au moment ou arrive le tour d’une fille pour masser. Je ne la connais pas. Elle a une quarantaine d’années et appartient à l’équipe du SIC.
C’est la première fois qu’elle masse.
Ses copines, debout au pied du lit, décident d’immortaliser le moment en la prenant en photo avec leur téléphone portable tenu au bout de leur bras levé.
Dans deux téléphones portables appartenant à deux infirmières, se trouvent actuellement des photos d’une pauvre dame toute nue, maintenant morte, en train d’être massée par une soignante souriante et prenant la pose pour le cliché.
En retournant me coucher, j’étais honteux.
Honteux pour elles et honteux pour moi, pour ne pas les avoir réduites en poussière.
13:26 Publié dans Coups de gueule | Lien permanent | Commentaires (12)