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22/07/2005
Le doute tue.
C’est un adage que je me suis mille fois répété, mais pas assez visiblement.
Un patient sorti de réanimation (à la suite d’un arrêt cardiaque récupéré) est à la clinique pour sa rééducation depuis un mois.
Il a des escarres aux talons, et sous la tête du cinquième métatarse gauche.
L’évolution est satisfaisante.
Puis le pied se couvre de ce qui ressemble à un hématome, depuis 7 jours.
Cliniquement, ce n’est ni chaud, ni froid, le pied est bien vascularisé.
Le patient n’a pas mal.
Un peu inquiets, nous réalisons un döppler qui est normal.
Bien sûr, orientés par notre formation (nous sommes tous cardiologues), nous sommes polarisés par l'ischémie de jambe.
Avant-hier, sa température monte brutalement à 38-39 C.
Il n’a pas l’air septique, et comme d’habitude, apparaît un facteur de confusion : une infection urinaire.
Toujours avoir ça à l’esprit : une évolution défavorable est assez souvent masquée par un épiphénomène.
La fièvre persiste hier malgré les antibiotiques, et apparaît une plaque de nécrose.
On tourne autour ce matin, ne sachant pas ce que c’est.
L’évolution nous inquiète, mais nous ne mettons pas le doigt dessus.
Nous décidons de la transférer, car nous avons clairement atteint notre niveau d’incompétence.
Nous cherchons un point de chute.
Après la matinée de recherches infructueuses, il est finalement admis en chirurgie vasculaire.
Pourquoi dans ce service, alors que c’est clairement pas vasculaire ?
Primo, car les médecins sont des amis (un carnet d’adresse très fourni est fondamental en médecine), et secundo, ils sont habitués à voir des pieds abîmés (le raisonnement est primaire, mais efficace, vous allez le voir).
Le verdict tombe en quelques minutes : gangrène septique.
Comme quoi, l’hyperspécialisation est décidemment une grande tare du système de santé actuel.
Aucun d’entre nous n’avait jamais vu de gangrène (la dermato avait conclu à un vulgaire hématome)…
Le pronostic vital et fonctionnel est bien évidemment « réservé », comme on dit pudiquement.
La pratique mdicale est décidemment bien difficile…
Une bonne nouvelle ce soir : la patiente qui avait fait son hémorragie digestive vendredi dernier (ici) va très bien.
20:50 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (7)
Commentaires
Dis donc, c'est pas trop rassurant ton truc, là...
Écrit par : Thierry | 23/07/2005
Ouais, c'est pas rassurant du tout pour notre médecine...
Un exemple similaire; mon oncle interne en psychiatrie - à l'époque, il a changé pour la rhumato justement suite à cette affaire - diagnostique une méningite chez un patient. Il en fait part à son chef qui récuse immédiatement le diagnostique, mon oncle demande un avis infectieux; c'était bien une méningite.
Son chef, plutôt que de le féliciter d'avoir sauvé une vie, l'engueule pour avoir dépassé le cadre de la psychiatrie... !!
Écrit par : Melie | 23/07/2005
C'est bizarre mais j'ai eu la même histoire sur une phlébite (avérée, traitée) fébrile vendredi soir, et grangrene gazeuse quand je l'ai revu, pour la derniere fois, lundi matin.
Curieux et ennuyeux ... mais ce n'était pas sur le territoire national, l'étranger jamais bien soigné !
Écrit par : Jean Paul | 05/08/2005
Votre histoire me laisse perplexe. Je me dis qu'avoir un bon médecin (je veux dire un médecin compétent et assez intelligent pour connaitre ses limites et savoir référer le patient à quelqu'un d'autre) c'est comme gagner à la lotterie.
Vous voyez, mon père (64 ans) a une plaie au pied à cause d'une mauvaise circulation sanguine (probleme congénital). Dernierement, un médecin a ''joué'' dans sa plaie et depuis ce temps, il saigne abondamment, par jets, comme si une artère était brisée. Qu'a dit son médecin (chirurgien vasculaire) ? ''Bof, je ne peux rien faire pour ca ''. Alors mon père perd son sang, et son médecin ne fait meme pas d'effort pour trouver un ami plus compétent dans son carnet d'adresse... Je tente désespérément de trouver un autre médecin qui voudra bien regarder ce jet de sang et trouver une solution. Vraiment, se peut-il que certains médecins soient blasés ?
Écrit par : Annie | 05/04/2006
>Annie
Je comprends bien votre remarque.
Mais il est très facile de faire de la Médecine a posteriori, avec des "si il avait fait ceci ou cela...".
A priori, quand on ne connait pas la fin de l'histoire (bonne ou mauvaise), on part du principe que ce que l'on fait est bien. Sinon, on ne le fait pas.
A partir de là, si on ne comprend pas quelque chose, ou que la maladie nous échappe, il faut demander un avis à quelqu'un. C'est là que réside la difficulté: savoir s'arrêter à temps.
Écrit par : Lawrence | 05/04/2006
Vous semblez être un médecin plein de sagesse. Ca me réconcilie un peu avec la profession.
Écrit par : Annie | 06/04/2006
Quoi de neuf, docteur ? (en espérant que vous avez déjà vu des épisodes de Bugs Bunny)
Petite mise à jour sur mon père de 64 ans, celui avec la plaie qui saigne. C'est drôle, au moment où je vous avais écrit, je ne vous parlais pas de la plaie qu'il avait, enfin, pas assez. A l'époque, je crois que je ne savais pas l'importance de cette plaie. Ma mère m'a appris qu'elle avait failli s'évanouir quand elle a vu l'horrible plaie que mon père avait au pied, car en plus de saigner, il y avait bourgeonnement d'une drôle de couleur. La plaie devait vraiment être laide, car ma mère, infirmière, en a vu, des plaies! Quand, il y a quelques mois, le fameux spécialiste (chirurgien vasculaire) que mon père voit depuis longtemps a vu la plaie, il a dit : "ca granule, ca doit être de l'hypergranulation". Il y a quelques jours, mon père m'a demandé qu'on photographie la plaie, qui mange maintenant une partie du pied. C'est un cancer. Il faut amputer. Qui l'amputera ? Oui, oui, c'est ce fameux spécialiste qui semble ne rien connaître et se foutre de tout. Dites-moi, est-ce possible que cet idiot soit au moins un peu un bon chirurgien ?
Écrit par : Annie | 03/05/2006
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