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18/08/2005

Le mur

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Le pouvoir le plus terrible et le plus sombre du médecin est d’être capable, dans une certaine mesure, de connaître l’avenir du patient qu’il a devant lui.

Terrible, car il donne un ascendant immense sur le patient, pour qui son avenir organique demeure le plus souvent totalement obscurci. Terrible, car aussi, bien souvent, on ne peut pas influencer le destin.

Ce pouvoir peut mener au meilleur, comme au pire.

Cette capacité renvoie à ce que nous étions il y a des millénaires, c'est-à-dire des Chamans.

Nous nous sommes tous trouvés plusieurs fois devant un patient encore bien-portant pour ses proches et lui même, avec dans les mains des examens scellant irrémédiablement son destin.

C’est finalement assez rare, heureusement, car toujours éprouvant pour tout le monde.

Surtout pour le patient en attente de résultats.

Tristan Bernard a dit, lors de son arrestation par la Gestapo : « Nous vivions jusqu'ici dans la crainte. Nous allons vivre dans l'espoir ».

Tel est le patient.

 

Hier, au cours de ma consultation hospitalière hebdomadaire, j’ai eu la vision terrible de ce qu’allait devenir le jeune patient que j’avais devant moi.

Pas une vision chamanique marijuannée, mais plutôt une intime conviction.

Ici, pas de maladie mortelle, mais plutôt un mode de vie délétère trop fréquent.

Agé de 36 ans, maçon, marié à une charmante jeune femme, deux enfants, il présente depuis quelques temps des poussées hypertensives. L’une d’entre elle a provoqué une épistaxis. D’où l’hospitalisation en ORL, puis consultation cardio il y a un mois.

Il est plutôt poupin, assez baraqué et la moue un peu boudeuse. Son aspect le rend sympathique d’emblée : un bon gars honnête et consciencieux.

On discute un peu du métier de maçon, qui est l’un des plus usants pour l’organisme que je connaisse. Beaucoup sont des épaves à 50 ans (mais j’ai probablement une vision hospitalière biaisée).

Je commence l’interrogatoire.

 

« Vous avez de l’hypertension depuis quand ?

- Je ne sais pas, on m’en a trouvé dans le service d’ORL

- Et à la dernière visite de médecine du travail ?

- Normale, je crois, je ne me souviens plus

- Vous fumez ?

- Euh oui, 1 paquet et demi par jour.

- Depuis longtemps je présume

- Depuis l’armée.

- Vous avez des GGT à 80, vous buvez de l’alcool ?

- Oh, comme tout le monde, mais là, ça tombait mal, j’ai fait la fête tout le week-end, j’étais chez des copains.

- Ca vous arrive souvent ?

- Assez, mais là, c’est mal tombé….

Sa femme intervient

- Ne dis pas ça Philippe, avec toi, ça tombe toujours mal. Je trouve que tu bois beaucoup tous les week-ends.

- Non, pas tant que ça, comme les copains.

- Quelle quantité d’alcool ?

- Oh, 3-4 pastis par repas.

- Quand même…

- Mais je ne bois rien la semaine.

- Mais, a priori, c’est déjà trop pour votre foie, les transaminases sont aussi un peu élevées.

- C’est mal tombé….

- Il faudra aussi limiter un peu le sel, pour faire baisser la tension artérielle. Vous mangez comment ?

- Normalement

- Cacahouètes, pizzas, vous resalez les aliments ?

- Oui, je mange beaucoup de cacahouètes…

- Vous allez me dire que ça tombe mal aussi ?

- Il s’esclaffe.

- Bon, ce n’est pas très brillant tout ça…

- On a beaucoup de problèmes financiers actuellement, mais j’arrête de fumer à la fin de l’année, et je vais diminuer l’alcool et les cacahouètes… »

Je l’ai donc revu hier. Les GGT sont à 220, il fume toujours, et son holter tensionnel n’est pas brillant. Il sourit toujours, et sa femme est un peu mal à l’aise.

Je lui commence un traitement anti HTA .

Il n’a que 36 ans, et devra probablement prendre ce comprimé à vie, mais bien d’autres vont se rajouter avec je temps, j’en suis sûr.

Se rend-t-elle compte que son mari tourne mal ?

Je le pense, et j’ai l’intime conviction que ce jeune homme va dans le mur à toute vitesse.

Ni elle ni moi ne pourrons rien y faire, et nous le savons tous les deux

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