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08/04/2006
L’accès aux soins : combien êtes-vous prêts à payer ?
Un nouvel article de Sandrine Blanchard a éveillé mon intérêt.
Intitulé « Les AGF inventent la "Sécu" de luxe », il décrit une assurance-maladie (« Excellence-Santé »), qui pour 12000 euros par an permettrait de voir LA sommité médicale référente, et non un vulgaire praticien.
Le choix des sommités étant fait par le Pr Pierre Godeau, éminent médecin interniste du siècle dernier (75 ans).
Ce n’est pas charitable, je le sais, mais je vais faire de la délation : il est, par ailleurs, le président de l’institut Servier.
On aura tout compris.
Bref, ce spécialiste des spécialités va constituer une équipe des meilleurs médecins français, non pas pour écrire un traité faisant référence (comme il l’a fait jadis), mais pour soigner les VIP d’ «Excellence- Santé ».
Certains praticiens sont tentés, « Le Monde » les a contacté, mais ils ont préféré décliner tout commentaire, parfois de manière hargneuse. Pourquoi tant de honte ? Vous sentiriez-vous mal à l’aise dans votre serment d’Hippocrate ?
D’autres, ont refusé, et se disent indignés par ce concept (on-t-ils été seulement contactés par le Pr Godeau ?). Etant donné les noms cités, je ne peux qu’imaginer que oui.
J’ai plusieurs remarques :
- L’inégalité existe déjà en termes d’accès à certains praticiens : essayez de consulter un cardiologue en habitant Gentioux-Pigerolles. J’ai déjà évoqué ce problème. Les gens n’ont qu’à habiter comme tout le monde, à Paris !
- Les consultations privées des PH et PU-PH existent depuis les années soixante. Depuis 40-45 ans, ce système permet de garder « le gratin » de l’Hôpital dans le secteur public. En effet, sans cette « entorse » au système du service public, il y a fort à parier que la plupart des agrégés auraient cédé aux sirènes sonnantes et trébuchantes du privé. En effet, le prestige de l’agrégation, seul, ne rempli pas le réservoir de la Mercédès. Rien que pour cela, je ne suis pour ce principe, à condition, bien sûr, de rester raisonnable. Faire gagner 6 mois d’attente en versant 100-150 euros me semble anormal. Par ailleurs, dans leur immense majorité, les patients avides et fiers d’être suivis par le Pr. Untel ou untel n’ont strictement rien de plus compliqué/grave que les autres. Un bon praticien de base et une tisane serait amplement suffisants. Les regarder payer 100-300 euros pour se faire soigner un furoncle de manière « professorale » est presque un acte moral.
- Toutefois, le concept de cette assurance-vie est parfaitement nauséeux. Maintenant donc, certains ne s’embarrassent même plus de mettre un minimum de formes (ou d’hypocrisie) pour donner l’impression que le système est toujours parfaitement égalitaire. Nous avons passé un palier supplémentaire en direction de la médecine inégalitaire, et je ne suis pas du tout sûr que les principes moraux qui animent certains d’entre nous résistent longtemps au pouvoir de l’argent. La morale a toujours été soluble dans l’argent.
- Personnellement, je n’irai pas voir de médecin conseillé par un septuagénaire.
- Comme l’article le dit très bien : "Il n'y a pas de rapport entre ce que vous payez et la qualité de l'acte". J’ai le souvenir d’un agrégé mondialement connu , et auquel je n’aurais pas confié la fibrillation auriculaire de mon chien.
- Que les gens de gauche qui lisent cette note ne se réjouissent pas de cette nouvelle dénonciation de la perversité du grand capital qui va encore une fois spolier le brave ouvrier. Le système de santé le plus inégalitaire que je connaisse en France est celui de la SNCF. Les soins sont parfaitement gratuits, et la douzaine de consultants sont tous chefs de service de leur spécialité. Record battu : moins d’une semaine pour voir une sommité (et même plusieurs, au besoin), si et seulement si vous travaillez dans cette vénérable institution. Je suis bien au courant, car toute ma belle famille est cheminot depuis 7 générations (ce n’est pas possible, mais c’est une image), et j’ai essayé de rentrer dans la liste de leurs consultants.
Pas assez agrégé, qu’on m’a dit.
- Enfin, un petit truc pour être bien soigné, pour pas trop cher, et sans faire pour autant partie de la SNCF : allez voir un assistant du service. Généralement, ce sont des gens biens (je le sais, je l’ai été), et quand ils ne savent pas (ça m’est souvent arrivé), ils vont demander un avis à….leur patron qui est une…sommité (et qui ne font pas payer leurs conseils, eux !).
22:10 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : carablogs, medecine et web
Commentaires
Choquant mais malheureusement dans l'air du temps.
Ceci dit, la pire intervention chirurgicale que j'ai subie a été effectuée par une "sommité" à l'honnêteté et à la compétence douteuse, mais qui faisait de splendides conférences.
Comme disait mon père, "mort aux cons".
Écrit par : dominique | 08/04/2006
"vaste programme"!
Écrit par : Lawrence | 08/04/2006
Ce que tu dénonces Lawrence est l'envers du décor d'une médecine ne plus en plus en proie à la loi du marché.
Ces gens en ont parfaitement conscience, mais la cupidité prime avant tout. Il n'y a rien à dénoncer, la division des pouvoirs en démocratie à morceler le pouvoir, la preuve la moindre réforme, en santé compris, se heurte à des conflits d'intérêts (souvent bien bas) des syndicats mais aussi (moins médiatiquement) des bureaux confortables des CHU de France...Que va t on perdre ou gagner avec ce ministre ? Voilà la question.
"Un coup de pied dans la fourmilière" comme disaient les anciens...
Bref. Ca ne me choque pas beaucoup au final, vu comment les postes de chefs de service et les agrégations sont distribués parfois, alors qu'Outre-Manche, tout le service (tout le personnel) vote tous les cinq ans pour son chef de service...ici c'est un titre à vie que beaucoup peinent à abandonner...
Écrit par : Serillo | 09/04/2006
>Serillo:en effet, à Montréal, mon patron de cardio était prorogé, presque contre son gré, tous les 4 ans. Personne d'autre ne voulait être le chef!
Nous, nous avons un peu le syndrome Abraracourcix.
Écrit par : Lawrence | 10/04/2006
1000 € par mois, une honte !
Pour revenir aux DH et aux délais raccourcis pour les consultations privées, ce qui me choque surtout c'est quand c'est l'interne qui opère et l'externe qui suture alors que le patient endormi est persuadé d'être opéré par un Professeur...
Pour ma part, je n'ai pas toujours trouvé d'ophtalmologue pour le renouvellement de mes lunettes.... Les prix demandés sont exorbitants, j'en ai la gerbe.
Et pour finir avec les DH, on a eu un souci en famille pour un dépassement énorme lors d'une chirurgie carcinologique, demandé par l'anesthésiste un mois plus tard... En fait, l'anesthésiste de consult (qui n'était pas le même que celui en induction) avait omis ce détail. Ma mère, sur mes conseils, n'a finalement jamais payé...
Les patients doivent aussi se manifester...
Écrit par : Esculape | 13/04/2006
Bonjour, votre article me fait penser qu'un chirurgien, d'un petit hôpital (public) de banlieue m'a demandé 1280 € pour une colectomie... (crises de diverticulites qui m'ont valu d'être plusieurs fois hospitalisée et ponctionnée, à 30 ans...).
Tandis qu'un chirurgien plus renommé d'un institut parisien dont je tairai le nom mais qui semble spécialisé dans cette pathologie, ne me demande rien...
Écrit par : Patiente | 10/05/2006
Lawrence, faut m'expliquer si les PH ont le droit de faire des consult privées avec DH !
Écrit par : Esculape | 12/05/2006
> esculape
DH, c'est quoi?
Sinon, on peut être PH, et avoir une activité libérale au sein d' l'Hôpital.
Je n'ai toutefois aucune idée des conditions.
>patiente: comme pour tout, ce n'est pas parceque c'est plus cher, que c'est mieux (et heureusement!).
Écrit par : lawrence | 12/05/2006
DH = Dépassement Honoraire
Écrit par : Esculape | 12/05/2006
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