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31/07/2006
« La Richmobile »
"Thérapie", mon bouquin fétiche (vous devez commencer à le savoir...) est sorti en 1996. Pour fêter son anniversaire je vais vous livrer un de mes extraits favoris. Comme c'est un peu long, premier extrait aujourd'hui, le second ce soir ou demain....
"J’en suis tombé amoureux dès que je l’ai vue, garée devant le magasin d’exposition, basse sur roues, des lignes fluides, sculptée dans une brume ou filtrait le soleil, aurait-on dit, un gris argenté très très pâle, à l’état nacré. Je m’inventais sans cesse des prétextes pour passer devant le magasin d’exposition afin de pouvoir la contempler de nouveau, et chaque fois j’avais la même bouffée de désir. Je suis sûr que je n’étais pas le seul, moin de là, mais à la différence des autres, je savais que je pouvais entrer dans le magasin et acheter cette automobile sans même me demander si j’en avais les moyens. Pourtant, j’hésitais et je ne le faisais pas. Pourquoi ? Parce que, à l’époque où je ne pouvais pas m’offrir une telle voiture, je réprouvais ces voitures là : rapides, tape-à-l’œil, gaspilleuses d’énergie… et japonaises. Jamais je n’achèterais une auto japonaise, déclarais-je, moins par patriotisme économique (je prenais des Fords qui se révélaient en général avoir été fabriquées en Belgique ou en Allemagne) que pour des motifs sentimentaux. Je suis assez vieux pour me souvenir de la Seconde Guerre mondiale, et un oncle à moi, prisonnier de guerre, avait été tué lorsqu’il travaillait au Siam sur les chemins de fer. Il m’arriverait malheur, me semblait-il, si j’achetais cette voiture, ou tout au moins je culpabiliserais et je serais malheureux quand je la conduirais. N’empêche que je la convoitais. C’est devenu l’un de mes « dadas »-sur lesquels je ne parviens pas à prendre une décision, que je ne peux pas chasser de mon esprit ni laisser de côté. Les dadas qui sont là à me tourmenter quand je me réveille au beau milieu de la nuit.
J’ai acheté toutes les revues spécialisées dans l’espoir de tomber sur une critique désastreuse de cette voiture qui me permettrait de renoncer à l’acheter. Des clous ! Certains comptes rendus d’essai sur route étaient un peu condescendants-« propre », « docile », et même « insondable » figuraient parmi les qualificatifs- mais on voyait bien que personne ne trouvait de reproche à lui faire. J’ai à peine fermé l’œil pendant toute une semaine, à chevaucher mon dada. Le croiriez-vous ? Pendant que la guerre dévastait la Yougoslavie, que le SIDA exterminait les gens par milliers en Afrique, que les charges de plastic explosaient en Irlande et que les statistiques du chômage se dégradaient inexorablement en Grande-Bretagne, la seule pensée qui m’occupait, c’était de savoir s’il fallait ou non acheter cette automobile."
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Thérapie.
David Lodge
Ed. Rivages poche/Bibliothèque étrangère
13:40 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)
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