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06/09/2008
Révolu.
Grâce à Gallica, et je ne sais pas trop comment, je suis tombé sur un article numérisé du Concours Médical daté du 11 mars 1934.
L’article relate une petite fête organisée en l’honneur d’un médecin de famille septuagénaire de Saint Arnoult (en Yvelines), le Dr Jean Camescasse, fraîchement nommé dans l’ordre de la Légion d’honneur, et qui plus est, rétabli récemment d’une vilaine pneumonie.
Saint Arnoult garde encore le souvenir de ce praticien, puisqu’on y trouve une « rue du Dr Camescasse » et une « école élémentaire Camescasse ».
Le texte est un peu long, la langue un peu surannée, mais l’ensemble est savoureux et vaut l'effort. Beaucoup d’allusions évoquent l’atmosphère de la médecine de l’époque, et nous renvoient un reflet de notre présent.
Le premier mot qui m’est venu à l’esprit à la fin du texte est « révolu ».
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Une fête confraternelle émouvante.
Hommage rendu au Dr Jean Camescasse, médecin de campagne.
Tous nos lecteurs connaissent le Docteur Jean CAMESCASSE, qui a écrit pour le Concours Médical les lettres si judicieuses, intitulées : Introduction à la vie du médecin de campagne et qui, de temps à autres, sous le pseudonyme du Docteur Jean, médecin de campagne, traite avec originalité quelques questions professionnelles.
Mais ce que nos lecteurs ne savent pas et ce que nous voulons leur dire, dût la modestie excessive de notre confrère Camescasse cruellement en souffrir, c'est que le Docteur Jean Camescasse est un médecin et un homme comme on n'en rencontre guère plus.
Neveu d'un Préfet de police qui jouit jadis d'une grande réputation et d'une réelle influence, interne des hôpitaux de Paris, travailleur acharné et doué d'une grande intelligence, estimé et aimé de ses chefs, Jean Camescasse pouvait avoir toutes les ambitions et elles auraient été légitimes. Il préféra se retirer à Saint-Arnoult-en- Yvelines, humble bourgade de Seine-et-Oise, à l'orée de la forêt dé Dourdan, aux confins de la Beauce, localité qui, éloignée des grandes lignes de chemin de fer, était et est encore d'un abord assez difficile, village qui, bien qu'à proximité de Paris, a conservé son caractère rural dans toute sa pureté.
Pourquoi le Docteur Jean Camescasse, ancien interne des hôpitaux de Paris, choisit-il cette sorte de retraite ?
C'est qu'il voulait immédiatement se faire une situation. C'est que, resté orphelin et étant l'ainé de sept enfants, il prenait au sérieux son rôle de chef de famille et qu'il tenait à assurer l'avenir
de tous les siens. Il travailla avec une volonté et une énergie peu communes et il réussit ; son dévouement sans bornes, sa science, ses qualités de coeur et d'esprit lui firent dans cette région une réputation sans pareille. Mais, chose rare ! ses confrères et même les familles de ses confrères à plusieurs lieues à la ronde, admirant sa bonté son désintéressement, sa confraternité agissante, l'estimèrent d'abord et ensuite eurent pour lui un respect profond qui, allié à une grande affection, devint une véritable vénération.
Le Docteur Jean Camescasse, septuagénaire, après 48 ans d'exercice de la médecine rurale, n'était pas décoré, car les Pouvoirs : publics n'aiment guère à rechercher le mérite qui ne sait ou ne veut pas se produire au grand jour, et M. Jean Camescasse est de ces hommes de caractère, assez rares aujourd'hui, qui acceptent les honneurs, mais ne vont pas les quémander. D'ailleurs, notre confrère est un sage. Il considère que la meilleure récompense est pour lui l'affection de sa famille, de ses confrères et de toute la population de sa région qui lui doivent beaucoup. Jean Camescasse n'eût sans doute jamais été décoré, si, chose certainement unique, les femmes des médecins de la région, voyant distribuer autour d'elles des croix infiniment moins méritées, et choquées de cet impardonnable , oubli, n'avaient pris l'initiative d'une pétition qu'elles surent faire puissamment appuyer. Ce que femme veut, Dieu le veut ! dit le proverbe, et, voici comment le Dr Jean, médecin de campagne, a été fait chevalier de la Légion d'honneur.
Notre confrère venait d'être atteint d'une grave pneumonie ; soigné avec le dévouement que l'on devine par Madame Camescasse et ses confrères, il est à l'heure actuelle convalescent.
C'est alors que les médecins de la région résolurent de fêter à la fois son rétablissement et sa décoration en une cérémonie intime. On devait lui remettre une croix pour laquelle chacun avait souscrit et les femmes des médecins devaient assister à la fête (1).
Le Docteur ARSONNEAU, jeune praticien de Saint-Arnoult, que M. Camescasse avait fait installer à ses côtés, m'avait prié d’assister à la fête comme président de L’Association professionnelle des Journalistes médicaux français. Le Docteur BISOT, médecin à Forges-les-Bains, et président du Syndicat médical, avait confirmé l'invitation par téléphone. J'acceptai avec enthousiasme sans la moindre hésitation et le 18, février, j'étais à Saint-Arnoult, au lieudit La Baraque, qu'habite le Docteur Jean Camescasse. Il fut bien étonné de voir sa maison envahie, et d'être entouré de sa famille, de ses confrères et de leurs femmes. J'assistai là à une cérémonie touchante.
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Le Docteur BISOT, de Forges-les-Bains, ancien interne des hôpitaux de Nancy, président du Syndicat médical, médecin de l'hôpital des Enfants de l'Assistance publique de Paris, dont M. Camescasse est médecin honoraire, prit le premier la parole et s'exprima en ces termes :
Mon cher Ami,
Nos confrères m'avaient fait le grand honneur de me désigner, en ma qualité de président du Syndicat médical de la région, pour vous dire combien nous étions heureux de la distinction qui vient de vous être décernée. J'avais accepté tout d'abord cette agréable mission.
Mais je me suis souvenu que dans une circonstance analogue, en octobre 1926, quand vous avez quitté votre service à l'hôpital de Forges, où nous avons eu une si étroits collaboration, j'avais déjà pris la parole et, je ne veux pas laisser se créer un monopole en ma faveur.
Et puis, un président de Syndicat s'occupe surtout «des mauvais sujets » ; or, vous êtes non seulement un excellent médecin, mais vous êtes et avez toujours été le meilleur des confrères.
Enfin, une notable partie de votre carrière s'est heureusement écoulée au temps où l'on ne parlait pas d'Assurances sociales,de commissions de discipline et de livre-joùrnal, toutes choses désagréables que je veux oublier en ce jour de fête.
Je me récuse donc et je cède la parole à notre ami Debertrand, qui va rappeler votre belle carrière médicale, depuis l'époque de votre internat dans les hôpitaux de Paris où vous étiez le benjamin de votre promotion, jusqu'aujourd'hui où vous recevez la consécration d'une vie de travail, d'honnêteté et de désintéressement. Pour cette distinction, vous n'avez admis,et c'est encore à votre honneur, comme titres valables que vos quarante-huit années de pratique médicale rurale et l'estime de vos amis et Confrères.
Je vous apporte le témoignage de cette estime totale et je vous assure, ainsi que votre noble compagne, Mme Camescasse, de notre sincère affection. J'ajoute les félicitations du bureau du Syndicat médical de Seine-et-Oise et du personnel de l'hôpital de Forges:qui m'ont demandé d'être leur interprète auprès de vous.
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M. le Docteur DEBERTRAND, de Dourdan, ancien interne des hôpitaux de Paris, prit à son tour la parole et avec une éloquence qui émut l'auditoire jusqu'aux larmes, prononça le discours suivant :
Mon cher Ami,
La «Baraque » est aujourd'hui en fête et tous ceux qui en franchissent le seuil, le font allègrement, heureux de vous apporter le témoignage de leur sympathie, heureux de vous offrir leurs voeux et leurs félicitations.
La croix, que les Pouvoirs publics se sont enfin décidés à vous accorder, récompense une vie de probité et de droiture.
Tout jeune encore, brillant interne, appelé à gravir facilement l'échelle des concours, vous avez entendu la voix douloureuse du devoir qui vous demandait de briser votre carrière et de sacrifier vos espoirs. Et vous êtes venu vous ensevelir dans ce coin retire des Yvelines. Des circonstances douloureuses avaient privé une nombreuse famille de son chef et de son soutien. D'un coeur calme et résolu, vous avez accepté de remplacer le cher disparu et vous avez rempli ce rôle avec une constance, avec une persévérance qui n'ont jamais connu de défaillance.
Et puis, pendant un demi-siècle, vous avez sillonné ce pays, semant à tous vents les trésors de votre intelligence et de votre coeur, dépensant sans compter vos forces et votre santé pour le soulagement des misères humaines.
Vous avez été médecin dans la plus noble acception du mot. Vous êtes notre doyen, notre modèle, notre conseiller, notre guide, notre ami. Tous vos confrères de la région vous estiment, vous apprécient, vous admirent, et ceux qui vous approchent de plus près vous aiment.
Aussi de cette croix nous sommes heureux et fiers.
Heureux parce que, nous le savons, cette distinction vous a fait plaisir. Oh ! sans doute, vous n'êtes pas de ceux qui versent dans l'intrigue, qui courent après les honneurs, qui s'inclinent devant les puissances éphémères du jour, qui s'agenouillent devant le veau d'or.
Tout de même, quand on s'appelle Camescasse, quand on sait ce que l'on vaut, quand on regarde par derrière soi la longue chaîne des bienfaits et des services rendus au cours de sa laborieuse existence, eh bien ! sans présomption, sans forfanterie, sans ambition, on a le droit de se dire que rarement croix civile fut mieux placée.
Et nous sommes également fiers parce que la distinction, accordée à l'un d'entre nous et au plus digne, rejaillit sur toute la famille médicale de la région, cette famille qui cherche à marcher sur vos traces et à maintenir dans tout son éclat le prestige de la profession.
Madame, très chère Madame, les sentiments d'estime, d'affection et d'admiration que nous éprouvons pour votre mari, du même coeur et avec la même sincérité nous les reportons sur vous. Vous avez partagé vaillamment sa dure existence ; vous avez été la compagne assidue de ses joies, de ses peines, de ses soucis, de ses inquiétudes. Mais c'est surtout dans l'épreuve que vous vous êtes grandie. Lorsque la maladie a terrassé votre mari, vous vous êtes installée à son chevet, douce, infatigable, ange gardien de la charité, infirmière idéale.
Et ce spectacle a émerveillé et ému ceux qui ont eu le bonheur, pendant ces heures pénibles, d'approcher votre foyer de plus près.
Puisse, mon cher ami, cette croix briller longtemps sur votre poitrine. Puissiez-vous tous les deux être conservés longtemps encore à notre estime et à notre affection. Puisse enfin le soir de votre vie ressembler à un de ces longs soirs d'été qui coulent doucement, lentement, dans un décor de calme, de douceur et de paix.
A mon tour, je dus prendre la parole :
Mon cher Confrère, Mesdames, Messieurs,
Après l'éloquent et émouvant discours que vous venez d'entendre, il est malaisé à un parisien de venir apporter, au Docteur Jean Camescasse, un nouveau tribut d'hommages.
Aussi, est-ce seulement à Jean Camescasse, journaliste médical, que je vais m'adresser, car c'est comme Président de L’Association professionnelle des Journalistes médicaux français, que je suis venu aujourd'hui prendre part à cette fête. Notre Association, dont M. Camescasse était il y a dix ans et encore hier vice-président, m'a donné le mandat, à sa dernière Assemblée du 16 février, de la représenter ici.
Jamais mission ne m'a paru plus agréable, car, depuis de longues années, j'ai, pour le médecin de campagne journaliste qu'est M. J. Camescasse,une vénération et une admiration sans réserve. Je ne puis oublier aussi que je suis le Directeur du Concours Médical et que c'est à notre journal que le Docteur Jean Camescasse a fait l'honneur d'adresser les lettres si vivantes, si pleines d'esprit et de bon sens, qu'il a intitulées: Introduction à la vie du médecin de campagne. Ces lettres ont eu un très grand succès auprès de nos lecteurs. Tout récemment,un de nos abonnés nous écrivait des Basses-Pyrénées : «Je suis vraiment surpris qu'un ancien interne des hôpitaux de Paris ait une connaissance aussi approfondie de la médecine rurale. »
Notre correspondant ignorait que le Docteur Jean Camescasse exerce depuis 48ans cette médecine et qu'il pouvait s'exprimer avec une science médicale approfondie, mais aussi, avec une expérience clinique complète et un bon sens à toute épreuve.
La médecine rurale, nous a démontré M. Camescasse, diffère de la médecine urbaine ; elle varie même selon les régions ; les types morbides, de même que les réactions thérapeutiques, ne sont pas toujours les mêmes en Normandie et en Ile-de-France. « De ce qu'on apprend à la Faculté, il en faut .laisser, il en faut prendre… c'est le partage qui est difficile. »Et M. Camescasse s'est efforcé de faire ce partage, il a recommandé au médecin rural d'éviter de se créer une religion, une foi déraisonnable dans telle ou telle ligne de conduite, et surtout, a-t-il dit, il faut savoir s'abstenir de critiquer la conduite du voisin, car on ignore quelles sont les raisons qui l'ont déterminée.
La conception du Docteur Camescasse sur les différences des conditions de l'exercice de la médecine rurale a été aussi réaliste par l'organisation très intéressante du Docteur Godlewski : les Assises nationales de L’Assemblée française de médecine générale, où des médecins ruraux viennent des diverses régions de France donner leur avis ou les résultats de leurs enquêtes sur des questions mises à l'ordre du jour. Cette institution mérite de prospérer, elle attire l'attention de centaines de médecins, qui viennent prendre part à ses discussions; de même des milliers de lecteurs prennent connaissance des lettres sur l'Introduction à la vie du médecin de campagne, les méditent et en tirent profit.
Aussi, je rends hommage au nom de L’Association professionnelle des journalistes médicaux français et au nom du Concours Médical à Jean Camescasse, journaliste médical et médecin de campagne.
Enfin, je ne saurais oublier que je suis moi-même médecin praticien, que j'exerce depuis 41 ans dans un quartier assez peu fortuné de la capitale, que je suis fils, neveu, gendre et beau-frère de médecins de campagne et que, pendant mon enfance; j'ai pu me rendre compte de la vie rude et périlleuse qu'a menée mon père, non pour s'enrichir certes, il n'y songeait guère, mais pour arriver à nourrir sa famille et a élever ses enfants. Je connais donc bien la médecine pratique et même la médecine rurale, je sais ce qu'elle exige de courage, d'énergie, de dévouement et de désintéressement ; qu'il soit donc permis au praticien parisien de se joindre à vous, mes chers Confrères, pour exprimer au Docteur Jean Camescasse, au Docteur Jean, médecin de campagne, toute mon admiration et mes affectueuses félicitations.
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Madame Arsonneau, la très jeune et charmante femme du médecin de Saint- Arnoult, a alors remis au Docteur Jean Camescasse, la croix de la Légion d'honneur, souvenir de ses confrères. Très ému, le héros de la fête qui considérait les assistants un peu comme ses enfants l'embrassa aux applaudissements de l’Assemblée.
On but le Champagne à la santé de M. et Madame Camescasse et la nuit venant, je dus regagner Paris.
Je garderai toujours le souvenir de cette simple fête, fête de l'amitié, de la reconnaissance, de la bonne confraternité. Je me suis senti là dans un milieu de braves gens, d'honnêtes confrères, de médecins dévoués, désintéressés connue j'en ai connu jadis, de vrais praticiens qui, dans nos campagnes françaises, sont plus nombreux qu'on ne s'en doute, et j'ai trouvé là un réconfort qui m'a consolé des tristesses de l'heure présente et de l'esprit mercantile qui s'étale quelquefois sans pudeur, mais plus rarement qu'on ne le prétend, chez quelques médecins de la ville.
Le Docteur Jean Camescasse a fait école dans sa région ; souhaitons qu'en France, il y ait beaucoup de Docteurs Jean Camescasse, de Docteurs Jean, médecins de campagne.
J. Noir
(1) Ont pris part à cette cérémonie intime : le.Dr Advenier, d'Ablis, le Dr et Mme Arsoneau, de Saint-Arnoult, le Dr et Mme Bisot, de Forges-les-Bains, le Dr. et MmeDebertrand, de Dourdan,le Dr. et Mme Doubrère, de Rambouillet; le Dr. Et Mme Maurel, de St-Chéron, le Dr. et Mme Patureau de Monthléry, le Dr Vermeil, de Rambouillet, M. Canel, chirurgien-dentiste,
à Rambouillet, le Dr J. Noir, de Paris et une quinzaine de parents et d’amis de M. le Dr. J. Camescasse.
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Concours Médical, 11 mars 1934, 10 : 680-4
18:22 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
« De ce qu'on apprend à la Faculté, il en faut laisser, il en faut prendre… c'est le partage qui est difficile. » Toujours vrai :-) Mais sinon, ça fait penser à un roman, le "médecin de campagne" dévoué et révéré...
Écrit par : Hérisson | 06/09/2008
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