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05/04/2008
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22:18 Publié dans Divers et variés | Lien permanent | Commentaires (1)
La digitale pourprée.
Digitalis purpurea.
Finalement, je vais moi aussi participer au Carnaval.
N’accusez pas Zeclarr de paresse, car contrairement à moi, il travaille aujourd’hui en sauvant des gens aux urgences.
Je voudrais vous raconter l’histoire des digitaliques, qui sont encore pas mal utilisés en cardiologie.
Ils ont eu leur heure de gloire avant l’irruption des béta-bloquants dans le traitement de l’insuffisance cardiaque et l’étude DIG. Mais ils sont encore beaucoup prescrits dans le traitement de la fibrillation auriculaire.
Pendant longtemps, ils ont été les médicaments emblématiques du cardiologue. Rares étaient les non cardiologues qui osaient manier ce médicament à la pharmacocinétique complexe et ombrageuse, et dont les taux plasmatiques toxiques empiètent assez malencontreusement sur les taux thérapeutiques. Entre les deux, il y a moins d’un nanogramme par mL pour la digoxine, et surtout une grande variabilité entre les individus.
La digoxine et la digitoxine sont donc des digitaliques appartenant à la famille des glycosides, qui sont directement issus des feuilles de deux espèces de digitales (respectivement la Digitalis lanata et la Digitalis purpurea).
Digitalis lanata
Ils ont 4 effets sur le cœur : ils sont inotropes positifs, chronotropes négatifs, dromotropes négatifs, et bathmotropes positifs.
J’adore le parfum si mystérieux et désuet de ces termes.
En clair, les glycosides renforcent la contraction cardiaque, ralentissent la fréquence cardiaque, ralentissent la vitesse de conduction de l’influx entre les oreillettes et les ventricules, et enfin ils augmentent l’excitabilité des ventricules.
Ces plantes sont utilisées depuis l’antiquité (Galien connaissait son utilisation) par les médecins pour soigner l’hydropisie (l’oedème des anciens auteurs qui ne savaient pas encore ce qu’était l’insuffisance cardiaque) et aussi par les empoisonneurs pour se débarrasser des importuns. Parfois, sans le faire exprès, le praticien se transformait en empoisonneur, car comme vous pouvez bien l’imaginer, il ne devait pas être simple ni précis de « doser » du broyat de digitale…
Il existe aussi dans la nature d’autres glycosides d’origine animale (les bufanolides extraits du crapeau buffle) et végétale (l’ouabaïne issue du strotanphus), qui sont aussi utilisés comme poison depuis des millénaires.
Les connaissances médicales de l’antiquité sombrent au cours du Moyen-Age pour ne réapparaître sporadiquement que bien plus tard.
D’abord en 1542 ou un certain Leonard Fuchs donne le nom de digitale à la plante, qui jusqu’à présent ne savait pas comment elle s’appelait. Il cite aussi l’utilisation de cette plante dans le traitement de l’hydropisie.
Mais c’est le grand William Withering qui va la redécouvrir au XVIIIème siècle.
Il a entendu parler des travaux de Fuchs et s’en souvient lorsqu’il rencontre une rebouteuse du Shropshire qui utilise une décoction d’une vingtaine de plantes afin de traiter l’hydropisie.
Extrait de « An account of the foxglove and some of its medical uses: with practical remarks on dropsy and other diseases » (William Withering. 1785)
En étudiant cette potion, Withering identifie la digitale comme étant la seule plante active. Il va réussir à en extraire une poudre cinq fois plus puissante que la plante fraîche elle-même, à déterminer le meilleur moyen de l’administrer, et surtout à approcher la posologie optimale.
Et comme je l’ai déjà dit, c’est là que résidait à l’époque toute la difficulté d’emploi de ce traitement. Il décrit aussi les signes de la redoutable intoxication digitalique, notamment les troubles digestifs et la xanthopsie (le fait de tout voir en jaune)
Il observe d’excellents résultats sur des patients qui devaient probablement être des valvulaires rhumatismaux en fibrillation auriculaire rapide, et remarque que les digitaliques calment « l’action tumultueuse du cœur ».
Il publie ses observations basées sur 163 cas en 1785 (Withering W. An account of the foxglove and some of its medical uses: with practical remarks on dropsy and other diseases. London: J and J Robinson).
Par ses travaux, il va non seulement isoler les digitaliques d’une plante, la digitale, mais aussi « extraire » la pharmacologie des décoctions traditionnelles et des remèdes de « bonne femme », pour en faire une science à part entière.
En outre, il va suivre une démarche honnête et scientifique en reportant tous les cas traités, aussi bien les succès que les échecs:
"It would have been an easy task to have given select cases, whose successful treatment would have spoken strongly in favour of the medicine, and perhaps been flattering to my own reputation. But Truth and Science would condemn the procedure. I have therefore mentioned every case... proper or improper, successful or otherwise" (Extrait de « An account of the foxglove and some of its medical uses: with practical remarks on dropsy and other diseases »)
Malheureusement pour lui, il n’a pas le succès mérité à causes de facteurs totalement indépendants mais qui dénotent quand même un certain manque de chance.
Tout d’abord, un collègue, un certain Erasmus Darwin, publie un traité largement inspiré de ses travaux et tente de s’en attribuer tout le mérite.
Ensuite, la difficulté d’emploi des digitaliques, leur utilisation dans des cas de grosses jambes mais qui ne sont pas dues à de l’insuffisance cardiaque (la maladie post phlébitique par exemple) vont masquer à tous l’intérêt de ses travaux.
Ce n’est qu’une centaine d’années plus tard lorsque la digitoxine et la digoxine pourront être parfaitement isolées et dosées que ses travaux seront enfin reconnus.
Digoxine
Malgré tout, les digitaliques prendront un essor incroyable au XIXème siècle, comme l'atteste de poème écrit en 1818 par la fille d'un patient ayant bénéficié de leurs bienfaits (cité ici):
The Foxglove's leaves, with caution given,
Another proof of favouring Heav'n,
Will happily display;
The rapid pulse it can abate;
The hectic pulse it can moderate;
And blest by Him whose will is fate,
May give a lengthened day.
La racine grecque φάρμακον [pharmakon], signifie non seulement remède, préparation magique mais aussi poison.
Je trouve que les digitaliques sont une illustration classique merveilleuse de cette double dualité médicament/poison et préparation magique/médicament.
William Withering tenant dans sa main gauche une branche de digitale.
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Articles de Wikipedia :Les digitales, William Withering, digoxine, digitoxine, glycosides cardiaques, bufalonides, strophantus.
Un article de synthèse sur les digitaliques paru dans Circulation en 1999.
Un cours sur les digitaliques (CHU de Besançon)
Kinne-Saffran E., Kinne R.H.K. Herbal Diuretics Revisited : From ‘Wise Women’ to William Withering. Am J Nephrol 2002;22:112–118
21:23 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (9)
Les études de marché.
J’aime bien faire des études de marché pour les firmes pharmaceutiques.
Et ça tombe bien, il y en a de plus en plus.
En général, l’industriel confie la réalisation de ces études à des prestataires français ou étrangers, connus (l’un d’eux est une filiale d’un célèbre organisme de sondages) ou non.
J’observe depuis 6 ans une multiplication de ces prestataires de service qui forment maintenant une véritable petite industrie, probablement très rentable.
Rentable, d’autant plus que la plupart de ces études se font maintenant sur Internet, pour un coût dérisoire.
Les questions sont toujours les mêmes.
« Si un nouveau produit X sortait avec telle ou telle caractéristique, le prescririez-vous ? »
« Si le produit Y était génériqué, le prescririez-vous ? »
« Quelle est le meilleur texte promotionnel parmi les suivants ? »
…
Ces questions sont intéressantes, car elles traduisent les angoisses profondes de l’industrie pharmaceutique.
Parfois, en cherchant un peu sur Internet à côté, on peut savoir ce que va être ce fameux « produit X » qui sera bientôt commercialisé.
On arrive aussi à savoir quel produit « blockbuster » va bientôt être déremboursé, ou quel produit de la concurrence fait peur au probable commanditaire de l’étude. En effet, bien que toujours anonyme, on arrive assez facilement à le démasquer en analysant un peu les questions.
Je vous avais aussi raconté la soirée que j’avais passée et où on nous avait interrogé ce qui est devenu le rimonabant.
Cette soirée m’avait ouvert les yeux sur le battage publicitaire qui a été fait ensuite, pour finalement aboutir à un gigantesque flop.
Bien sûr, en dehors de cette fenêtre ouverte sur l’inconscient des firmes pharmaceutiques, ces études sont aussi très bien rémunérées.
En dessous de 50 euros, je ne réponds même pas. En général la rémunération tourne autour de 75-120 euros pour un questionnaire de 45 minutes.
Le fin du fin est la rémunération sous forme de chèque-cadeaux Amazon, car dans ce cas, en plus, cerise sur le gâteau, c’est net d’impôts.
Je me suis ainsi constitué une belle bibliothèque grâce à ce système.
Bon, les questionnaires sont un peu fastidieux et parfois les questions, mal traduites de l’anglais sont curieuses. Mais je les complète souvent un peu au hasard lorsque j’en ai assez de réfléchir, ce qui finalement arrive assez rapidement. J’ai même un collègue qui les fait remplir par son fils de 7 ans et sa femme.
Deux petits écueils pour avoir accès à cette manne : avoir une relation appartenant à ce milieu des sociétés prestataires de ces études, et avoir le profil recherché.
Une fois que votre relation vous a mis le pied à l'étrier en vous faisant connaitre par un ou plusieurs prestataires, les études vont commencer à affluer dans votre boite mail.
La prolifération des études sur Internet gomme un peu le premier obstacle. Il existe même des sites ou n’importe quel médecin peut s’enregistrer afin de participer à des études futures.
Avoir le profil exact recherché est un peu plus difficile.
Etre spécialiste dans un domaine ou l’industrie gagne beaucoup d’argent et où la concurrence est féroce (par exemple en cardiologie !) aide beaucoup.
Ensuite, il faut répondre à une dizaine de questions préliminaires afin de préciser si vous correspondez bien au profil demandé.
A la moindre erreur, vous êtes éjectés.
Donc prudence dans vos réponses, sinon "adieu veaux, vaches, cochons et bons d’achat » !
Et encore, là aussi, il y a moyen de moyenner.
Je me suis fait récemment éjecter d’une étude. J’ai passé un coup de fil, et dans la soirée, j’avais un nouvel accès au site web et surtout les réponses à donner au questionnaire initial, envoyées par le prestataire lui-même.
Une firme pharmaceutique fait un gros chèque pour interroger 100 médecins. Si le prestataire ne les a pas à l'approche de la date limite, il devient bien moins regardant…
J’avoue que répondre de façon plus ou moins aléatoire à un questionnaire grassement rémunéré et censé mieux faire vendre des médicaments à l’industrie pharmaceutique me procure un plaisir intense.
Bon, quel bouquin je vais bien pouvoir choisir sur Amazon ?
Et pourquoi pas l’intégrale de « Calvin et Hobbes » qui me fait tant envie ?
10:16 Publié dans Prescrire en conscience | Lien permanent | Commentaires (3)