13/12/2006
L’avenir ?
L’immense fantasme d’une grande partie de l’industrie pharmaceutique serait de pouvoir promouvoir ses produits directement auprès du public en Europe (aux EU, c'est déjà le cas depuis longtemps), pour que celui-çi fasse pression sur les prescripteurs. D'ailleurs, ils font tout pour, j'en parlerai un autre jour.
Bien évidemment, le public serait une cible facile, car sensibilisé à la maladie (et pour cause) et surtout ignorant de bien des subtilités de l’évaluation de la balance risque/bénéfice de telle ou telle molécule.
Déjà que l’immense majorité des médecins (dont moi) est une cible assez facile pour la rhétorique des laboratoires malgré 10-11 ans d’études médicales, alors imaginez vous le fleuriste ou le boucher du coin !
En lisant un article sur le « Washington Post » online de ce matin, je tombe sur la publicité suivante :

Le « Lipitor » est le nom commercial de l’atorvastatine (« TAHOR » en France).
Deux remarques (indépendantes des performances de la molécule):
Primo, l’attaque directe contre les concurrents directs du « Lipitor », notamment le « Crestor » d' Astra-Zeneca. Ce n’est pas exceptionnel aux EU, mais la comparaison directe, interdite en France me surprend toujours un peu. Mais là, les choses sont claires, et les « ennemis » bien identifiés. On retrouve bien sûr cette confrontation en discutant avec les visiteurs médicaux.
Secundo, le gentil sexagénaire (il est né un 11 mai 1946) de la photo est un chirurgien cardiaque, Robert Jarvik, spécialisé dans l’assistance cardiaque, notamment la conception des cœurs artificiels de la série des « Jarvik » (« Jarvik 7» puis récemment « Jarvik 2000 Heart »). Il a fondé en 1988 une société dédiée à la fabrication et au développement de ces systèmes : la « Jarvik Heart, Inc ».
C’est cet homme qui a inventé le cœur artificiel qui permet de sauver des centaines voire des milliers de vies par an.
Petite remarque ancillaire : il ne semble n’avoir jamais eu trop de difficultés pour trouver des noms à ses créations.
Demander un avis sur les statines et les dyslipidémies à un chirurgien cardiaque inventeur et PDG d’une société qui fabrique des cœurs artificiels en dit long sur le respect que porte l’annonceur pour le grand public.
En gros, on leur balance un nom connu, ça va les éblouir. Personne ne se demandera si la « vedette » mise en avant a seulement une fois prescrit une statine de sa vie. En tout cas, "Pubmed" (LA base de données sur les études scientifiques) répond qu'il n'a jamais rien publié sur les statines (comme l'atorvastatine...).

Personnellement, j’aurais mis quelqu’un plus connu et surtout avec plus de crédibilité : Noah Wyle.
Il a quand même bien dû prescrire des statines dans un des épisodes de la série « Urgences » ?
Ne riez pas, ça va venir chez nous tôt ou tard.
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Petit supplément:
A quoi pense-t-il en souriant devant l’objectif ?
A. Le lipitor est vraiment la meilleure statine que je n’ai jamais prescrite.
B. J’ai bien fait de choisir cette petite cravate violette, elle me va à ravir.
C. Putainnnn, souris, tu te fais des couilles en Or (en VO pour les puristes : "Putainnnn, I’m making solid gold bollocks") !
D. Mon cardio m’a mis sous Crestor le mois dernier, est-ce finalement un bon choix ?
E. Après le déjeuner, séance photo pour la Wii.
12:15 Publié dans Prescrire en conscience | Lien permanent | Commentaires (16)
12/12/2006
Maladie thrombo-emboliqe et grossesse
Je suis actuellement deux femmes enceinte ou en post-partum qui ont fait une embolie pulmonaire durant leur grossesse.
J’ai retrouvé un diaporama que j’avais rédigé en 2004 pour un staff; en voici quelques extraits.
Les données sont tirées en grande partie de l’EMC.
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Grossesse = risque de thrombose veineuse profonde
• Risque relatif entre 5 et 6
• 50% des accidents thrombo-emboliques chez les femmes de moins de 40 ans
Incidence paraclinique: 0.2 à 7 p. mille grossesses
100 thromboses veineuses profondes non traitées = 15 à 25 embolies pulmonaires
Maladie veineuse post phlébitique après 11 ans de suivi:
• 78% de femmes symptomatiques dont 4% d’ulcération cutanée
Embolies pulmonaires
Incidence: 3 – 12 p. mille grossesses
Mortalité spontanée: 13% (1-2 p 100.000 grossesses)
2ème cause de mortalité maternelle en France (19% des décès en 1991)
Facteurs de risque :
· Période du post partum
· Antécédents de thromboembolie
· 13% de récurrence sans prévention
· Surcharge pondérale
· Oestroprogestatifs en post partum
· Stimulation ovarienne
· Facteurs « classiques »
Déficit AT III, Déficit en protéines S ou C, Facteurs II et V Leiden, Résistance protéine C activée, Ac anti phospholipides (lupus), Mutation G20210A prothrombine, Hyperhomocystéinémie…
La survenue en cours de grossesse d’une maladie thrombo-embolique impose la recherche d’une thrombophilie.
Des modifications hématologiques physiologiques persistent jusqu’à trois mois post-partum.
Il faut donc refaire le bilan de thrombose 3 mois post-partum,
pour pouvoir correctement estimer le risque thrombophilique.
· Âge
· Régime alimentaire (je ne sais plus ce que c'est...)
· Césarienne
· RR = 3-16
· Parité
· Chirurgie post partum (ligature des trompes…)
· Hospitalisation
Stimulation ovarienne
• Gonadotrophines
• Citrate de clomifène
• Les 2 combinés
Provoquent :
Augmentation VIII, X et fibrinogène
Diminution protéines S et C
Diminution AT III
Diminution de la fibrinolyse
Diminution du VII
Augmentation protéine S libre
Soit un équilibre entre les facteurs pro-coagulants et pro-hémorragiques
Donc pas de majoration du risque chez une femme sans facteur de risque,
et en dehors du syndrome d’hyperstimulation ovarienne.
Diagnostic clinique très difficile
96% à gauche, 4% bilatérale, jamais isolée à droite
Symptomatologie frustre même en cas de TVP proximale (réseau veineux collatéral)
17:10 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)
Manque de veine.
Tout d’abord, un petit message personnel : péache, arrête de lire, je vais dire du mal de confrères. En l’occurrence deux ; un médecin généraliste et moi.
Tout d’abord moi.
Nous avons reçu à la clinique un patient dans les suites d’un pontage artériel de la jambe droite. Assez rapidement, il se plaint de la jambe gauche.
Je l’examine : le mollet est non inflammatoire (froid et non rouge), non augmenté de volume. A la palpation je retrouve un cordon induré assez profond.
Du côté de la chirurgie, un œdème bien banal.
Petit détail, le patient est sorti du service de vasculaire sans traitement préventif de phlébite.
Je jette un coup d’œil au döppler : les veines tibiales postérieures et péronières sont libres. Par contre, je retrouve une thrombose d’une veine musculaire. Une veine musculaire est une veine issue d’un muscle (jusqu’ici, c’est simple) et qui se jette dans une veine perforante indirecte (plus difficile). Cette dernière faisant la jonction entre le réseau veineux superficiel et profond.
Bon, c’est la première que j’en vois une de visu. Je me dis : « Traitons là comme une thrombose d’une veine superficielle ». Je dis au patient que je vais le mettre sous anti-inflammatoires PO, et que je vais le surveiller avec des döpplers rapprochés.
En fait, dans mon esprit, la messe était dite, j’étais assez satisfait d’avoir trouvé un thrombus dans une veine assez discrète par nature. J’étais aussi quasi certain de l’efficacité de mon traitement.
De fait, dans les premiers jours, la symptomatologie s’améliore. Mon premier döppler de contrôle est rassurant (stabilité du thrombus).
Puis, il a de nouveau mal.
Je regarde la jambe, elle est grosse, rouge douloureuse.
Uhmmmm.
Au döppler : extension du thrombus à une veine péronière.
Là, c’est une vraie phlébite.
Je change de fusil d’épaule, bien embêté, et je débute les HBPM, la contention veineuse puis les AVK.
Je raconte cette histoire à des collègues et n’obtiens pas de réponses bien tranchées.
Puis, quelques jours après cette déconvenue, je me souviens d’une conversation que j’avais eue il y a longtemps avec mon « Maître » ès vasculaire : anti-inflammatoire pour les thromboses veineuses superficielles, anticoagulants pour les profondes ET les musculaires qui ont tendance à s’étendre en profondeur.
Bon bon, je m’en souviendrai.
Quelques semaines après cette histoire, je vois débouler une femme à ma consultation.
Elle a des dorsalgies chroniques et tout un tas d’autres petits soucis de santé à la limite entre l’organique et le non-organique.
Elle vient me voir car « elle en a marre de prendre du PREVISCAN ».
Son généraliste a débuté ce traitement en avril-mai dernier et depuis, son INR est très difficile à équilibrer.
Elle en a assez de changer sa posologie d’anticoagulant tout le temps.
Je suis tout d’abord assez dubitatif qu’une patiente demande un deuxième avis par dessus son généraliste pour arrêter un traitement aussi « sensible » qu’un AVK.
Première question : pourquoi il vous a mis sous PREVISCAN ?
Réponse : pour une « paraphlébite » (c'est-à-dire une inflammation d’une veine superficielle).
Je ne dis rien, mais il est clair que c’est assez curieux de mettre quelqu’un sous AVK pour une « paraphlébite » depuis 8 mois.
Deuxième question : comment il a fait le diagnostic ?
Réponse : j’avais mal au mollet (dans le territoire de la saphène externe, c’est cohérent).
Deuxième question : Il y avait un cordon inflammatoire ?
Réponse : non (ça, c’est curieux).
Troisième question : Il a demandé un döppler ?
Réponse : oui, le voici.
Je lis l’examen : examen normal.
Bon.
Bon.
Bon.
Je revois tous ses antécédents pour chercher une thrombophilie ou un quelconque antécédent expliquant ce traitement : rien.
Je lui refais un döppler pour vérifier que tout est normal : je ne retrouve absolument rien, ni actuel, ni séquellaire.
Je lui arrête le traitement, et rédige un petit courrier bien alambiqué au généraliste.
Morale de ces deux histoires : les thromboses veineuses non profondes d’emblée sont assez peu connues (même de quelqu’un censé être « médecin vasculaire »…).
J’ai trouvé sur l’excellent site du « Collègue des Enseignants de Médecine Vasculaire » quelques documents qui éclaircissent bien les choses.
Et sur d’autres sites :
10:50 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)