« 2005-11 | Page d'accueil
| 2006-01 »
17/12/2005
Marotte.
Pendant que (future) femme et enfants sont au loin, je peux m’adonner à un petit plaisir qui permet de conjuguer deux passions : la photo et les montres.
Comme cela, ça parait simple, en tout cas, plus que le portrait par exemple.
En fait, je n’arrive jamais à être complètement satisfait.
La photo numérique a complètement changé la donne, en permettant de faire un nombre quasi illimité de clichés, et de les corriger immédiatement.
Mais bon, je ne dois pas être très doué, car, in fine, aucun ne me plait vraiment.
Je n’ai pas de coin « prise de vue », comme certains collectionneurs (Cf. liens du blog).
J’improvise donc un coin blanc avec 3 bouquins, et des feuilles blanches.
Autre difficulté, un cadran de montre est bourré de reflets fâcheux, de textures, de couleurs difficiles à rendre.
Pour obtenir les deux clichés dessous, j’ai pris environ 80 clichés !
L’un écrase trop les reflets de l’or rose, le second, meilleur de ce point de vue est trop sombre.
La montre est une « memovox », de 1952-1953. Très sobre, elle contient une complication tout à fait sympathique : elle sonne (ou plutôt vibre) à l’heure indiquée par la petite pointe de flèche sur le disque central.
La couronne supérieure droite permet de remonter le ressort qui actionne le mécanisme du petit marteau qui frappe sur le fond de la boite, la faisant vibrer. Elle permet aussi de sélectionner l’heure à laquelle on désire que la montre sonne.
La couronne inférieure droite permet de remonter la montre, et de régler l’heure.
Petite particularité, à cette époque, les restrictions sur l’importation de métaux précieux empêchaient Jaeger-Lecoultre d‘exporter des boîtiers en or de Suisse en France.
Ces derniers étaient donc forgés en France, par des orfèvres ; alors que les mécanismes venaient de Suisse. Ces « boites françaises » étaient d’une qualité légendaire.
Après bientôt 53 ans, cette memovox est toujours aussi belle, insensible aux modes et à l’usure du temps.
Demain, je vais essayer de nouveau de capturer tout son charme.
18:49 Publié dans ma vie quotidienne | Lien permanent | Commentaires (0)
La transplantation cardiaque.
Quelques chiffres tirés du site de « l’Agence de biomédecine », qui gère les transplantations d'organes en France.
J'ai pompé de larges extraits, j'en ai rendu accessible d'autres. N'hésitez pas à consulter ce site, qui est une mine d'informations.
En 2004, 735 patients étaient inscrits sur une liste de transplantation en France.
87 sont décédés (11.8%), 54 sont sortis de liste (7.3%), 317 ont été greffés (43.1%).
Au 01/01/2005, 277 patients attendaient donc toujours un cœur.
Globalement, la médiane de la durée d’attente s’allonge : 3.1 mois en 96-98, 5 mois en 99-01, et 4.9 mois en 02-04.
On greffe de moins en moins en France depuis 1988 (chiffre maximum : 639 en 1990, 283 en 2003).
Ces chiffres sont, heureusement, aussi le reflet d’une nette amélioration de la prise en charge des patients insuffisants cardiaques.
Toutefois, la pénurie de greffons augmente avec le temps, puisque l’on est passé de 0.7 donneur en attente par greffon disponible au 01/01 en 1996 à 1 en 2004 (en 2003, « annus horribili », ce chiffre est monté à 1.3)
Cette durée d’attente, capitale pour le pronostic du patient varie selon de nombreux paramètres :
- Année d’inscription
- Groupe sanguin du receveur (médiane de 7 mois pour le groupe AB, contre 3.5 pour les O))
- Les inter-régions de transplantation
En effet, la durée peut varier de manière conséquente : 1.3 mois à Rennes, 14.6 à Bordeaux (chiffres pour la période 1993-2004).
L’appréciation de la gravité d’un patient, et donc de son éventuelle inscription sur liste d’attente n’est en effet pas similaire partout. Par ailleurs, les conditions locales (structures, financements, facilités de transport…) sont assez disparates.
Curieusement, le délai d’attente n’est pas proportionnel à la taille de la liste, au bassin de population drainé, ni à l’ancienneté d’inscription sur liste d’un patient donné.
Le taux d’opposition à un prélèvement est très variable selon les régions (16% en Franche-Comté, 57% à La Réunion en 2004), il est de 31% pour la France entière.
Malgré toutes les campagnes de sensibilisation, il reste désespérément autour de 31% depuis 1999.
Tout aussi inquiétant, est l’accroissement de l’âge des donneurs, qui obère le pronostic à court et moyen terme de la greffe cardiaque.
Les plus de 61 ans sont ainsi passés de 7% en 1999 à 23% en 2004.
Pas mal de greffeurs « accusent » la diminution de la mortalité routière, grande pourvoyeuse de donneurs jeunes (bien évidemment, personne parmi nous désire que ce chiffre ré augmente !).
Le nombre de greffes cardiaques réalisées par an et par million d'habitants (pmh) au niveau national est de 5,2. Pour mémoire, ces chiffres sont de 6,6 pmh en Espagne et 6,8 pmh aux Etats-Unis en 2004).
Et après la greffe ?
Globalement, la survie du receveur après une greffe cardiaque est de 71,7 % à un an, de 60,4 % à 5 ans et de 51,6 % à 8 ans avec une médiane de durée de survie de 8,5 ans sur la cohorte des receveurs greffés entre 1993 et 2003.
Ces chiffres sont en nette amélioration depuis 1985 (survie à 5 ans de 52.6%).
Il existe également une différence de survie selon l'âge du receveur en défaveur des plus de 60 ans. La survie après retransplantation est marquée par une mortalité post-opératoire élevée, avec une survie à un an de 64,3 %.
Donc, encore beaucoup de travail à faire.
Le nombre important de facteurs invoqués pour expliquer la pénurie de greffons (facteurs majorants ou minorants) ne doit pas faire oublier une notion, à mon avis, capitale, et individuelle.
L’ensemble de cette chaîne de vie dépend du nombre de donneurs, et donc aussi du pourcentage de refus de prélèvements.
Je ne vais pas rentrer dans le détail assez sibyllin et hypocrite de la législation actuelle, mais on peut tous faire quelque chose en demandant à ses proches de ne pas s’opposer à un prélèvement.
Sally et moi n’avons jamais fait mystère de notre volonté d’être prélevés après notre décès, si cela est possible.
Ce don est certes anonyme, mais il permet de sauver la vie d’un patient, bien réel à l’autre bout de la chaîne. Une mort pour une vie, cela me semble équitable.
J’ai vu trop de patients mourir pour ne pas faire, pour une fois, du prosélytisme.
13:30 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (5)
15/12/2005
La côte de boeuf
Il a plutôt bonne mine, je ne l’ai pas revu depuis la maison de rééducation dans laquelle il avait séjourné après son passage en enfer, il y a bientôt deux ans en février. Il pèse 55 Kg actuellement, pour un poids de 65 « avant ». Le « avant » se réfère à un passé proche, devenu tellement lointain, que je ne sais même pas si il s’en souvient.
Il est descendu à 39.
Nous avons dîné hier au soir, avec son père et Sally dans un bon restaurant de viande.
Cette famille de trois enfants vit sous le coup d’une malédiction, une atteinte cardiaque génétique rare, et ravageuse.
Son frère est décédé à l’âge de 14 ans (quand je l’ai connu, il avait 17 ans), sa sœur de 18 ans n’a rien pour l’instant.
Les parents sont indemnes, mais leur ont transmis de mauvaises cartes.
Je le regarde, et les souvenirs m’assaillent, de bons, et aussi de mauvais. Nous nous les remémorons avec son père.
Son état s’est dégradé en quelques semaines alors qu’il était en première.
Nous l’avions récupéré aux soins intensifs cardio, et avions pu stabiliser la situation.
Un jour, il avait fait un arrêt circulatoire, que nous avions pu récupérer in extremis, alors que ses parents remontaient le couloir pour venir le voir. Ils ont compris tout de suite, et le souvenir de leur premier fils a resurgi. Même d’avoir déjà été confronté à l’insupportable n’enlève rien à leur courage extraordinaire.
Après quelques semaines de soins, il allait mieux, c’était un peu la star du service. Les infirmières le traitaient comme un coq en pâte.
Un soir, mon co-assistant, l’interne et moi nous étions cotisés pour lui payer une pizza, pour lui faire plaisir. Incroyable à imaginer, avec le recul : en réa, sous amines, en insuffisance cardiaque terminale, entrain de croquer à pleines dents une pizza (mon co-assistant, de garde, lui avait poussé ensuite 40 mg de lasilix, au cas où…).
Ce fana de jeux en réseau m’a initié à cette drogue, et j’ai acheté le même portable que lui (un petit bijou de HP).
Nous avons tout essayé pour le stabiliser en attendant une greffe, même des acides aminés censés être défaillants dans son cas. Nous n’avions prévenu personne, mais leur effet secondaire principal est de donner une odeur corporelle très forte. J’avais oublié ce détail, quand les infirmières, et les parents, un peu gênés m’ont dit qu’il sentait de plus en plus mauvais, malgré une toilette de plus en plus frénétique. Il était devenu inapprochable !
Puis un cœur s’est présenté, nous étions plus que confiants.
Trop pour le destin.
Il a fait un choc post opératoire, et on a du lui mettre un cœur artificiel.
A ce niveau, son pronostic n’était même plus quantifiable.
Chaque jour qui passait amenuisait l’espoir.
Puis miracle, un autre cœur se présente. Miracle pour l’un , drame pour un autre.
Je vais voir le donneur potentiel en réa neurochirurgicale, confiant et aussi heureux pour mon patient. Je pose la sonde d’écho, avec le chirurgien regardant au dessus de mon épaule.
Consternation, le cœur n’est pas bon.
Le donneur est jeune, sportif, mais inexplicablement, le cœur n’est pas bon.
Après des hésitations psychodramatiques, les chirurgiens décident de le greffer.
Evidemment, cela se passe mal, et le lendemain il m’annonce, ainsi qu’à la famille que leur fils est quasiment mort.
Je les croise au pied de l’hôpital au petit matin, et nous pleurons ensemble.
Mais il s’en sort.
Son état quoique gravissime est stable.
Chaque jour de bonnes ou mauvaises nouvelles assaillent les parents.
Comme chaque fois qu’il ne sait pas, le corps médical raconte n’importe quoi et se contredit.
Même si je ne m’occupe plus de lui directement (sauf en garde, il est en réa de chirurgie cardiaque), le père m’appelle sur le portable quasi quotidiennement. Je ne sais plus que lui dire.
Un autre cœur se présente tout aussi miraculeusement.
Les chirurgiens envoient une équipe qui ne le connaît pas, « pour rester objectif », tellement la situation devenait invivable pour tous, malgré nos expériences cliniques parfois considérables (je ne parle pas pour moi).
Le cœur n’est pas bon.
Nouvel abattement.
Puis il remonte la pente, lentement mais sûrement.
Au bout de un mois et demi, on le réveille : il ne parle pas, réagit peu et est hémiplégique.
Nouvelle consternation, on touche le fond ; c’est presque pire que de le savoir mort.
Mais il s’accroche, récupère toutes ses fonctions sur de longs mois.
Hier, il a mangé une tranche de foie gras sur du pain grillé chaud.
Il est à la fac, a une charmante copine, et une voiture pas mal du tout.
Son avenir n’est pas tout rose, le séjour en réa a abîmé ses poumons, une intervention se profile peut-être dans 1-2 ans et il faudra le regreffer un jour.
Mais il est vivant, heureux de l’être, et en forme.
Son père a dit dans la soirée, que lorsqu’il repense d’où son fils revient, il est saisi de vertige.
Moi aussi, je me sens happé par un vide irrésistible.
19:26 Publié dans Des patients... | Lien permanent | Commentaires (4)