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28/06/2007
Humains 1- Dracunculose 0
La dracunculose (du latin « Dracunculus », petit dragon) est une maladie vieille comme le Monde, mais assez peu connue en Europe, à l’exception notable des étudiants en médecine et des baroudeurs africanophiles.
Car bien sûr, ce fléau ne peut frapper que ce continent, qui semble avoir été créé dès l’origine pour que ses habitants servent de boite de Pétri ou de garde-manger à une foule de bébêtes plus ou moins répugnantes.
Pourquoi enseigne–t-on en fac le cycle parasitaire de la dracunculose, qui ne touche finalement qu’une zone géographique assez peu étendue (Ghana, Soudan et Nigeria pour la plupart des cas, 9 pays en tout) ?
Encore un grand mystère de la nature.
Avez-vous déjà vu une dracunculose à votre cabinet ou aux urgences ?
Zeclarr ? Guillaume ? Mélie ? Shayalone ? (en psychiatrie, ça doit être encore plus rare), les autres ?
Pourtant, pendant mes années de fac, j’ai eu une heure de cours sur les helminthiases (dont fait partie la dracunculose) et une heure sur le traitement de la douleur.
Allez savoir pourquoi.
Cette charmante bestiole qui peut atteindre 60-100 de long et 2 mm de diamètre se reproduit de manière assez originale selon le cycle parasitaire ci-dessous.
J’ai trouvé un film belge sur ce site, qui explique bien le problème, âmes sensibles, ne cliquez pas sur ce lien !
(Beuuahhhhrrggg : Je vous avais pourtant prévenus !)
Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais la sortie du ver s’accompagne de douleurs et de brûlures comparables à un coup de poignard. Le malade va donc naturellement se baigner afin d’apaiser les douleurs, c’est alors que le ver femelle va en profiter pour libérer ses larves dans l’eau du seul point d’eau du village et pouvoir réinfester l’ensemble des villageois.
Comme quoi, ces bestioles ne sont pas si dénuées d’intelligence que cela.
Cette parasitose, outre le fait qu’elle est très douloureuse, est une porte d’entrée idéale pour les bactéries et le tétanos.
Les malades malchanceux pouvaient donc terminer gangréneux ou en opisthotonos, au choix.
Heureusement, des hommes de bonne volonté ont décidé dès les années 80 qu’il fallait enrayer cette maladie.
Le cycle possède en effet un « maillon faible », celui du petit crustacé (le cyclope) qui peut être filtré. Par ailleurs, sa faible répartition géographique permettait une éducation efficace (utilisation des filtres, exclusions des malades des points d’eau, mesures d’hygiène).
L’OMS, rejointe en 1986 par la fondation Carter (l’ancien président des EU), puis par d’autres philanthropes (dont les époux Gates) a mis en place un programme complet d’éradication.
A partir de 1986, c’est la fondation Carter qui a centralisé les dons et qui a œuvré sur place.
L’article raconte d’ailleurs une anecdote qui montre que les grands desseins tiennent souvent à peu de chose.
Jimmy Carter déjeunait avec Edgar Bronfman (la société Seagram) en 1989 et il lui racontait qu’il fallait filtrer les crustacés. Jimmy dut être convainquant, car Edgar demanda par la suite aux ingénieurs de DuPont de Nemours (dont il est un gros actionnaire) de plancher et fabriquer en grande série des filtres adaptés.
Et voilà : du cognac, des cahouètes, et on sauve des milliers de vies à l’autre bout du globe.
En 1986, 3.5 millions de personnes souffraient de cette maladie, ils n’étaient plus que 25217 en 2006, et on en espère 0 en 2008-2009. Cette campagne de 20 ans n’a coûté « que » 225 millions de dollars.
Un grand succès donc, pour l’Humanité (pas le journal, quoique à bien y regarder, la courbe de ses lecteurs soit parallèle à celle des malades atteints de dracunculose) et pour les gens de bonne volonté qui s’acharnent à lutter tous les jours contre des maladies qui ne sont des fatalités éternelles que pour ceux qui ne font rien.
Et enfin, j’ai retrouvé la texte biblique qui parle de la dracunculose, et dont tous les articles traitant du sujet citent la référence en exergue (parfois avec des erreurs...) pour faire cultivé et respectable :
Nombres 21 :1-9 (version Louis Segond 1910)
1 Le roi d'Arad, Cananéen, qui habitait le midi, apprit qu'Israël venait par le chemin d'Atharim. Il combattit Israël, et emmena des prisonniers.
2 Alors Israël fit un voeu à l'Éternel, et dit: Si tu livres ce peuple entre mes mains, je dévouerai ses villes par interdit.
3 L'Éternel entendit la voix d'Israël, et livra les Cananéens. On les dévoua par interdit, eux et leurs villes; et l'on nomma ce lieu Horma.
4 Ils partirent de la montagne de Hor par le chemin de la mer Rouge, pour contourner le pays d'Édom. Le peuple s'impatienta en route,
5 et parla contre Dieu et contre Moïse: Pourquoi nous avez-vous fait monter hors d'Égypte, pour que nous mourions dans le désert? car il n'y a point de pain, et il n'y a point d'eau, et notre âme est dégoûtée de cette misérable nourriture.
6 Alors l'Éternel envoya contre le peuple des serpents brûlants; ils mordirent le peuple, et il mourut beaucoup de gens en Israël.
7 Le peuple vint à Moïse, et dit: Nous avons péché, car nous avons parlé contre l'Éternel et contre toi. Prie l'Éternel, afin qu'il éloigne de nous ces serpents. Moïse pria pour le peuple.
8 L'Éternel dit à Moïse: Fais-toi un serpent brûlant, et place-le sur une perche; quiconque aura été mordu, et le regardera, conservera la vie.
9 Moïse fit un serpent d'airain, et le plaça sur une perche; et quiconque avait été mordu par un serpent, et regardait le serpent d'airain, conservait la vie.
Les « serpents brûlants », c’est en effet une description assez saisissante du parasite.
Au-delà du côté poétique, ce passage biblique est encore une preuve que Dieu n’existe pas.
Si Il existait, Il aurait envoyé Jimmy Carter aider les Hébreux en plein désert au lieu de leur faire fabriquer des parasites répugnants en bronze.
22:30 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (7)
Sherlock Holmes.
Ce que je préfère dans ce métier, c’est sortir des sentiers battus. L’hypertension à 141/91, l’angine de poitrine stable depuis 20 ans, la précordialgie atypique chez la minette de 19 ans et les palpitations chez les couples au chômage et en instance de divorce sont certes intéressants, mais ça fait du bien de voir autre chose parfois.
J'aime beaucoup me confronter à des histoires un peu différentes, et qui sont autant de petites « énigmes » médicales.
Le plus intéressant est d’écouter un patient et d’essayer de deviner ce qui ne va pas chez lui.
Petit exemple ce matin.
Homme de 38 ans adressé par son généraliste pour un bilan de précordialgies.
Tabagisme à 1 paquet par jour, et un peu de cholestérol.
Les douleurs sont très atypiques et m’évoquent rien de coronarien.
A l’examen, rien, tension à 145/80 bras droit et 130/80 bras gauche.
Puis, il me raconte qu’il est tombé lourdement en moto sur le côté gauche il y a 8 mois. Il a fait un malaise vagal 15 jours plus tard et ses douleurs reviennent régulièrement depuis lors. Il a fait de petits malaises, étiquetés « crises d’angoisse ». Mais il n’a pas l’air angoissé du tout.
Je lui dis alors que je lui prescrirai un scanner thoracique pour vérifier l’absence de lésion thoracique post traumatique (genre anévrysme ou faux anévrysme de l’aorte thoracique…).
A l’époque, on lui avait fait un grill costal qui n’avait rien montré.
Je l’allonge pour lui faire l’échographie, et je trouve une rupture d’un des cordages de la petite valve mitrale.
Ce n’est pas très banal pour cet âge, surtout en dehors de tout contexte d’endocardite ancienne ou récente. Ses valves et ses cordages sont normaux par ailleurs, je ne retrouve aucun remaniement myxoïde. Il a de la chance, sa valve mitrale est parfaitement continente, malgré la perte d’un cordage.
Je pense donc qu’il l’a rompu à l’occasion du traumatisme thoracique.
En tout cas, c’est un argument supplémentaire pour lui faire passer un scanner thoracique…
Je vous donnerai le résultat.
A suivre.
13:15 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (3)
27/06/2007
On parlait de quoi ?
De vous, Docteur !
Un article du NY Times m’a fait découvrir une étude originale publiée dans « The Archives Of Internal Medicine » le 25 juin dernier :
Physician Self-disclosure in Primary Care Visits. Enough About You, What About Me? Susan H. McDaniel, PhD; Howard B. Beckman, MD; Diane S. Morse, MD; Jordan Silberman, MAPP; David B. Seaburn, PhD; Ronald M. Epstein, MD. Arch Intern Med. 2007;167:1321-1326.
Malheureusement, je n’ai pas accès à ce journal en texte complet (d’ailleurs, si quelqu’un pouvait me l’envoyer sur mon mail, je lui serais très reconnaissant…), je n’ai donc pu lire que le résumé.
L’étude s’est intéressée à ce que nous dévoilons de notre vie professionnelle ou privée aux patients au cours d’une consultation.
Nous le faisons (presque) tous, car, comme le soulignent les auteurs, nous raconter nous donne l’impression d’améliorer la qualité de notre relation au patient en la rendant plus humaine, plus conviviale…
Mais peut-être, le faisons nous aussi et surtout pour flatter notre ego ?
Ce mode de communication médical est-il utile au patient, et est-il fréquent ?
C’est ce que les auteurs ont cherché à mettre en évidence.
38 consultations sur 113 (effectuées par 100 généralistes) ont été le réceptacle de 73 « confidences » de médecins sur leur vie personnelle.
14% confidences ont servi de réponse aux questions des patients.
60% ont suivi la description par le patient de symptômes, ou de sentiments ou de leur famille.
40% n’avaient aucun rapport avec ce qui précédait (« unrelated »).
A seulement 29 reprises (21% des cas), le médecin est revenu à ce préoccupait son patient avant qu’il n’ait digressé sur sa propre vie.
85% des confidences étaient jugées « inutiles » par les auteurs de l’article.
Enfin, 11% des confidences étaient franchement hors contexte (« disruptive ») avec la conversation qui précédait.
Dans l’article du NYT, un des auteurs, le Dr Beckman se dit étonné par les résultats mais voit les choses avec humour :
“We found that the longer the disclosures went on, the less functional they were,” Dr. Beckman said. “Then the patient ends up having to take care of the doctor and then the question is who should be paying whom.”
Ca me rappelle mon pire cas de « Physician Self-disclosure » quand j’étais CCA : un patient enseignant avec qui je discutais bouquins 15 minutes et de lui moins de 3 minutes. Nous nous échangions des bons titres et juste avant de partir je lui lançais « Et au fait, comment ça va ? ».
Même à l’époque, bien avant d’avoir lu ce résumé, j’avais honte et me promettais chaque fois de ne plus le refaire, en vain.
19:45 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (7)