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27/02/2007

La loi du profit (3).

medium_guilty.jpgMême le vieux McKenzie, qui considère pourtant son jeune poulain comme son fils spirituel ne peut pas lui éviter son renvoi pour une affaire de drogue montée de toute pièces. Les informations déterrées sont trop brûlantes et pourraient remonter jusqu’à la Maison Blanche. Son épouse et sa maîtresse le quittent. Alors qu’il rumine sur ses malheurs dans le salon de son meublé minable en plein quartier latinos de LA, on frappe à la porte.

Il ouvre la peur au ventre et découvre avec stupéfaction Rosita, 16 ans, à moitié morte de faim et enceinte de 8 mois et demi qui désire donner un foyer à son futur enfant.

C’est suivi lourdement de Rosita qu’il terminera son enquête afin de laver son honneur et faire éclater la vérité.

 

 

MPharma cherche donc à étendre les indications de sa molécule miracle en finançant d’autres grandes études.

De là va venir sa perte.

Une nouvelle étude sort donc le 17 mars 2005 dans « Revue ».

Appelons cette étude « Rcb-lachute ».

Les analyses intermédiaires de Rcb-lachute montrent encore une fois une majoration du risque cardio-vasculaire.

Parmi les 12 auteurs cités par l’article, 5 sont des salariés de MPharma, et les autres reçoivent des honoraires de consultants.

Comme on ne peut plus cacher le problème, on va dire qu’il ne survient qu’après 18 mois. Comme cela, on sauve les meubles.

Le souci est que cette assertion repose sur un bidouillage statistique si manifeste, que même les membres du comité de lecture de « Revue » s’en rendent compte.

« Revue » tape sur les doigts des auteurs et publie une correction le 13 juillet 2006 qui modifie les fausses conclusions de l’étude.

Comment une revue aussi prestigieuse que « Revue » a pu ainsi publier à deux reprises des papiers aussi bidouillés et des corrections aussi tardives ?

Bonne question.

Pourquoi la FDA n'a pas exercé de contrôle plus strict ?

Autre bonne question.

 

Mais d’autres revues prestigieuses ont aussi laissé passé des articles scientifiquement incorrects, sans lever le sourcil.

Ainsi en 2001, des auteurs (là aussi salariés ou consultants de MPharma) ont réussi à publier une étude qui a même fait l’objet de critiques internes au sein de MPharma : « Les données ont été interprétées pour soutenir une hypothèse présupposée plutôt qu’analysées pour établir de nouvelles hypothèses ».

Une étude tellement bidouillée qu’elle a même choqué certains bidouilleurs…

 

Finalement, le scandale a éclaté de manière publique en septembre 2004 ou le Rcb a été retiré du marché.

Le jeune avocat vit actuellement à Beverley Hills, restauré dans son honneur et ses biens et remarié à Laura, la fille aînée du vieux McKensie. Personne ne sait ce qu’il est advenu de Rosita.

Je ne suis pas mauvais en scénariste, n’est-ce pas ?

J’ai eu l’idée cette nuit, et j’ai tout écrit en une matinée.

J’attends que des producteurs me contactent, ça ne devrait pas tarder.

 

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En fait, je n’ai rien inventé si ce n’est l’histoire farfelue de notre jeune avocat.

Cette histoire édifiante est vraie et elle est merveilleusement bien résumée dans un article du BMJ écrit notamment par Harlan Krumholz qui n’est pas le premier venu.

Entre 1999 et septembre 2004, la molécule impliquée a fait l’objet de 107 millions de prescriptions rien qu’aux Etats-Unis.

Actuellement 30000 procès sont en cours.

Heureusement pour nous, ces faits se déroulent à une époque lointaine et sur un autre continent dont tout le monde reconnait les abus. Il ne me semble pas possible d'observer de tes agissements dans notre bonne vieille Europe ou les firmes pharmaceutiques sont attentives au bien-être des patients et les autorités de régulation vigilantes.

 

Je vous mets quelques liens ci-dessous, je vous conseille surtout la lecture de la lettre de ce professeur de l’université de Stanford qui se plaint auprès du patron de la firme pharmaceutique des pressions que l’on a exercé sur lui et ses subordonnés. Ce document est à peine croyable.

 

Article BMJ Krumholz

Article 1 NEJM

Article 2 NEJM

Lettre professeur Stanford

Le site du produit avec la ligne de conduite du laboratoire (notamment "Scientific Excellence" et "Patients First")

La loi du profit (2).

medium_cour.jpgLes choses se compliquent pour le jeune et brillant avocat. Primo, la jeune et jolie veuve, devenue sa maîtresse est en fait jalouse et possessive a fait déposer une tête de cheval mort dans le lit conjugal. Ce qui a été difficile à expliquer à Madame (un pari entre amis…). Secundo, « Pic à glace », son inséparable compagnon se suicide au gaz après s’être tiré trois balles dans la tête et tertio, l’histoire de MPharma et du Rcb devient de plus en plus embrouillée.

L’étude Rcbgénial est finalement achevée. Elle montre que le Rcb ne fait pas mieux que la molécule de référence, mais qu’elle a beaucoup moins d’effets secondaires. Du moins en dehors de la sphère cardiovasculaire, puisque là, il existe un risque relatif de 5 en défaveur du Rcb (RR de 5.00, intervalle de confiance de 95%, 1.68 à 20.13).

Comment gommer de point de détail dans la publication finale ?

C’est là que les cadres de MPharma vont montrer leurs talents.

  • Dans la publication, la collecte des événements cardio-vasculaires va être arrêtée 1 mois avant la date de la fin de collecte des autres évènements indésirables. Ca fera toujours quelques infarctus de moins (3 exactement)…

  • On va créer des sous groupes favorables afin de noyer le poisson (du genre « indication d’aspirine en prévention » ou ces 3 infarctus, si ils avaient été finalement pris en compte, auraient été « dilués »).

  • On va présenter les résultats cardio-vasculaires en considérant le groupe « produit de référence » comme le groupe ou l’on intervient. Dans le groupe Rcb, le risque cardiovasculaire est de 5.0, dans le groupe de référence, il est de 0.2 (effet protecteur, donc). On va donc dire que c’est la molécule de référence qui protège le cœur et les vaisseaux et non que c’est le Rcb qui est délétère. Vous avez compris ? C’est subtil, mais efficace. Bien sûr, le produit de référence n’a jamais montré nulle part d’effet protecteur (le 0.2 étant probablement le fruit du hasard), mais on s’en fiche, personne ne va remarquer ça... Bien sûr, pour tous les autres effets secondaires, ou le Rcb fait mieux, on va présenter les résultats de manière habituelle : groupe Rcb=groupe ou l’on intervient, groupe « produit de référence »= groupe contrôle.

Rcbgénial est finalement publié dans une grande revue le 23 novembre 2000, appelons la simplement « Revue ».

MPharma commande près de 1 million de « reprints » à Revue, pour diffuser la bonne parole au Monde entier. Revue se pose quelques questions et publie finalement un avertissement le…29 décembre 2005. Vaut mieux tard que jamais ?

En 2001, une autre revue se pose aussi quelques questions, mais finalement le problème est peu débattu.

A cette époque, quelques médecins posent de bonnes questions, notamment sur le miraculeux effet protecteur de la molécule de référence, mais MPharma n’hésite pas à les intimider en faisant pression sur leurs supérieurs (« …il y aura des conséquences pour vous et votre faculté »).

Message reçu, la caravane continue à passer.

 

Suite et fin au prochain épisode...

La loi du profit (1).

medium_gratte-ciel200.jpgImaginez un grand cabinet d’avocats situé dans une mégalopole aux gratte-ciel racés de la côte Est. Un nom qui s’étale en lettres dorées : McKenzie, Brackman, Cheney and Kuzak (vous voyez à quoi je fais référence ?).

En tout cas, ça vous fait déjà plus rêver qu’un petit cabinet d’avocats situé au rez-de chaussée d’une maisonnette de Puteaux, annoncé par un plaque en plexi noire rayée : Algoud, Berey et Boitton.

Une jeune et jolie femme habillée de noir rentre dans une vaste salle de réunion dont les murs disparaissent derrière une bibliothèque contenant tous les arrêts de la Cour Suprême depuis 1492, reliés de cuir liégé vert.

Entre deux sanglots, elle raconte sa triste histoire.

Son mari, bien plus âgé qu'elle est mort d’un infarctus du myocarde après avoir pris pendant quelques semaines un médicament sorti récemment. Et comme on en parle de plus en plus dans des forums d’usagers sur le net et que l’affaire prend de l’ampleur, elle aimerait bien que le laboratoire adoucisse son chagrin par des espèces sonnantes et trébuchantes.

Parce que « Voyez-vous, vivre avec ce bon à rien n’a pas toujours été facile ; alors, pour une fois qu’il pourrait se rendre utile à quelque chose…. ».

Un jeune avocat idéaliste s’implique totalement dans cette lutte de David contre Goliath, afin de défendre la pauvre veuve contre l’infâme industrie. Et aussi parce que son ex-femme l’a saigné lors du divorce (d’un autre côté, elle l’a surpris au lit avec une presque mineure, heureusement que l’état civil mexicain manque singulièrement de rigueur…) et que la nouvelle a des goûts de luxe. Il se lance donc dans de dangereuses et trépidantes aventures afin de mettre à jour la Vérité à l'aide de son inséparable ami muet "Pic à glace"

Une firme pharmaceutique bien connue (appelons la « MPharma ») sort en 1999 une molécule qui va révolutionner le traitement de la douleur (appelons la « Rcb »). Aussi efficace que les produits existants, mais sans leurs effets secondaires parfois dramatiques.

Pour résumer, le jackpot.

Dès le début, en 1996-1997, une étude réalisée sur des volontaires sains montre toutefois une toute petite inquiétude de rien du tout. Rcb modifie un équilibre entre deux molécules qui pourrait majorer le risque de thrombose, et donc d’accident cardio-vasculaire. Les cadres de MPharma demandent aux auteurs d’être moins explicite dans leurs conclusions.

Par exemple la phrase « La biosynthèse systémique de XXX…a été diminuée par Rcb » a été remplacée par « Rcb pourrait jouer un rôle dans la biosynthèse systémique de XXX ». Ca fait moins peur, hein ?

Curieusement, les auteurs, employés par MPharma, ont obtempéré.

Ils ont néanmoins poursuivi leurs investigations dans ce domaine, sans toutefois que cela ait d’influence sur la mise sur le marché de Rcb.

MPharma, malgré la connaissance de ce risque potentiel n’a curieusement pas mis en place d’études spécifiques qui auraient permis de le démontrer. Enfin, si. MPharma a financé plusieurs études largement trop petites pour mettre en évidence ce risque. MPharma a ensuite poolé (anglicisme qui signifie littéralement « noyer des statistiques dans l’eau d’une piscine », méfiez vous toujours des résultats poolés…) ces études, forcément rassurantes mais petites, pour en faire une grosse, forcément bien plus rassurante. MPharma en a même fait un argument publicitaire : « Regardez, Rcb n’a aucune action négative sur le cœur, c’est génial !».

En janvier 1999, MPharma lance sa « grande » étude sur Rcb, celle qui va démontrer à tous à quel point Rcb est fabuleuse. Appelons cette étude « Rcbgénial ».

(Vous arrivez à suivre dans ces abréviations ? De toute façon, je continue quand même.).

Rcbgénial inclut 8000 patients. C’est énorme. Mais MPharma prend bien soin de ne pas analyser spécifiquement les risques cardio-vasculaires et de ne pas inviter de cardiologue au comité de surveillance de l’étude. On ne sait jamais…

Mais malgré toutes ces précautions, une première analyse de sécurité (novembre 1999) met en évidence un risque cardiovasculaire significativement majoré de 79% dans le groupe Rcb, par rapport à la molécule de référence.

Le comité de sécurité demande une nouvelle analyse intermédiaire en décembre 1999, qui confirme ce risque.

On ne va pas arrêter une si belle étude pour si peu, tout de même. Le comité préconise donc de la poursuivre et de mettre en place une analyse qui examinera cette majoration du risque cardio-vasculaire. En gros, les chiens aboient, la caravane boursière passe.

Heureusement, le responsable du comité de surveillance (censé être indépendant) a été « sensibilisé » au bien-être de MPharma puisque ses proches ont reçu 55000 euros d’actions et lui-même a été récompensé par un contrat de consultant pendant 2 années.

Suite de ce passionnant feuilleton un peu plus tard…