13/09/2008
Une histoire simple.
Discuter avec ses patients est une expérience riche et sans cesse renouvelée.
C’est ce qui fait une bonne partie de l’intérêt du métier. L’histoire que je vais raconter n’est pas extraordinaire, sa valeur tient dans le seul fait qu’elle représente une portion de vie. Je n’en tire aucune morale, aucune leçon, faites de même.
Ce patient octogénaire vif et rondouillard sort d’une chirurgie cardiaque lourde, il est entouré et aimé de sa famille. Je l’ai suivi en préopératoire, et j’ai été très content de le retrouver en bonne forme ensuite.
Comme toujours, chez mes patients, je leur demande « ce qu’ils font/ont fait dans la vie ».
« J’ai fait l’Indochine, puis 45 ans comme manutentionnaire ». Son adolescence a été houleuse, fils d’un petit fonctionnaire départemental, il trafiquait et volait avec ses copains. Difficile de croire ça quand on le voit, débonnaire, l’œil rieur, malgré son âge et sa maladie. Il se fait embarquer par la police, et reçoit la visite de son père au poste.
« Qu’est-ce que tu vas faire, maintenant ? ». Il ne savait pas. Son père lui a alors dit : « tu as le choix, la prison, ou tu t’embarques pour l’Indochine comme volontaire, pour te battre là-bas ».
Il a pris la seconde option et s’est engagé comme parachutiste à l’âge de 18 ans. Il a sauté vingt fois, sans jamais tomber sur un ennemi : « ils partaient en nous voyant, et il ne restait que les femmes, on pouvait quand même pas leur tirer dessus ! ».« On sautait beaucoup pour parader, pour faire plaisir aux généraux qui nous attendaient en bas».
Quand il n’était pas au front, il faisait le chauffeur, ce qui lui permettait de faire des virées avec ses copains. « On chassait, on péchait à la dynamite ».
Les filles de là-bas, il en a eu des tas. « Ils étaient tellement pauvres qu’une tablette de chocolat suffisait pour avoir une ou deux filles ».
Il a quand même participé à des combats, et a sauté sur une mine, heureusement sans gravité (il m'a montré sa blessure).
Au bout de trois ans, il est rentré en France, et son père l’a fait rentrer dans une administration. Il n’a jamais plus fait de conneries, a rencontré sa femme, aujourd’hui décédée, et a mené sa petite vie pépère, loin de son passé turbulent de petit délinquant et de para. Vous ne vouliez pas rester dans l'armée ? « Ca va pas, non ?!».
10:49 Publié dans Des patients... | Lien permanent | Commentaires (2)
27/08/2008
Le bout du bic.
Coronarien ou pas ?
Quel risque opératoire ?
Epreuve d’effort ou rien ?
Quel âge peut bien avoir la fille? Est-ce sa fille?
Plongé dans un abîme de réflexion derrière mon bureau en contreplaqué d’attaché-vacataire du CHU, je suçote négligemment et inconsciemment le bout de mon bic noir.
J’ai pris une grande inspiration avant de reposer une nouvelle fois les mêmes questions, mais tournées différemment.
Je n’aurais pas dû.
J’ai presque inhalé le petit bouchon, me suis redressé brutalement sur ma chaise, et me suis mis à tousser bruyamment.
Le père et la fille supposés se sont regardés.
Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression qu’ils étaient beaucoup moins réceptifs à ce que je leur ai raconté ensuite.
Difficile de parler de façon convaincante de risque opératoire cardiovasculaire quand on vient juste de recracher dans sa paume droite un bouchon de bic noir tout baveux avec des bruits hydro-aériques…
18:21 Publié dans Des patients... | Lien permanent | Commentaires (5)
05/08/2008
Germinal
La patiente de 29 ans dont j’ai déjà parlée ici et ici est venue me consulter ce matin.
Elle m’a appelé la semaine dernière pour un malaise et une perte de 9 Kg « en une semaine ».
Le malaise, d’accord, mais la perte de poids, j’étais plus dubitatif, étant donné que sauf cas de cachexie cardiaque, la cause est rarement cardiaque. Je craignais un peu le pire, mais j'étais en deça.
Elle vient accompagnée de ses quatre petits.
Elle a appelé les pompiers la semaine dernière pour une perte de connaissance, mais n’a pas voulu être hospitalisée car elle devait garder les enfants.
Je sais que son mari n’est pas d’une grande utilité pour le ménage, hormis de rapporter un peu d’argent, je ne sourcille donc pas à son apparente absence.
Elle me demande un certificat sur sa pathologie cardiaque afin que son mari soit transféré dans un centre proche.
En effet, il a pris un an à l’autre bout de la France pour une sombre histoire dans la voiture de son cousin.
Incrédule, et pour la première fois de ma vie, j’ai bafoué ma règle d’or de ne jamais demander le motif d’incarcération et j’ai une réponse qui serait drôle si la situation n’était pas si tragique.
« Il a rien fait, il était dans la voiture de son cousin qui a fait une connerie.
- Mais il a fait quoi comme connerie ?
- Ben rien, il était juste dans la voiture
- Et le cousin a pris combien ?
- Pareil, ou 1 an et demi
- Et ce cousin, vous le connaissez ?
- Non.»
Et les enfants qui étaient à deux pas répétaient en cœur « On les connais pas, les cousins de papa... ».
C’était poignant: la Maheu avec ses enfants.
La perte de 9 Kg et le malaise ?
Depuis 8 jours, elle ne mange plus.
Depuis ce matin, je me trouve au-delà du ridicule quand je considère mes soucis.
17:24 Publié dans Des patients... | Lien permanent | Commentaires (2)