16/02/2005
La petite maison au milieu des oliviers.
Il n’y a pas si longtemps de cela (1998), aux urgences.
On m’avait appelé pour voir 5-6 patients, et du haut de mes 5 mois de cardio, j’avais fait le tri des patients, tel un petit Rhadamante : cardio/pas cardio.
Alors que je me retirai fatigué mais satisfait, l’interne des urgences, une mignonne petite dermato osa m’interpeller :
« - tu ne pourrais pas voir un dernier patient, je ne sais pas ce qu’il a…
- je veux bien
Je rentre dans un box où je trouve allongé, agité et geignard un jeune homme, d’environ 30 ans, cheveux longs et vêtements négligés.
Je fais le tour du chariot, sans le toucher
-qu’est-ce donc ? Montre moi l’électro(cardiogramme).
Je le juge normal
-Pas cardio, envoie le à « HB » (c’était un Hôpital, fermé maintenant, ou échouaient tous les vieux et les patients que le CHU ne pouvait/voulait pas recevoir ; une véritable cour des miracles).
J’avais dit.
Le lendemain, coup de fil du SAMU : infarctus antérieur étendu hors délai (le pire de tous, le grand requin blanc auquel les cardios vouent crainte et respect), chez un jeune homme, hospitalisé à HB.
Première réaction : « Ah, les cons, ils ont loupé un infarctus…. ».
Puis le doute surgit….
Je l’accepte dans mes soins intensifs, et je le reconnais immédiatement quand il arrive avec l’équipe du SAMU.
Enorme malaise.
L’électro est sans appel, c’est bien un « grand blanc » (je viens de créer cette expression, nous ne l’utilisons jamais usuellement).
Je retrouve l’électro de la veille, que j’avais jugé normal, et je le montre à TOUS les cardiologues du service (internes et seniors compris) : « c’était atypique, n’est-ce pas….? ».
« Euh, un peu…non, pas vraiment, enfin, c’était une forme très précoce » (la pire des réponses pour moi…)
Immense malaise.
Le petit Rhadamante est devenu un cloporte.
Quelques mois plus tard, alors que j’étais de garde en pleine nuit, je reçois à nouveau le jeune homme pour insuffisance cardiaque (ou récidive douloureuse, je ne sais plus).
Je le reconnais, lui non (petite lumière tamisée des soins intensifs la nuit).
Je discute avec lui, et l’examine.
« - Alors, comment vous sentez-vous ?
- Mieux, mais je ne voulais pas venir ici
- Ah bon ?
- La dernière fois, ils se sont trompés, n’ont pas vu l’infarctus, et m’ont envoyé à HB.
- Uhmmmm (je suis un CLOPORTE)
- Et, ça a changé votre vie quotidienne…. ? (vite, détournons la conversation….)
- J’avais un petit boulot, une copine, et une petite maison au milieu des oliviers. Mais depuis ça, je suis essoufflé au moindre effort, j’ai perdu mon travail, ma copine, et je vivote dans un HLM
- … »
Depuis que j’ai brisé la vie de cet inconnu, je ne la ramène plus.
J’ai ensuite sauvé (comme tous les médecins, et personnels paramédicaux) des centaines de vies, fait des diagnostics brillants (comme beaucoup d’entre nous), je me trompe raisonnablement souvent.
Cet épisode reste néanmoins mon "Souviens-toi que le Capitole est proche de la Roche Tarpéienne".
Je me souviendrai toujours de la petite maison au milieu des oliviers.
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15/02/2005
Sagesse hospitalière
18:51 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)
11/02/2005
Fa-ti-gué
Je n'ai insulté personne,
je suis resté calme,
je n'ai pas fait de gaffe (ou presque…)
(la dernière en date : à une patiente en rémission d’un lymphome depuis 2002, qui a thrombosé son port-a-cath, puis fait une embolie pulmonaire très sévère, et qui se demandait pourquoi elle n’avait pas demandé à son cancérologue de l’enlever avant :
« - Maaaaais nooooon, ne regrettez pas, la plupart du temps, quand on enlève un port-a-cath, il faut le reposer quelques mois après…. ».
Vite, vite, une pelle et une pioche pour m’enterrer très profond…)
Quelques visages surnagent de cette journée :
- Un ancien légionnaire allemand, à qui j’ai expliqué le trajet de ses pontages aorto-coronariens (circonflexe kaputtt….).
- Un ancien jour de foot, devenu mathématicien (à qui j’avais préalablement dit que les joueurs de foot avaient le QI d’un haricot…).
- un chirurgien hongrois retraité qui a consacré 2 années de sa vie à sauver des vies en Afghanistan, lors de la guerre contre les russes (il FAUT que j’aille discuter avec lui)
- un marseillais typique, insupportable (pléonasme ?).
- une des secrétaires de la clinique qui est unilatéralement amoureuse de moi, et qui n’est pas très discrète…
- un kiné de la clinique, à l’air abattu, qui se sait porteur d’un cancer du colon depuis 48 heures.
- un confrère juif, fils d’une patiente, avec qui j’ai constaté la montée de l’antisémitisme (une surveillante a un jour reproduit un conflit israélo-palestinien en miniature en couchant dans la même chambre un juif et un arabe (pourtant tous les deux nés en Tunisie): 2 heures de pourparlers, car chacun voulait expulser l’autre de SA chambre…. ).
- et surtout une gentille patiente de 78 ans que j’avais convaincue de se faire opérer du cœur fin janvier. L’intervention a été un fiasco (nécessité probable d’une deuxième intervention, nécessairement plus risquée…). Bref, je culpabilise, j’explique tout à la patiente et à sa famille. Je me rends alors compte du nom de la bestiole qui a failli l’emporter sur le compte rendu d’hospitalisation : Streptococcus lugdunensis (Lugdunum est le nom latin de ma bonne ville de Lyon).
Je suis donc un Cardiologus lugdunensis.
22:50 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)