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08/03/2005

Nacht und Nebel

medium_tabac.jpgNuit et Brouillard.
C’était la manière de tuer du régime nazi.
Discrètement, et à grande échelle.
C’est aussi la manière de tuer des « bourreaux du cœur ».
La formule est de la « Fédération Française de Cardiologie », et elle me plait par son petit jeu de mot et son style un peu suranné.

165.000 morts par an en France ont probablement :

- fumé
- mal mangé, ou sont porteurs d’anomalies du système de régulation des lipides (« dyslipidémie »)
- mal soigné leur diabète, ou leur hypertension artérielle
- des ascendants porteurs me maladies cardio-vasculaires plus ou moins prédisposées par la génétique.

Bref, rien que du banal, pas de quoi faire du bruit dans les médias.
Par contre, les producteurs de sucre (les glucides sont transformés secondairement en lipides et vice versa), ou de cigarettes se portent bien, merci pour eux.
La dépendance à la cigarette m’étonne tous les jours.
Je passe sur le patient porteur d’une trachéostomie qui fume encore sa cigarette, c’est devenu un lieu commun.
Je vois plutôt des patients polyvasculaires diabétiques et obèses, qui se bourrent de sucreries à longueur de journée, et qui fument dans le parking.
Ils y vont en chaise roulante, ou avec leurs cannes, car on les ampute régulièrement et inéluctablement.
Brûler la vie par les deux bouts est alors une image qui prend tous son sens, car il ne reste bientôt d’eux qu’un petit croupion de chandelle.

Difficile de leur expliquer, puis de leur faire la morale.
Ils ne vont pas changer leurs habitudes à leur âge, puis « c’est trop tard… ».
Ces idées sont totalement fausses.

Une étude récente montre une diminution de mortalité chez des patients tabagiques, ayant bénéficié d’une éducation pour arrêter le tabac (en post infarctus du myocarde) par rapport à ceux qui n’en ont pas eu.
Ce résultat s’observe dès 30 jours.
A 30 jours, on passe de 3 à 2% de mortalité (p=0.04)
A 1 an de 17.5% à 12.8% (p=0.001)

Houston TK, Allison JJ, Person S, et al. Post-myocardial infarction smoking cessation counseling: Associations with immediate and late mortality in older Medicare patients. Am J Med 2005; 118:269-275.

19:10 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)

03/03/2005

Le parrain.

medium_brando08_1280x1024.3.jpgUn jour, nous avons reçu aux soins intensifs une célébrité.
LE parrain des parrains des années 70-80.
Toujours emprisonné, il était sous la surveillance constante de 4-5 gardiens de la paix, armés de pistolets mitrailleurs.
Il avait commandité un crime qui avait fait la une des journaux télévisés pendant plusieurs semaines. Il avait pris perpétuité.
Je ne l’ai pas connu directement, mais un des internes a beaucoup discuté avec lui, et m’a raconté 3 anecdotes croustillantes.

Sa femme tente de le voir, mais fait un scandale devant le refus des policiers en faction.
Elle lance, désabusée, à mon interne :
« Pourtant, ce n’est pas un mauvais homme, il n’a tué ni femme, ni enfant »

Il raconte qu’un jour, il a été victime d’un « car jacking », à un feu rouge
Le petit délinquant ouvre brutalement la porte de la BMW, et s’arrête, stupéfait devant LE parrain.
« Petit, tu m’as reconnu, et moi je te connais maintenant, je ne voudrais pas qu’il t’arrive malheur, ferme cette porte… »

Il parle de la vie avec philosophie :
« Je n’ai aucune haine envers eux (il montre les policiers), ils font leur boulot, et le font bien ; par contre, celui qui m’a balancé… »
Gloups, je n’aimerais pas être à sa place.

11:35 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)

Soigner

medium_lepen.3.jpgSoigner est un mélange indissociable de technique, de connaissances, et d’empathie.

Soigner doit primer sur tout, mais parfois c’est difficile.

En 1997-1998, Mon co-interne Pierre et moi avions sympathisé avec un patient de 70 ans environ. Sa pathologie cardiaque, très sévère motivait de nombreuses hospitalisations en soins intensifs.
A chaque admission, je passais un coup de fil à Pierre, et nous allions voir celui qui était devenu pour nous plus qu’un patient.
Nous passions des heures à le rassurer, lui et sa femme, de braves gens accablés par cette maladie.
Pierre et moi étions aussi inséparables que les doigts de la main. Dans cet Hôpital difficile, situé dans un quartier plus que défavorisé, et laissés à nous même par nos chefs. Nous nous soutenions mutuellement. Comme la rose et le réséda, nos sensibilités divergeaient, il était mitterrandien convaincu (l’est-il toujours ? Je lui demanderai à notre prochaine rencontre), et moi plutôt de droite. Mais cela n’avait aucune importance, nous faisions front devant les difficultés, et les opinions politiques/croyances n’ont bien sûr aucune place dans notre métier.

C’est du moins, ce que nous pensions.
Notre patient se fait finalement opérer du cœur dans un autre Hôpital.
Un soir, nous allons le voir dans sa chambre.
Nous entrons, grands sourires et mains serrées.
Il lisait un journal, qu’il reposa à notre entrée.
« Minute ».
Petit blanc.
Nous nous regardons avec Pierre.
Nous terminons la conversation par des banalités.
Nous sortons, et ne disons rien.
Nous n’avons plus jamais parlé de lui, ni avons pris de ses nouvelles.
Si nous l’avions su avant, nous l’aurions soigné avec les mêmes techniques, mais l’empathie n’y aurait plus été, j’en suis persuadé, à mon grand regret.
Depuis, j’ai acquis de l’expérience, mais ce télescopage avec des idéaux qui me repoussent est toujours difficile à gérer dans ma relation avec le malade.

Il y environ trois ans, nous avons, mon patron d’alors et moi, assisté à la lente agonie d’une jeune femme de 32 ans dans le service.
Son mari, plus âgé, venait la voir quotidiennement, laissant deux jeunes enfants à la charge de leur grand-mère.
J’ai parlé avec lui des heures, et j’ai bien failli pleurer avec lui, lorsqu’elle est décédée.

Plusieurs mois après, le lendemain du premier tour des présidentielles, je discutais avec mon patron dans son bureau, sur le score énorme qu’avait fait le FN dans notre région (23-25%).
Nous étions abasourdis. Nous nous disions qu’un patient sur quatre a voté FN.
Il m’annonce alors que le mari de cette pauvre dame faisait un procès à l’Hôpital, mais pas contre notre service, pour faute grave.

« Et, savais-tu que c’est un cadre d’un parti d’extrême droite ?
- Non !?
- Pourtant il m’a choisi pour soigner sa femme…. »
Cela laisse nous laisse rêveurs, mon patron étant juif.

De retour chez moi, une recherche rapide sur le net m’apprend qu’il a été poursuivi pour incitation à la haine raciale.


Cet homme m’avait séduit par son esprit rigoureux, sa finesse d’esprit, et m‘avait profondément ému par son malheur absolu, incommensurable.
Je n’ai aucune haine contre lui, j’aimerai le revoir pour savoir comment il s’occupe de ses petites filles (que j’avais rencontrées au chevet de leur mère), et comment ils poursuivent leurs vies après un tel drame.

Encore une fois, lui aurais-je parlé de la même façon, si je l’avais su avant ?
Je trouve très présomptueux, quoique idéal, de répondre par l’affirmative.

D’un autre côté, réfléchir à froid sur une feuille, intellectualise beaucoup le lien médecin-patient qui est très instinctif.

L’aurais-je tant soutenu, jour après jour, alors que sa femme nous quittait ?

Encore aujourd’hui, je ne sais pas.
J'espère que oui, car c'est ce qui fait la différence entre nous.

10:35 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (3)