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11/06/2005

La fée morphine.

medium_morphine.jpgLa morphine fait peur.
Son passé est en effet sulfureux, aussi bien du point de vue médical, que toxicologique.
Du point de vue médical, car elle reste associée aux douleurs terminales, à l’euthanasie, ou plus généralement à la fin de vie dans l’esprit des patients et des médecins.

Mais il y a pire, elle reste la base chimique de composés utilisés à des fins de toxicomanie. Je pense qu’elle n’est plus guère utilisée en temps que telle, dépassée par des composés chimiques bien plus puissants (certains dérivés utilisés en anesthésiologie sont 100-10000 fois plus efficaces qu’elle en terme d’antalgie).

Enfin, mal utilisée, elle peut conduire à des dépressions respiratoires parfois fatales.

Ces liaisons dangereuses la rendent donc quasiment taboue pour beaucoup de médecins et de patients. D’ailleurs, l’arsenal médico-légal rend sa prescription fort complexe (ordonnances sécurisées, nécessité d’une triple signature en Clinique/Hôpital : médecin thèsé, Pharmacien, Infirmière voire Surveillante sur les fameux carnets roses).

Comme l’immense majorité de mes confrères, non informé (aucun cours sur l’antalgie à la Faculté à mon époque), voire mal informé (« oulààà, il/elle va s’arrêter de respirer…. »), je ne l’ai quasiment jamais utilisée au début de ma carrière. De toute façon, je ne pouvais pas la prescrire en temps qu’interne, sans qu’un médecin thèsé ne contresigne ma prescription.

Vous allez vous dire, quel rapport entre un antalgique et la cardiologie ?
En fait, la morphine est un excellent traitement de l’insuffisance cardiaque aiguë. Vasodilatateur vasculaire pulmonaire puissant, c’est aussi un excellent anxiolytique.
Comme je l’ai déjà dit, à Montréal, chaque OAP avait droit à son injection de morphine aux urgences, et en soins intensifs. J’ai gardé de ce stage le sentiment tenace que nos mentalités médicales ont toujours 2-3 ans de retard par rapport à la médecine qui se pratique dans les pays anglo-saxons. J’en ai aussi gardé un enseignement plus général : étudiants en médecine, quittez le confort douillet de notre pays endormi sur ses lauriers des années 50-60, allez voir ailleurs comment on traite les patients. Nous avons tous l’impression que notre façon de traiter les patients est la meilleure, sinon parmi les meilleures. C’est faux. Allez voir ailleurs, et décillez vous.

Donc, je me suis mis à la morphine, hors AMM, et souvent j’ai eu droit à une moue dubitative de la part de mes collègues et infirmières (« mais, il n’a pas mal »). Oui, mais il s’étouffe, et il est très angoissé.
Je repense à cela ce matin, car hier, la fée a encore frappé.
Un patient coronarien en réa, non intubé.
Très très anxieux, agité, pâle presque grisâtre, polypnéique demandant sans cesse son spray de trinitrine, bougeant continuellement, et suant à grosses gouttes. Donc une consommation d’oxygène importante, pour en organisme en hypoxie. Une spirale infernale qui conduit inéluctablement à l’intubation.
Mon traitement de base : nitrés, morphine et diurétiques.
Au bout de 25-35 minutes, il dormait, avec une saturation à 100%. Ce matin, j’ai regardé la diurèse de la nuit : 1500ml.

Quelle est ma conclusion ?
Pas que je suis intrinsèquement meilleur qu'un autre (l’association nitrés et diurétiques aurait probablement suffit, mais sans aucune anxiolyse).
Mais que rien ne vaut l’expérience acquise lors d’un séjour à l’étranger.

08:20 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (7)

31/05/2005

Premier choix (3)

medium_tv.jpg- Innnnnnnnnh (petit bruit guttural, montant en intensité et dans l’aigu, signe d’explosion à venir).
Tu vois, il ne m’a pas prévenu. Tu vois, c’est une faute grave. Je le convoquerai à son retour, tu vois. »

Il est impossible que XXX ait « oublié » de le prévenir, tant il était son vassal, attendant avec avidité une agrégation qui ne viendra jamais en définitive.
Une anecdote (totalement fausse) résumait pourtant bien leurs rapports.
Le patron montre un ciel bleu inondé de soleil :
« Tu vois, XXX, il pleut aujourd’hui…
- Oui Monsieur, de grosses gouttes même. »

Bref, revenons à notre histoire :
« - tu vois, il faut essayer de leurrer l’appareil, pour le faire défibriller
- Comment ?? (nous, incrédules)
- Avec un pace maker externe, tu vois »
Sur ce, il se retire, satisfait, dans son bureau.
Richard et moi allons chercher l’appareil en question dans une salle à côté. Bien évidemment, cet appareil, destiné à une stimulation intra cardiaque, ne possède pas de moyen de fixation sur la peau. Qu’importe, nous fixons les électrodes sur la peau du patient à l’aide de trombones en métal.
Quel montage bringuebalant….
Et bien, devinez ce qui arriva ?
Lorsque l’ingéniosité pare à l’incompétence et l’incurie d’un service tout entier ?
Rien, échec complet…
Nous rappelons le patron, et lui racontons.
« Tu vois, le défibrillateur est très bien protégé contre les champs électromagnétiques….
- Le patient est toujours en tachycardie ventriculaire…
- On va laisser agir les médicaments, tu vois, ça va s’arrêter… »
Fin de la connexion.

Donc rien ne marche.

Un vieux PH (un des deux vieux du Muppet Show) passe par là et dit d’un ton laconique :
« Allez chercher la console de commande, je vais régler le problème ». Il tourne le dos, et va dans son bureau.
Toutes les consoles de commandes du service sont dans un local.
Mais lequel ?
Personne ne sait (les infirmières de consultation étaient parties depuis longtemps, et le PH au ski donc).
Nous cherchons de partout, et trouvons au bout de 15 minutes une demi douzaine de consoles
Quelle est la bonne ?
En effet, chaque marque de défibrillateur a une console particulière, qui leur est exclusive. Le patient avait oublié la carte d’identité de son appareil à la maison.
L’un de nous a une idée sublime (« Du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas » disait Napoléon), pourquoi ne pas les faire toutes voir au patient, qui ne devrait pas l’avoir oubliée depuis la dernière consultation ?
Arrêt sur image.
Un soin intensif cardiologique de CHU.
Plusieurs médecins montrant tour à tour des consoles de défibrillateur à un patient en tachycardie ventriculaire, afin qu’il désigne laquelle a été utilisée lors de son dernier contrôle, afin que nous puissions arrêter ce trouble du rythme.
Maintenant que je me souviens de cette anecdote, je ressens presque physiquement l’énormité de la situation.

Une fois la bonne console désignée, nous l’installons. Le vieux PH ne sachant faire marcher que la fonction « choc électrique », nous prévenons le patient.
Un autre PH suggère de lui faire un peu d’hypnovel, afin de rendre le choc moins pénible.
Il fait préparer la seringue, se dirige vers le patient, et l’adapte sur la rampe de perfusion.
Nous attendons une petite voix, derrière l’écran de la console portable :
« Attention !!
- Attends, je n’ai pas inj…… »
Aucun bruit, mais l’arc de cercle fugace que décrit majestueusement le corps du patient (appelé joliment « opisthotonos ») nous montre bien que le choc a été bien délivré.
A vif, dans un soin intensif de CHU, entouré d’une ribambelle de médecins.
Sur le scope, son rythme est revenu sinusal.
Victoire !
Mais quelle victoire à la Pyrrhus !!

08:20 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)

26/05/2005

Premier choix (2)

medium_tv.jpgAvant hier, je suis allé à une soirée organisée pour les cardiologues libéraux.
J'y ai retrouvé l'un de mes anciens assistants (Richard) de cette note.

J’ai bu en début de soirée un Martini blanc, seul alcool que je bois, une ou deux fois par an. Pourquoi un Martini blanc ?
Un de mes nombreux râteaux, je ne sais plus laquelle (Delphine ?), m’avais initié à ce petit plaisir, véritable nectar des Dieux, lorsque je le buvais en la dévorant du regard.
Qu’en est-il resté ?
Cette vieille habitude uniquement, même plus l’identité de celle qui occupait alors probablement toutes mes pensées.
Bref, étant donné que mon foie ne voit pas passer souvent d’alcool, un verre suffit à me désinhiber (et incidemment à me coller un mal de crâne pas possible, comme si quelqu’un m’aspirait le cerveau de l’intérieur, avec une paille).
Avec mon ancien assistant, égayé lui, par le bon vin, nous avons imité notre ancien patron jusqu’à fort tard.
« Tu vois, tu vois… »
Nous nous sommes aussi remémoré.

Petites corrections: la première coronaire désobstruée par Richard était une IVA, et pas une coronaire droite, et l’anévrysme du patient ne faisait pas 60 mm mais 100 mm (!!).
Enfin, Priscilia, la petite salope d’IMG s’appelle en réalité Sabine.
Dans 50 ans, je donnerai son vrai nom, par pur esprit de vengeance.

Il m’a reconfirmé tout le reste, et m’a rappelé d’autres anecdotes.
L’une d’elles reste emblématique de ce choix (je l’avais pourtant oubliée).

Il faut d’abord que je précise certains points techniques pour les non initiés à la science difficile de l’électrophysiologie.
Cette dernière s’intéresse à tous les troubles rythmiques ou conductifs.
Un des troubles rythmiques le plus sévère est la tachycardie ventriculaire.
Il s’agit d’une urgence médicale, car elle conduit souvent au bas débit cardiaque, et au décès. Sa reconnaissance est parfois difficile, mais souvent immédiate sur un ECG. Elle survient souvent chez des patients porteurs de cardiopathies sévères.
Pour empêcher cette tachycardie de tuer nos patients, la meilleure solution reste de leur implanter un petit appareil (un peu plus gros qu’un pace maker) qui se nomme défibrillateur ventriculaire, et leur donner un traitement anti-arythmique prophylactique
L'appareil reconnaît la tachycardie et envoie une série de petites impulsions indolores (ou « bursts »), voire un choc électrique de 30 joules (en cas de tachycardie ventriculaire vraiment menaçante) pour arrêter ce trouble du rythme. Trente joules, c’est un choc électrique très désagréable pour le patient, mais accepté car permettant de lui sauver la vie.

Imaginez vous donc des patients rendus plus ou moins impotents par leur maladie cardiaque, et se prenant des chocs électriques inopinés et imprévisibles, les ressuscitant parfois plusieurs fois par mois. Même l’homme le plus équilibré développait un psychisme, disons… particulier, une sorte de « syndrome de Lazare ».

Donc, un jour, un de ces patients (45-50 ans) se présente dans mes soins intensifs. Depuis quelques heures, il ne se sent pas bien. C’est un insuffisant cardiaque sévère. On l’installe, au scope et à l’ECG : tachycardie ventriculaire à 135 battements par minute. Il était en effet traité avec une association cordarone et bêta bloquant, qui ralentissait l’arythmie, ce qui expliquait donc la bonne tolérance clinique.
Petit interne docile, j’essaye d’arrêter l’arythmie par un traitement IV, sans succès.

Pourquoi donc son défibrillateur ne s’est pas mis en route ?
Tout simplement, car à l’époque, les algorithmes de reconnaissance de ces appareils étaient à leurs balbutiements. Pour éviter de délivrer un choc à une tachycardie sinusale, avec un bloc gauche par exemple, l’appareil ne prenait en compte que les arythmies avec une fréquence supérieure à un certain seuil de fréquence cardiaque (150-160 bpm). Certains patients avaient en effet pris des chocs alors qu’ils remplissaient leur devoir conjugal (ou extra conjugal), faisant partager le grand éclair blanc à leurs partenaires…

Fort heureusement pour les patients, grâce à une console externe de commande, on peut non seulement contrôler le fonctionnement de l’appareil, mais aussi déclencher des « bursts » voire un choc en cas d’urgence pour arrêter une arythmie. Cela en moins de 5 minutes.
Manque de chance, le seul médecin sachant manier ces appareils est au ski, et injoignable sur le portable.

En désespoir de cause, j'appelle le patron, qui est, je vous rappelle un « world medical leader », en électrophysiologie de surcroît.
Il déboule dans les soins et comprend la situation en quelques secondes. Il comprend surtout qu’il n’y connaît strictement rien, et que tout le monde attend son intervention.
Il commence à nous enfumer.
« Tu vois, tu vois, il faut appeler XXX
- Mais il est au ski, monsieur (il le sait pertinemment)
- Innnnnnnnnh (petit bruit guttural, montant en intensité et dans l’aigu, signe d’explosion à venir).
….

Et oui, je fais comme Ron aujourd’hui….

11:20 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (2)